FORMULES 23

L ’ALCHIMIE DES ALGORITHMES P E T E R C O NSENS TEIN D O MI N IQ U E R A Y MO N D

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FORMULES, la revue des créations formelles, est une revue indépendante créée en 1997 et publiée par les P resses Universitaires du Nouveau Monde et DigiArt Press, In c. av ec l’aid e origin ell e de la M elodi a E. Jon es C h ai r de la St at e Univ ersity of N ew Y o rk . Adresse électronique : formule sarcadewebmaster@gmail.com Facebook: https://ww w.fa ce book.c om/La re vue formule s/ Ad resse in ternet : http ://formulesarcade.n et/ Fondateurs / Founders : Jan Baetens et Bernardo Schiavetta Directeur-gérant / Executive Editor : Jean-Jacques Thomas Conseil d e rédac tion / Peer Reviewers : Jan Baetens, Ph ili ppe Bootz, Ann e F . Garrét a, Al ain S ch affn er , Lu c ile Haut e, V ir gin i e T ah ar , Pet er Co ns enst ein, Mir eil le Ribière, Paul a Kl ein, Do m iniq u e Ray m ond , Jean -Jacqu es Tho mas Responsabilité graphique / Graphic Editor : Jennifer W ard, DigiArt Press Nous tenons à remercier Nikita Iziez pour la c ontribution de sa conception unique de la couverture de ce n u méro.
Adr esses de la rédaction Jean-Jacques Thomas State University of New York 907 Clemens Hall Buffalo, NY 14260 International sc holarly indexes in whic h F ormules is c atalogue d: Formules se trouve sur les listes internationales suivantes : 1 . " Eu ro p ean Ref er en ce In d ex fo r th e Hu m an iti es " (ERIH ) de la ES F : comme r ev u e INT2 2 . sur la liste de Australian Research Council. A ustralian Governme nt's I nnova tion, I ndustry, Science and Research portfolio: revue type B 3 . Dans le ca talogue du S ystè me Universita ire de D oc umenta tion du Ce ntre Nationa l de la Rec herche Scie ntifique 4 . S ur le ca talogue de la Bibliographie Nationa le F r ançaise é labor é par la B N F 5 . S ur le ca ta logue ZD B, éla boré pa r la Bibliothè que Nationa le d' A l lemagne 6 . Copac Na tiona l, A cade mic , and S pecia lis t L ibr ar y Ca ta l og ue 7 . Sur la ba se de donnée s Clasificac ión I nte gradas de Re vistas Cie ntíf icas, de l'Es pa gne : revue type B. 8 . A sso c ia tio n des R ev u es Sc ien t if iq u es et Cu ltu r ell es A. R .S. C. de Belgique. © r epubli cation s per sonn ell es / person al r eu s e: l es au t eu r s / author s Pour toutes autres publications / for any other use © Revue Formules
Formules 23 ISBN : 978-1-952799-46-4 Formules im prim é I SSN : 1275- 7713 Formules / Arcade webz ine I SSN : 2694-6246 D é p ô t l é g a l : d éc e m b r e 2022

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The State University of New Y ork
Raymond Queneau, Directe ur litté ra ire d e Gallimar d, me mbre d u pr estigieux Co mit é d e le cture d e cet éditeur, Grand Conservateur d e l’Ordre ‘Pataphysique, écrivain célèbre, scénariste d e film à succès, drama turge, chr oniqueur radiophonique, c o-fonda te ur d e l’Oulipo e t per sonnage importa nt d e l a scè ne littéra ire et ar tistique franç aise pe ndant plus d e trois déce nnies, o n l e sait, nourrissait une passion pour l a science e t e n pa rtic ulier le s mathématiques. A l a suite d e ses travaux commencés e n 1965 sur les nombre s hyper prem ier s, l e 6 mai 1968, par l’intermédiaire d’ André Lic hner owic z, i l présente une note scientif ique à l’Académie des Scie nce s d e Par is, consacrée aux « suites s-additives » , c’e st- à-dire le s rie s
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d e « suites S d e nom bres entier s positifs str icteme nt croissants » . Comme nous l’indique Paul Braffort il n e faut donc pa s s’é tonner s i l a fonda ti on d e l’ Oulip o a vait pour bu t central énoncé d e « développe r des thè me s littéraires e n utilisant des structures mathématiques » . E n 1974, dans l a revue L ’Éducation , François L e Lionnais, autre c o-fondateur d e l’Oulipo renc rissa it : « O n applique le s ma thé m atique s à l a physique , à l a biologie, aux scie nce s éc onomique s, à l a linguistique. C’e st ma conviction qu’on pourrait les appliquer , avec fruit, à l a littératur e, e t que c’ est l à l a vocation principa le d e l’Oulipo » . L a génération d e nouvelles formes littéraires était pr ése ntée avant tout comme u n problèm e mathématique d e distribution de s c om bina toire s de s éléments verbaux. O n conna ît le s systè m es titifs qui ont servi à créer , entre autres l e S+7 e t tout l e système d e calc uls qui a servi d e base à l a alisa tion d u texte Ce nt mille milliar ds d e poèmes d e Queneau suivi d’un long manifeste d e litté rature e xpér ime ntal pa r L e Lionna is. Dans le s dernièr es année s d e s a vie Queneau s’e st passionné pour l a réalisation d e « textes automatiques » généré par ordinateur à l a suite des trava ux d e Jea n Baudot, La machine à écrire . Queneau étend même c et intérêt pour l a création a utoma tique à d’a utr es doma ine s
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humanistes e t da ns une note sava nte à l a biogra phie qu’ il lui consacre, M ichel Lécureur, insiste : « en musique, Queneau a suivi, dès l e début le s rec herc hes d e m usique algorithm ique entreprises par l a com pa gnie des Mac hine Bull » . Les spécialistes d e Georges Perec s e souviennent que lors d e son premier voyage au x Etats-Unis, ce lui- c i s’arrête à l’Université d u Michigan, à Ann Arbor, pour obser ver au la bor atoire informa tique d e Kenneth L . Pike , les tr ava ux e ntrepris e n ma tière d e nér ation automa tique des textes littéraires dans l e ca dre d e se s r ec herc he s su r le s principes génér atifs d e l a tagmém ique. E n 1981, s’ éta blit l’ALAM O (Ate lier d e littéra ture a ssistée pa r l a mathématique e t les ordinateurs) 1 f ondé e n juillet 1981 par deux membres d e l’Oulipo, Paul Braffort. Jac que s Rouba ud, e n 1992, s e procla mait touj ours u n op tim isme envers ce tte moda lité d e production littér a ire. D e même, Pascal Gresse t, dans son e ssai « P our une littéra ture immatér ie lle » , confirme qu’une telle litté rature sa ura « tirer pleinement parti d e toutes le s ric hesse s d e l’immatér ialisation d e contenus c oncré tisés», te ls que « immatérialité, insta nta néité , comple xité comm unic abilité, disponibilité, néra tivité, prolixité, mobilité, fluidité, ada pta bilité, colle ctivité imper s onna lité, mult iplicité, i nterac tivité » . Un e littéra t ure num érique
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abolira ainsi « toute barrière, ignorant qui l a lit, oubliant qui l a produit dans un perpétuel mél ang e des genres. » Ainsi ce la devie ndra « une littér atu re du pillage méthodique, d u vo l systém atique, em pr untant son bie n o ù bon lui sem ble, consciente d e l a propr collective de s langue s » . Notr e te mps est-il toujour s aussi optimiste envers l a production littéraire a ssistée par l’ inf orm atique ? Est- c e toujours l’espoir d’une panacée à cette littérature per sonnelle, ba l butia nt les fict ions mo noc hrome s au cœur sec e t aux contours répétitif s da ns l’ exiguïté de s exigenc e s d u m arc hé? Dans u n article réc ent sur le s rappor t entre l a littératur e e t l a bande de ssinée, Jan Bae te ns souligne que tout récemm ent l e r e cours au x moye ns digita ux a e u u n impact considéra ble su r l e ve loppe ment de s ar ts graphiques, non seule me nt pour c e qui c oncer ne l a production des réa lisations gr aphique s elles-mê mes, ma is surtout pour ce qui concerne leur diffusion car , comme l’étudient Benoît Epron e t Marcello V itali-Rosati, les « algorithmes commerciaux » à l a disposition d e tous e n cet â ge d u num érique, ont mi s fin a u monopole de s douaniers professionne ls qui, tra ditionne lle ment, contr ôlait l e flot limité d e l a pr oduc tio n.
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E t pourtant…hier encore, Maria Re ssa, a reçu l e Prix Nobel d e l a paix, parce qu’elle a dénoncé l e carac tèr e nocif e t toxique d e l a puissance de s a lgorithme s c omm e générateurs d e répétitions inf orm atiques : « Nous somm e s entrés dans l’ère des autor itarisme s n umér iques » . De puis l a parution d e The Cul tural Logic o f C omp ut a ti on, d e David Golumbia, les recherc hes e n sc ie nce s huma ine s da ns l e monde a nglo-saxon sem ble nt c ible r l a logique algorithmique comm e l e nouve l ennem i à nonc er da ns toutes ses formes protéennes. D e David Berlinski, The Advent o f the Algorithm , à l a cente é tud e d e Sho sha na Zubof f, The Age o f Surveillance Capitalism , dans les domaines d e l’organisation sociale, polit iqu e, fina nc ière e t culturelle, o n a ssiste à une c ondam na tio n a pparemm ent globalement orche strée d e c e nouvea u Moloc h qu i coalesce e n Bi g Data . Ignorant les différences, assignant à toute forme d e réalité une unité d e tr aitem ent, gligea nt les partic ularisme s e t les singula rité s, l a machine algor ithmique, a u rythme automatisé s ses pétitions, dessine un e unif orm ité qui contribue au c onf or misme d e rigueur . Instrume nt d e ma nipula tion inte llec tuelle e t idéologique rendue bana le par l’im me nse disponibilité de s moyens véhic ulant les résea ux soc ia ux et le s va gue s
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d’influence pou rvu es d e d e toute gitimité mora le o u économique, l a puissance d e l’alg ori t hm e d is tri b ue l e mensonge, l’ illusion, l a pr opaga nde, l’ endoc tr ineme nt addictif, sous l e couver t d’ un nin, clé ment et ar tific ie l effet d e réel. McKenzie W ark, dans u n d e ses derniers textes, Capital i s De ad , pr opose que l e ca pita lism e arr ive à s a fin tout en suggérant que c e qui suivra est pire. Selon elle, les deux classes sociales dominantes sont le s ha ckeur s dressés contre l a c la sse vec torie lle, c’e st à dire c elle s e t ceux qui contr ôle nt, sans frontiè res nationale s o u idéologiques, les vecteurs d e l’ inf ormation. nombr eux sont ce ux qui é lève nt l’ or dre oc culte des hac ker s a u ra ng d e seule sistanc e légitime ca pable d e nous pr otéger d e l a tyr an nie d e Big Data e t d e nou s restituer des zones d e liber e t d e libre pe nsée. Alchim ie des algor it hmes Il y a l’ alc him ie que nous conna issons tou s, celle s des « m audits » , R imba ud et Ar ta ud, aspira tio n à l a science fulgurale, à l a divina tion par l a f oud re d u discour s, mais, aujour d’ hui, o n n e pe ut ignorer l e se ns qu’a donné Glissant à ce mot en clamant que « l e poème est une des matr ices alchim iques d u réel » poursuiva nt a insi
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l’alchim ie sole nnelle d e Se nghor qui a a ssigné à c e mo t l a transfiguration magique d e « tout u n réel qui frappe aux vantaux du monde » e t qu i, dans l e m ouve m ent des f le uves e t les a ssauts éol ie ns d e l a br ous se, e ntrouvre une fe nêt re su r l’inconnu. Donc les questions s e posent : d e quelle « alchimie » s’agit- i l ? cette alchimie des algorithmes, s e rattache-t-elle à celle qui prend u n « A » majuscule e t qui dépasse toute fr ontière ma tér ielle e t tempore lle, o u faisons-nous face à l a naissance d’ une alc himie toute autre ? l’alchimie des algorithmes crée-t-e lle ou bie n éclate- t-e lle les bulles ( socia le s, politiques, ethniques) dans lesquelle s nous vivons ? Comme l a langue l’était pour Ésope o u l’atome pour l’après Nagasaki/Hir oshima, l’a lc himie algor ithm ique , aujourd’hui, peut ê tre envisa gée comme l a meille ure o u l a pire des choses. Cette ambiguïté re nc ontré e dans le s essa is théoriques e t méthodologique d e notre soc té, plu s par ticuliè reme nt ce ntrée sur le s que stions d e création littéraire, artistique e t perf ormative, constituera l a m atièr e d e réflexion e t d e bats de s c ontr ibut ion s a u num éro 2 3 d e l a revue F ORM ULE S.
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Possibles dir ections de r echerche Sur l a base d u thème central d e l « alchimie des algorithmes » les travaux qui suivent mettent e n évidence des carr efour s m ultiples et multi- dim ensionne ls d e l’impor tance d u numérique sur les tra va ux d e fic tion littéraire, artistique e t performative. L ’impact e t l’historique d e ‘big data’ sur l a production artistique ainsi que les méthodes d’ ana lyse de s huma nités numér ique s sont interpr étées e t analysée s. Deux ar ticle s s’adresse nt a u com putationnalisme et aux r ésulta ts de s a lgor ithmes da ns les jeux vidé os et a va nce nt de s réponse s aux que stions concernant les a rtiste s : sont- ils l e pr oduit d u « Bi g Data » o u bien ac cepte nt-ils d e s e la isser duire e t d’inventer d e nouveaux modes d e production d e c e type? Comprend- o n mie ux ma intena nt l a créativité des nouvelles moda li s d e cette production littér aire numér ique o u e st- ce ma inte na nt l e c ontr aire ? Les c ontributions d e ce numér o d e Formules reconnaissent que nous entr ons a ins i d an s un e n o uv el le éta pe des pos sibi lités ar tist iques o ù une dime nsio n technologique d e l a contra inte d e p ubl ica tion e t d e diffusion impose, d e manière opa que , se s propre s contra intes intellec tuelles bie n s ouve nt s ous couver t d e contraintes techniques (numér ique s) unif or misante s. Cette
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tyrannie sournoise, agre ssive o u passive, explic ite o u maquillée, est redoutable car , souvent ignorée par l’utilisateur , elle impose une c o-signature insidieuse à toute fiction toute expr ession ar tistique et à tout m arc artistique) o u tent ati ve d’ inventair e d’information. Qui per d et qui gagne fac e à cet autor ita risme? Qu i tyra nnise qui? S’agit- il d u « wokisme » qui s’ im pose su r les résea ux sociaux ou bien, plus confusém ent, d e l a c lasse vec torie lle qui dessine une « vérité » oppor tuniste c alqué e sur se s propres be soins dicté s par les cir consta nc e s? Nous a vons mis à découvert c e qui résulte lorsqu’ un texte gouver pa r une contrainte cho isi e sans influe nce num érique s e tr ouve modifiée par u n alg orithme préexista nt. E n outre, ce s textes révè le nt que l a manipula tion de s disc ours e t de s images sous l a férule de Big Data entraine l a mise e n place d’un e nsem ble mar qué idé ologiqueme nt mais la quelle ? Da ns l a r éalisation d e toute f iction, d e tou t spo t publicitair e, d e toute c hronique d’ informa tion, l a distribution des a cta nts basée sur des critè res d e se xe, d e race, d’inclina ison sexuelle, d’ origine ogr aphique, d e par ticular ism e linguistique, por te en e lle u n discour s d’escorte apparem ment e xclu, mais anm oins facileme nt réintégré dans l’interprétation d e l’ ensem ble offer t a ux lecteurs. trices, auditeur s.trices, o u spectateurs. trices.
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Lorsque ce s c hoix élé menta ires toucha nt le s composante s d e l a pièce sont réglé s pa r de s a lgor ithme s comm erciaux gouvernés par les im péra tifs globa ux de s lois d u m arc hé, l a création individuelle doit s e plier, consciemment o u non, à ce tte surdéte r mination numér ique. Que c e soie nt les a rts pla stique s, l a sc ulp tur e, les dessins animés o u l a littéra ture, que c ette pr oduc tion soit à contrainte, form elle o u expérimentale, qu’e lle s’a dre sse à l’environnement, a u racisme, à l a justice soc ia le, o u a u genre ( gender), i l y a u n r isque que ce t a utor ita rism e s’impose sur l a production e t ainsi sur l’organisation d e l a pensée critique e t créative. T oute production artist iqu e nouvelle, form elle o u à c ontra inte s, o u sim pleme nt expérimentale, a toujour s défié les norm es d e l’expr ession. A vec l a croissance d e l’emploi d u ‘big data’ ainsi que les méthode s d’a na lyse de s humanités numériques, avec l’intelligence ar tific ielle et l’ inf orm ation qu e Google, Facebook, I nstagr a m, Linke dI n ai nsi que d’autre s com pagnies numér iques à voca tion g lob ale four nissent aux maisons d’édit ion , aux m usées, aux salles d e spec tac le e t aux publications priv ées o u publ ique s s ur inter ne t, ces instances f orma tr ice s intermé diaires n e jouent p lus d e rôles neutres e t abstra its.
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Da ns l e ca s ma lhonnête de s ensem bles créatif s produits dans l e seul but d’im poser des modèles im pér atif s d e com porte me nt f ascisés dictés par le s r é sultats obte nus par les systèmes a na lytique s de s c om porte ments soc iaux, tout travail d e pr oduction inte lle ctue lle est perç u com me une tentative d’ éta blir u n conf orm ism e soc ial moutonnie r contr ôlé par les insta nce s d’ une é lite a utonominée. Da ns c e cas extrême d e « société d u spectacle » orchestrée par les contr aintes a lgor ithm iques imposées o ù dom ine une éthique utilitaire d e l’après-vérité, e t o ù tou te pe rforma nce est f oncièrem ent u n monde d e l’illusion e t d e l a f ic tion édulcorante, les forces d u refus si ngu lie r da ns le s « cabanes » des « territoires extér ieurs » compte nt d e nombr eux partisans qui élèvent l’ordre occulte de s hacker s a u rang d e se ule sistanc e gitime ca pa ble d e nous proté ger d e l a tyrannie d e Big Da ta. Est-ce qu e c e fra is monde anti-confor miste d e l a c ontr e-utilisa tion d u numér ique la isse a pparaitre a ujourd’ hui des œ uvre s inédites et inouïes porteuses d e zones d e liber et d e libr e pensée ? Et s i, pour nos contributeurs, elle s existe nt quelles sont les f orme s innovante s (ty ranniques ? destructrices ? inhumaines ? ) qui le s caractérise nt ? Quelle s parties d e no s soc s sont le s plus vulnéra ble s ? Pourquoi ? Existe-t- il , à c e jou r, quelque part, u n mode de
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production artistique im por ta nt ca pable d e c ontr er « efficacement » l’impact e t l’em prise multiforme de s algorithm es et d e B ig Data outre que les hacker s, o u le s hac ktivistes ?
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NOTE S 1 V o i r http://www.alamo.free.fr/pmwiki. php?n=Alamo.Accueil

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Al chimie : de kim iya, dérivé d’un mot égyptien signifiant « terr e noir e » Art magique ou pseudo-sc ie nce, l’a lchim ie revêt u n caractère m ystérieux qui repose e sse ntie lle me nt sur l e processus d e transformation d e tr ans mutation de s métaux, considérés par les adeptes comme des organisme s vivants, a u même titr e que les anima ux e t les pla ntes. Le s méta ux régresse nt e t évolue nt, ils sont perfe ctible s e t susce ptibles d e pa sse r d’un état imparfa it à parfa it grâce à l a pierre philosophale. L’alchimiste, comme Maria, Albert l e Grand, o u Paracelse, 2 n’est pa s (qu’ ) un·e chercheur·euse d’or ; c’est moins l e résulta t sonna nt d e ses recherches qu i l’intér esse que l e pr oce ssus qu i ne à l a pan acée.
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Dès l e M oyen Âge, période f aste d e l’ alc himie, o n distingue de ux ver sants d e l’ar t scientif iq ue, s oit l’alchim ie opérative, axée sur les thodes e t les com posantes des matières prem ières tout c e tr avail d’identification de s matières a d’a ille urs perm is une avancée certaine d ans l e cham p scientif ique et l’a lc himie spéculative, a xée sur l a méta physique e t l a sym bolique. C e versant perm et d e tisser des liens entre l a franc- maçonner ie e t l’a lch imie, qui partagent u n vocabu la ir e semblable selon Ala in Quér ue l. 3 Dans une per spec tive plus contem poraine, soulignons le s a llia nce s litté rair e s entre l’ alc himie et l a ’Pa taphysique, que c e so it par l’in termé diaire d’un per sonnage, com me l e d oct eur Faustroll, d’une œuvre d’imagination, comme Voyages en kaléidosc ope d’Irè ne Hillel-Er la nger o u d’une critique comme celle d e Brunella Eruli, qu i « étudie les mécanismes créa teur s d e Jarr y à traver s les filtr es d e l’a lchim ie e t d e l a déf orma tion. » 4 L e 1 0 octobre 1982, une quinzaine d’ agr ic ulte ur s s e font scribes e t poètes, e n labour ant une par tie d’ un cham p d e Saint- Ubalde, dans l a gion d e Portne uf au Qué be c. Ils tracent a u sol les mots « T exte T erre T isse » , au volant d e leurs charrues. L ’ensemble s’étalera su r u n mile, soi t 1 , 6 kilomètres e t des poussières sur l a longueur e t deux
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arpents e n largeur, puisque chaque lettre mesure 9 1 mètres d e long par 7 6 mètres d e large : gigantesque performance d e land art orchestrée par Jean-Yves Fréchette, enregistrée dans L e livr e des recor ds Guinness , visible uniquement à vol d’oiseau o u via u n int ermé diair e, com me une photo.
[FIGUR E 1] Détail de l’affiche créée pour l’occasion par Jean-Y ves Fréchette (1982) © Jean-Yves Fréchette. Tous droits réservés. 40 ans plus tard, du 7 septe mbr e a u 2 9 octobre 2022, Fréchette revient 24 f ois s e c ommettre sur l e même cham p, e n trajet solo cette fois. Agr otexte devient pour l’occasion u n péditexte nommé L ’Arpenteur . L ’orchestration e t l a captation par GPS s’effec tue par B leu diode, 5 u n du o
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d’artistes com posé d’Isabelle Ga gné e t Stefan B urida ns, alias Sven. L ’écriture pédestre es t donc connectée : les données géolocalisées des marches e n le ttr es cur sive s sont extraites et reproduites dans une œuvre W eb inédite diffusée e n temps réel dans l a vitrine d u Centre d e création numérique TOPO à Montr éal, puis disponible sous u n autre format e t héber gée sur l e site d e T OPO . A u sol, aucune trace : l e texte est appar ent pour l’interna ute seule ment. Loin d’êtr e une re produc tion e t plus qu’ une actualisation, l e passage d’ Agr otexte vers L ’Arpenteur manifeste une réelle transmuta tion alc himique qui n e pe ut faire l’économie d e l a technologie num ér ique, da ns se s moyens comm e s a fin. Nous a na lyse rons l e pr oce ssus, e n nous arrêtant sur les procé dés, le s idée s e t les conditions nécessaires à l a transforma tion. Ce faisa nt, nou s envisagerons l’a lc himie opéra tive d e cette transm utation, basée sur les pr oc édure s et le s opér ations, comme une ver sion contem poraine d’un tra vail a u Grand Œ uvr e te l que l’entenda it Fra ois L e Lionna is, ingé nie ur chimiste d e forma tion e t c o-fonda te ur d e l’ Oulipo. Lors d’ une réunion qui rela nça l’ Ouvr oir d e peinture pote ntie lle l e 6 janvier 1981, L e Lionnais prés enta, pour l a prem ière e t unique fois, c e qui deviendra l e « T ableau aux 1000
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col onnes » : Ce que j e propose d’appeler l e Gra nd Œ uvr e d e l’Oupeinpo, c’est u n tableau, non pas u n tablea u peint par un peintre mais un tableau avec des lignes e t de s c olonnes […] Disposons da ns les tes d e lignes horizontales ce que j’appelle le s éléme nts constitutifs d u pein […] E n te de s colonne s ver ticales quelque s éléme nts structura ux sim ples. Dans l e livre d e l’Oulipo, j’ai proposé que lque s structures ma théma tiques qu i sont des têtes d e colonnes possi ble s. E n développa nt, o n pourra it e n énumérer environ u n millier . 6 S i les oupeinpie ns ont alime nté d e bi en des faç o ns c e tableau, nous ver ron s qu e l’ exploitation qu’offre Bleu diode des performanc es ar tistiques d e F réc hette y par ticipe tout autant, déterminant a insi d’autr es repère s da ns l’interprétation d e l a potentia lité d u numér ique e t d e se s algorithmes dans l e domaine de s ar ts plastiques. Alchim ie op érative À quelques variantes près, se lon les a lc him iste s depuis Alber t le Grand, le processus de transm utation
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opère e n quatre étapes : l a déstruc tura tion, l a pur if ica tion, l a réduction e t l a fixation. 7 Dans L’Arpenteur , quatre espaces/lieux/te rritoir es sont im pliqués : l e cham p d e Saint-Ubalde, l e quartier néra l d e Fré chette, l e Ce ntr e d’exposition TOPO e t l’œuvre W eb. Sur chacun d’eux, une éta pe sem ble avoir été fra nchie. structuration : au ch am p Outre l e fait que l’espace nature l, l e cha mp d e Sa int- Ubalde, soit l e même qu’en 1982, ce qui demeure enra ciné dans L ’Arpenteur e t qu i illustre l a part d e créativité e t d’originalité d e ces projets c’est bien l’usage d u champ comme surface d’écriture. O r , cette surface devient tout autre e n mêm e temps : l a matière première subit l a déstructuration. D’abord, l a terr e est moins la bouré e pa r quinze m achines agric ole s que f oulée par une seule personne. L’écriture s e devait d’être cursive, car connectée par l a technologie GPS Freehand , 8 chaque pas laissant un e trace sur l a page W eb. E n plus d e cett e nécessité, remarquons que c e type d’écr iture te nd à repré se nter l e trait d e l a m ain qu i forme des lettres attachées, a lor s qu’inversement, l a typographie d’ Agr otexte rappelle l’em preinte d e l a machine à é crire, réglée au millim ètr e près.
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Penchons-nous su r l e contenu. D e « T exte T erre Tisse » il n e reste presque r ien, sauf un e référence intertextuelle pour qu i connaît l e titre d e l a performance mécanique : « agrotexte » , l e poème destre tr acé par Fréchette lor s d e l a m arche spéc iale d u 1 0 octobre 2022. 9
[FIGUR E 2] Captur e d’ écran du si te : https://www  .agencetopo.qc.ca/wp/events/event/40-ans- dagrotexte/ (2022) © L ’Arpenteur . T ous droits réservés. D’autres poè mes sont a ussi f ondé s sur un e logique métatextuelle, qu’il s’agit d’ inter pré ter com me telle : allusio n à l a surf ace qui s e fa it s ous l e couve rt d’ une
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expression fameuse dont o n a retiré les traits d’union : « T oujours créer su r l e champ » ; référence aux act ion s concomitantes d e l’écriture e t d e l a marche : « Pas à pas ou mot à mot » ; autoréférence, car l e poète-arpenteur use parf ois d u J e, tout en tra ve stissant q ue lques princ ipes philosophiques pour traduire se s actio ns : « J e marc he donc j’écris » . Rien, donc, n’est laissé a u ha sar d. Fréchette a conçu ses poèmes e n amont, les a calibrés pour l’écr itur e a u cham p, puis i l a ba lisé l’e space afin d’ obte nir des repères. U n pa rallè le nous se mble particulièrem ent intéressant à faire ici avec l e marche ur oulipie n. Da ns so n étude, Mar cher a u hasar d, Morgane Cadieu 10 décortique différentes pratiques et représentations d e l a déam bula tion dans l a prose d u XX e siècle, a u m oyen d e l a notion d e clinamen (dé viation aléa toire ). L e je u d u hasard e t d e l’antihasa rd lui perm et d e compa rer e t d e distinguer le s fondements esthé tiques d u f neur ba udela ir ie n, d e l’erra nc e surré aliste e t d e l a rive situationniste. L e marcheur oulipien pr oduit so n pr opr e espace, nère s a topogr aphie par l a m ise e n place d’une pr océdure. Les narrate ur s d e Per ec n e s e laisse nt pas aller : il s contr ôlent l e ha sard systéma tiquem ent, ils construisent des str atégies d’é viteme nt o u de
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produc tion, ils expr iment le ur volonté. Debord e st d u côté d e l’obser vation, Bea udouin, G arrét a e t Perec, d e l a pr oduction. L a figure d e l’a rpe nteur oulipien sem ble ainsi s’êtr e constr uite c omme une réaction à l’errance sur réa liste mâtinée d e dér ive situationni ste. (Nous soulign o ns.) S i l’arpenteur ou lip ien n’hé site pa s à vier d e l a contrainte for te qu’il s’est im posée, c lina men volontair e qui dénote l e libre-arbitre d u marcheur , l a moindre déviation da ns l e par cours d e Fréc he tte c onduit a u mie ux à l a coquille, au pire, à l’illisibilité. L a r ais on est sim ple : l e pr ogramme a pou r but d’obtenir u n résultat figura tif, une suc cession d e l ettres e t d e mots qui forme nt u n monostic he. Le s déa mbulations oulipie nnes circonscrivent leur propr e espac e, mais celui-ci n’e st pa s nécessairement i con ique, r epr ésentatif d’ une ima ge quelc onque, c omm e l e présuppose l e travail de s ar tisa ns d u GP S Art. Cela di t, l’arpenteur , qu’il soit membre d e l’Oulipo o u no n, pa r tic ipe a u fil e t à l a constitut ion d e l’histoire littéraire d u marcheur , tout comme l e flâneur, l’errant o u l e pr ome neur solita ire. En somme, la déstructuration opérée au champ est conséquente du passa ge esthétique de la pr oduc tion d’ une
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œuvre d e Land Art à une œuvr e d e GPS Art : déstructuration opérationne lle co mpt e te nu d u changement d e l’agent traceur, matérielle car l’em preinte des pa s su r l e c ha mp n e laisse a ucune trac e visibl e, contra ire me nt au x c harr ues, e t linguistique, puisque l e texte « T exte T erre T isse » , e t toute l a charge inter prétative qui e n découle, sont raturé s a u prof it d’ une poésie nouvelle, inter pré table à l’a une d e tout l e pr ojet d e L ’Arpenteur . Purification : au quartier général de Jean-Y ves Fréchette La phase de purification alchimique se compose de plusieurs procédés qui vise nt l’élim ination d’é léme nts jugés hétérogè ne s : dissolution, liquéfac tion, dige stion, distillation. Pour L ’Arpenteur, nous l’associerons à la digestion et la distillation des nombre uses donnée s, qui on t lieu au quartier général de la manœuvre pédestre, soi t la maison de Jean-Y ves Fréchette. Depuis 1982, l a ma ison d e Fr éc hette c onstitue une sorte d e camp d e base tout se joue : à l a fois lie u d’élabor ation e t d e conception des perf or manc es, parf ois tém oin direct d e celles-ci e t fina lem e nt, espac e d e conser va tion, puisque nom bre d’arc hive s y sont emma gasinée s. Ce s trois f onc tions sont a ctivée s da ns l e
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cas qui nous occupe. L e quartier général sert d’a bor d à Fréchette, qui re çoit des pr opos itions d e textes d e l a par t d u duo composé d’I sabelle Gagné e t Sven, e t les aff ine ensu it e : Bleu diode m’a rem is une sér ie d'e nve lop pes qu e j’ai décachetées av ant chaque séanc e d’é critur e. J’ y trouva is une pa rtie d e mon ins pira ti on. C e fut u n beau clin d’œil à ma toute prem ière perfor mance d e 1980 : Plis sous pli . E n soi, le ur pr oposition constitue aussi une espè ce d e livre obje t inte rac tif , comm e Plis sous pli , m ais e n plus c oloré e t esthé tiqueme nt moins a ustèr e. Ch aqu e jour j’ouvrais une enve loppe. I l y avait de s i ndi ces, une phrase d'am orce, ma is aussi de s pictogram mes qu i m’invit aie nt à r és um er l a situa tion o o u mon humeur d u jour. Sur ces feuillets, j’intervenais, pour commenter ,   accepter   u   refuser   a   proposition   qui m’éta it    fa ite. Puis j'obtenais u n te xte que j e recopiais s ur m a fe uil le d e rout e qu i me pe ndr ait a u cou penda nt toute l a ma rch e. J e m’ y référa is constamm ent pour évaluer l a progression d u te xte e t décider sur l e cham p des stratégie s d e ma rche qui étaient autant d e stratégies d’écriture. 1 1 (Nous souligno ns.)
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E n inscrivant l a perf orma nce da ns une logique d e transmission d u W eb e t des GPS, l e quartier général s’impose aussi comme témoin, un lieu d e captation o u d e relayage de s données en pré vision d e le ur sélection. Plu s précisément, l e qua rti er général permet d e télécharger le s informations captées par le s cam éra s, nota mment une Arlo installée s ur l e gara ge visa nt l e c ham p, ainsi que par l e drone e t les m ontres a u poigne t d e F réc he tte. L e quar tier général permet au poète arpenteur d e s e (re)poser , d’obtenir une vue d’ense mble d u poèm e pr oduit, d e porter u n rega rd a na lytique su r l e sultat f inal, d e l e digérer e n comparant l a conformité d u texte virtuel sur écran avec l e plan sommaire tracé sur papier avant l a performa nce, a prè s avoir l u les indices d e Bleu diode. L e péditexte n’est donc jamais visible en tem ps réel a u m om ent d e l a m arc he da ns l e champ : les montres enregistrent l e parcours qu i sera l u après coup, au QG , lorsque l a perf orm anc e d u jour ser a term inée. Par ailleurs, pour L’Arpenteur , Bleu diode a revisité plus largement les travaux phares d e Fréchette Agrotexte bien sûr , mais aussi Plis sous pli grâce à cette caverne d’Ali Baba que constitue l e quartier néra l. Photos, docum ents d’époque, br ouillons, cri tiq ues et autre s
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artef acts des nombre uses pr atique s litté raires, performatives e t numériques s’ y re tr ouvent. Ble u diode, pour qui l a mém oir e et les archives f onctionne nt comme des leitmotivs, avait donc l’em barras d u choix. E t ce choix, l a sélec tion qui a été fa ite pour l’amor ce d e l a performance, pour l’exposition o u pour l’œuvre W eb, témoigne d’une démarche d e purification par écrémage e t distillation, puisque l’objectif est d e tire r l’esse nce d u travail d e Fréchette. Autrement, l a distillation opère aussi littéraleme nt dan s l a mesure o ù Ble u diode, e n faisan t transiter le s docum e nts d’arc hive s d e m atière solide à matière virtuelle, ac com plit l e pr oce ssus qui consiste à séparer les différents éléments constituant un liquide o u u n solide e t à les recue illir sous f orme gaze use . Réduction : au Centr e d’exposition numérique TOPO La  phase de r éduction, parf ois appe lée transf orm ation, a git par pa ration, par inc inéra tion o u par sublim ation. L a réduction, en c e qui nous concer ne, ser a bie n e nte ndu prise au se ns figuré, e t nous nous servir on s justement d’une f igu re d e rhétorique pour l’illustrer : l a métonymie. « Procédé d e langage par lequel on exprime u n c oncept au m oy en d’ un terme dési gnan t u n aut re concept qui lui est uni par une relation nécessaire » ( Le
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Robert ), l a mét ony mie s e nomme sy ne cdoque lorsque cette relation nécessa ire e st d e l’ or dre d e l a par tie pour l e tout 12 , qu i appelle ainsi, et entre autres, u n méca nisme d e réduction . L e Centre d e créations num érique TOPO s e situe à Montr éal, à plus d e 220 kilomètres d e Sa int-Uba lde. Il a pour mission d’accom pagner les artiste s e n le ur fournissa nt outils, m oyens, espace d e pr oduc tio n e t d e diffusion des pr ojets souvent colle ctifs e t ver sés dans le s arts numériques. Pour L ’Arpenteur , TOPO reste u n atout majeur : d’une part, i l héber ge l’œuvre W eb sur laquelle nous nous penc her ons da ns l a pr oc ha ine section, d’autr e part, grâce à l a Vitrine, un espace d’exposition situé a u rez- d e-cha ussée, i l représente, d e faç on duite , condensée e t tem poraire, l e trava il d e Fréc hette e t d e Bleu diode. D u 9 septembre a u 3 0 octobre 2022, l a V itrine présentait, dans une configura tion m étonym ique, l e quartier ral d e Fréchet te :
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[FIGUR E 3] Captur e d’ écra n du site :
r  -bleu-diode/ (2022) © L ’Arpenteur . T ous droits réservé s. L ’exposition mise e n place par Bleu d iod e reconstitue l e milieu d e vie e t l e travail d e l’artiste Fré che tte. Elle e n propose une interprétation e n offrant u n échantillon : une seule pièce, l a cui sin e, regorge d’ objets fonctionnant e ux aussi par métonymie, comme l e chapeau d’agriculteur. Le
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passé e t l e présent sont ici amalgamé s par l a pré se nce concomita nte d’ obj ets sym bolique s souli gna nt les performa nc es a ntérieure s d e F réc hette ( ordina teur de s années 1980, affiche Agr otexte , etc.) et d’objets autoréférentiels, utilisé s donc da ns l e cadr e d e l a performance d e 2 022 , comme les f ic hes c olorée s d e Plis sous pli o u les nombr eux monite ur s réce nts. Notons à ce t égard trois actions qu i per mettaie nt a u spe cta teur/visite ur d e saisir e n tem ps r éel c e qu i s e produisai t a u m ême moment à Saint-Uba lde. D’ abor d, Isabelle Ga gné e t S ve n inter venaient à l’ intér ieur me d e l’e spac e cuisine, pour y déplacer , ajouter o u supprimer des objets, par exemple, les photos des tracés collées sur l e four , u n geste qu i suggère l e passage d u poète ar pe nteur da ns l a gion d e Portneuf. D e plus, u n monite ur diffusa it jour e t nuit c e que captait l a caméra Arlo, installée sur l e coi n d u garage e t pointant vers l e champ. Enfin, u n autre é cran diffusa it l e tracé GPS des pédite xte s pr oduits par Fréchette e n te mps réel. Ainsi, toute s le s perf ormance s a u c ham p d e 2022 auront été diffusées a u moins une fois. L e fonc tionneme nt d e type méto ny mi q ue d e l a pièce e t d e ses arte facts s’a ppa re nte à une e xposition muséale classique : l e champ d e Saint-Ubalde, l e quartier généra l d e Fr éc hette, les proje ts d e 1982-2022 sont ici
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réduits à leur plus simple e xpre ssion, da ns u n lie u qui condense temps, territoire s, ma nœuvr es ar tistique s. Espace représentatif, certes, ma is no n statique, mobile, com pte tenu des allées e t venues d’ Isabelle Gagné e t Sven; l a pièce exposée dans l a V itrine d e TOPO rappelle ainsi, outre les allée s e t venues d e l’ artiste a u cha mp, l’ idée même d e l a perform ance m ouva nte, unique e t à dur ée déterm inée. Fixation : l’œuvr e W eb L a f ixation, quatr me stade d u proce ssus d e transmutation, perm et d e f air e te nir ensemble e t soli de ment deux élé men ts d e ma niè re durable, au m oyen d’un agent fixateur et à tra ver s différe ntes opéra tions comm e l a ferm enta tion, l a multiplica tio n ou l a pr ojecti on, qui stabilisent les c onstitua nts vola tils. Le s perf orma nce s agr ote xtuelle s d e 198 2 e t ditextuelles d e 2 022, indépendantes e t volatile s parce qu’ il s’a git d e ma nœuvre s artistiques m omentanées, prof itent d’ un agent fi xateur qui non seulement les pérennise, mais les ama lgame : l’ œuvre W e b . Nouve l enc oda ge, nouvea u te rritoire, nouvelle interprétation, l e site of fre une synthèse des travaux d e Fréchette, a limentée par l a per spective d e Ble u diode sur
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ces mêmes tr ava ux. D’une part, s e suc dent aléatoirement sur l a page d’accue il de s ima ges d’ar chive s récoltées a u quartier général d u performeur, notamment d e nombreuses photos. Elles sont ici « remixées » , c’est-à- dire recoloriées, modifiée s par l’ajout d e texte e t d’ un eff et glitch 13 à lignes ir régulière s o u ondulée s qui me uble le s tra nsitions entre c ha que photo. D’a utre part, e n c liqua nt su r l’icône d u marcheur , une nouvelle page s’affiche pour l’internaute, qui a ssi ste alors à une des perf ormance s péditextuelles d e Fréchette. T outefois, c e n’est pas u n enre gistreme nt vidé o qui nous e st pr ésenté, mai s plutôt l e tracé GPS issu l a performanc e. E t c e tracé a ppara ît lentement sous nos yeux, lecture lente qui s e fait pas à pas, a u r ythm e réel d e l a marche a u c ha mp. Entre le s deux captures d’éc ran i l s’est éc oulé plus d e vingt m inute s pe nda nt lesquelle s les signes appar aisse nt sur l a pa ge comm e pa r ma gie compte tenu d e l’ invisibilité d e l’a ge nt traceu r .
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[FIGUR E 4] Capture d’é cra n du site : https://topo.art/arpe nteur/ ( 15 décembre 2022, 21h54)© L ’Arpenteur. Tous droits réservés.
[FIGUR E 5] Capture d’é cra n du site : https://topo.art/arpe nteur/ ( 15 décembre 2022, 22h15) © L’Arpenteur. Tous droits réservés.
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L e dispositif incite l a lecture à émettre différe nte s hypothèses quant a u texte qui sera affiché , lesque lles s e confirment o u no n a u fur e t à mesur e que les lettre s son t formées. Rarement l e temps d e l’écriture et l e tem ps d e l a lecture a uront é a ussi é quivalent. L a le nte ur per met e n plus d’explorer , d’analyser , d’interpréter tout c e qui supporte l e tracé sur l a page, en parti cul ier l ’i mag e d e fond, qu i reste stable pendant l e tr acé mais c ha nge s i l a page est rechar gée. L ’œuvre W eb fixe donc Agr otexte e t L ’Arpenteur su r plusieurs plans. Elle s e c onstitue e lle-mê me en arc hive, par l a matièr e sou rce (ce rta ins péditexte s d e 2022, certaines images d e 1982) qu’e lle rend disponible sous une autre forme, et c e, jusqu’à l a dispar i tion d u site, s i e lle a lieu. L ’art performance est par définit ion éphémère : l e tem ps d’une exposition est com pté, circ onsc rit par de s dates d e début e t d e fin, ta ndis que l’existe nce d’une œuvr e W eb n’a pas d e durée limitée, à moins d’avoir été programmée comme tel, o u que l’équipeme nt ( matièr e su r disque dur , par exemple) s e détériore. D e plus, l’œuvre W eb fixe ensemble les deux performances e t les fait fondre e n une seule, comme l’ illustrent les dernière s captures d’écra n : photo d u c ha mp labouré su r la quelle s e superpose l e tr acé nouveau qui per met l a lec ture
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sim ultanée de s mots d e 1982 e t d e 2022. Finale ment, l a fixation permet l a répétition : l’ interna ute c onsulter a l’œuvre auta nt d e fois qu ’i l l e souha it e, pa rfois u n poème nouveau sera tracé, parfois n on, mais ce faisant , i l duplique l’acte perf ormatif qui, e n réalité, n’a e u lie u qu’ une seule f ois. Le Grand Œuvr e Pour conclure, nous a llons pr oposer que lqu es pistes inter prétatives que l’ ana lyse d u processus alc himique qu i a transformé Agrotexte e n Arpenteur a fait ressortir . E n plu s d’inverser les codes c omm uns qu’ il est c o utume d’opposer da ns l’ étu de des ar ts numériques ta ngible / intangible, ma tér ie l / vir tuel, inspira tion / programm ation, pére nne / éphé mère c’est toute l a logique bina ire qui semble ic i m éta morphosée en une logique plur ielle d’hybr idation e t d ’in corporation, o ù c e qui s’ oppose e t s’exclut généralement s’am algam e ic i spé cif iqueme nt. Rappelons l a mission du du o : « Bleu diode conçoit des dispositifs qu i intè gr ent l’ar t d u rem ix comme é léme nt d’intrusion perturbateur, o ù l e facteur humain a git e n algor ithm e im pré vu dans u n envir onnem ent toujour s plus automatisé. » 14 L ’oxymore, « algorithme imprévu » ,
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revisite l a définition d e l’a lgor ithme, la quelle compor te certes une part d’aléa toir e ma is pr ésuppose une programma tion qu i évac ue l’ impré visibilité. L e détournement est accentué par l’identif ica tion d u « fac te ur humain » comme u n algorithme potentiel. L ’humain, être d e chair et d’os, s e transf orm e ici en composé virtuel. Dans L’Arpenteur , Fr échette constitue ce « facteur huma in » qui « agit e n algorithme imprévu » , par l e pr ogramme qu’ il s’est fixé ma is dont l e résulta t c om porte une bonne dose d’impr évisible com pte tenu d u doma i ne pe rform atif da ns leque l s’inscrit son ar t. L a tra nsforma tion opère a ussi su r l’opposition m atériel/virtuel, qu’il e st te ntant et c om mu n d e corré ler à l’ opposition ta ngible /intangible. Ce qui est matérie l peut ê tre vu , touc hé, ma nipulé, c e qui e st virtue l relève d u domaine d e l’abstrait, d u pote ntie l. E n incorporant des signes d’ Agr otexte dans L ’Arpenteur , l e projet m atérialise e n l a rendant autrement tangible l a performance, tout en prolongea nt s a dur ée d e vie par ce tte existe nce nouve lle. Plus en cor e, e n ret ournan t à Saint- Ubalde, ma is e n faisant c ette fois tra nsite r les nouvelle s performanc es par l a technologie GPS, l e projet réa ffir me une matérialité autre, l e champ s e confond avec l’é cra n. Sans en avoir l’intention, Jean-Y ves Fréchette et Bleu diode auraient donc travaillé au Grand Œuvre, tel
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qu’ on nomme l a réalisa tion d e l a pierre philosopha le, e t peut-être on t- il s tr ouv é l’élixir d e longu e vi e, à moins q ue l’œuvre W eb, u n jour , n e disparaisse… elle aussi. 15 L a magie alchim ique que ce t artic le a tenté d e r essort ir s’appuie moins sur les symboles e t autr es signes d’occ ultisme que sur le s opér atio ns e t procé dés ayant permis l a réalisation d e L’Arpenteur . Nous avons tiré parti d e l a conc eption d u Grand Œuvre d e Franç ois L e Lionnais, ingénieur chimiste d e form ation. Dans son tableau, l e « Grand Œuvre » en question n’e st ni figuré ni repré se nté : il s’agit bel e t bien d’ un tablea u opér ati onn el, qu’il est aisé d’alimenter des constituants d e L’Arpenteur : O péra t io ns Dést ructura t io P urif ica t io n Réduct io n Fix a t io n
L ’Arp enteu r Le ch am p Le q u ar tier g é n é r a l
La V itrin e T OPO
L œ u v r e W e b
Comme quoi l’étude des proc édé s, à l’ inve rse d e c e qui es t généralement adm is, permet parfois d e fair e appa raître un e certa ine ma gie, sans pour a utant perc er quelc onque mystèr e.
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Références numériq ues https://www.agencetopo. qc.ca/wp/events/event/larpenteu r  -bleu-diode/ http://topo.art/a rpe nte ur/ https://www  .bleudiode.com/ https://www  .facebook.com/bleudiode https://www .youtube.com/watch?v=WEsh1t8IlGs : Geneviève ALLARD, T erre trace tangible, de l'Agr otexte à l' Arpenteur, court- doc ume nta ire, 2022. https://www  .nathanrae.co.uk/gpsart https://gpsdra wi ng. info/en/ wor ks/ pea ce- on-eart h/
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NOTE S 1 Je remercie Jean-Y ves Fréchette, Isabelle Gagné e t Stefan Bur idans alias Sve n pour leur tem ps e t leurs réponses a ux que stions qui ont ser vi l a réfle xion. D e même, j e remer cie Peter C onsenstein pour s a lectur e attentive e t David Nadeau pour le s piste s suggér ées. 2 M aria (III e siècle). C onnue aussi sous d’a utre s noms, dont Miriam Pr ophe tissa o u M arie l a Juive, Maria est une alchimiste réputée pour cet axiome : « Un devient deux, deux devient trois, e t du troisième vient l e prem ier com me l e quatrièm e » . O n lui attribue l’ inve ntion, à tout l e moins l’usage d e cer ta ins a ppare ils qui se rve nt aujour d’ hui dans les laboratoires d e chimie o u a u quotidien, comme l e bain- mari e. Albert l e Grand (1193-1280). À noter que L’influence d’un livre , considéré par plusieurs comme l e premier roma n québécois, met en scène Charles Amand, un personnage adepte o u philosophe , suiva nt le s pr in cip es e t subiss ant l’influence d u Petit Albe rt . Parace lse (1493-1541). Célèbr e a ute ur prolifique, méde cin, fils d e dec in sensible aux éléme nts d e l a nature, versé dans l’ a lchim ie e t s a m éta physique. 3 Alain QUÉRUEL, L’alchimie, Eyrolles, 2013.
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4 Alfred JARR Y , Gestes e t opinions d u docteur Faustr oll, pataphysicien , Paris, Fasquelle, 191 1. Irène HILLEL- ERL ANG ER, V o yag es e n kaléidoscope , Paris, Georges Crès, 1919. Brunella ERULI, Jarry , i mostri dell’ immagine, Pisa, Pacini, c oll. Saggi critic i, 1982, cité e dans Alfred Jarry L e Colin-Maillar d cérébral , thèse d e doctorat d e Julien SCHUH, Université Paris IV-Sorbonne, 2008, 1 7. 5 Le nom d u du o fait référe nce à l a lum ière bleue que dégage les écra ns, eux- même s constitués d e diode s électrolum inesc ente s. 6 Dans Oupeinpo. D u pote ntie l dans l’ art , Se uil, 2005 (1981), 1 3-14. Pour u n a perç u des tra va ux d e l’Oupe inpo liés a u T ableau, voir cette reproduction :
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7 Cité par Alain QUÉRUEL, o p cit . 47 . Dans une note, Quéruel précise s a source : « Dans l a traduction d’Albert l e Gra nd proposé e par Alber t P oiss on pub lié e à l a bibliothèque C hacomac ( 1891), o n pe ut lire : 1 / décom poser; 2 / lave r; 3/ duir e; 4/ f ixer » , 104. 8 À mai n levée, d e l a même manièr e qu e Nath an   Rae e t à l’inver se d’une tec hnique d e c onnexion point par point, e n metta nt l e dispositif GPS e n pa use e t e n l e red émarr ant à différents endroits, technique privilégiée par l’ar tiste japonais Y assan pour PEACE on  Earth , 2015. 9 Pour clore l’événem ent c ommé moratif d u 1 0 oc tobre, l e public (parents, am is, organisateurs d e 1982, cultivateur s d e l’époque) é tait invité à marcher sur l e cha mp pour trace r « Agrotexte ». 1 0 Paris, Classique Garnier, coll. « Études de littéra ture des XX e et XXI e s ièc le s », n° 82, 2019, 79. 1 1 Communication personnelle. A vec l’aimable autorisation de Jean-Y ves Fréchette. 1 2 Il existe d’autres variantes que la partie pour le tout, comm e le genre et l’espèce. 1 3 Il y a lieu d e s e dema nder s i l e glitc h pourra it ê tre considéré comme u n clinamen num érique. Erreur da ns l e syst ème, l e glitch s e disti ngue d u bug e n c eci qu’ il constit ue une défaillanc e qu i r ésulte d’u n
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dysf onctionnement inter ne, plutôt qu’ un défaut d e protection contre u n événement extérieur . Ainsi, provoquer un « effet glitch » , c’est faire dérailler l e système d e ma nière inte ntionne lle. 1 4 https://www.bleudiode.com/ consulté le 19 décembre 2022 . 1 5 La question de la pérennisation de l’œuvre numérique est un enjeu majeur qui pourrait faire l’objet à elle seule de tout un article. Je fais ici un clin d’ œil à la performa nc e de LopLop, Million, à laquelle a participé TOPO, soit la destruction d’un million d’œuvre s numér iques cr éée s pour l’occasion, entr e le lundi 22 a oût 2022 et le same di 3 septe mbr e, 17 h. https://www  .agencetopo.qc.ca/wp/events/event/million- loplop  /

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The fir st comm unic ations o f th e Ou lip o clear ly indicate tha t th e gr oup looke d f or war d t o wor king with com puter s t o explor e potentialit y i n lite rature. I n his minutes for the OLiPo’ s meeting o n 2 2 December 196 0 (one month before th e grou p dec i ded t o ca ll i t sel f OuLiPo ), Jacques Bens declares a s « TOP SECRET » that two mem be rs will seek the support o f the inf orma tion tec hnology comp ani es IBM an d B ULL t o « te nter d’utiliser des machines électr oniques pour différ ents travaux d’analyse litté rair e. » 1 I n « L a LiPo » ( fir st published i n 1961 b y the C ollè ge d e ‘Pata physique) Franç ois L e Li onnais dec lare d the Oulipo woul d systematic ally and sc ientifically sea rch fo r ne w wa ys t o write literature « e n recourant au x bons office s des machines à traite r l’ informa tion. » 2 During his inter view with Georges Charbonnier i n 1962 Ra ymond Que nea u
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antic ipated that t he Oulipo would discover ne w wa ys t o create liter ature f or other wr iters b y levera ging com putation: « Nature lleme nt, i l f audrait qu’on a it de s machines qui travaillent pour nous. Cela v a venir . Cela viendra, nou s l’espérons, puisque ces mac hines e xiste nt, a utant s’e n servir . » 3 In L a L ittérature potentielle (créations, r é- créations, recréat ion s) , published i n 1973 for a broad audience, the Oulipo does no t elabora te muc h o n the ir enthusiasm for compute rs, other than a br ief but helpf ul explana tion from L e Lionnais o f ho w com puter language s ena ble huma ns to communicate with ma c hine s. 4 A more compr ehe nsive and t heore ti ca l investigation o f using inf or mation te c hno logy t o e xplore pote ntia lity appea rs with the 1981 publica tion o f Atl as d e littérature potentielle . Th e volume contains a section o n « Oulipo e t inf orma tique » with contri b ut io n s b y Pa u l Fournel an d Paul Bra ffor t o n de monstra tions o f Oulipia n combinatory works (such a s Queneau’ s Cent mille milliards d e poèmes ) adapted as interac tive computer programs. 5 Ita lo Calvino spec ulates on using computers t o help writer s sort thr ough combi nator ia l complex i tie s an d find a n esthetically appropr ia te solution. 6 Most signific ant,
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however , i s the ess ay o n « U n système formel pour l algorithmique littéraire » (USF AL), where Paul Braffort offer s a deta ile d explanation o f how computer programming ca n help writers specify the constraints the y use. 7 USF AL, along with the complete computer program written b y Braffort t o generate Marcel Bénabou’ s aphor isms, pr ovide s a tutoria l for programming i n a com puter language and enables the reade r t o experime nt with code to see how it works t o ma ke t exts. The Atlas was republished in 1988 with a new essay by Braffort on « Form alismes pour l’analyse e t l a synthèse d e te xte s littéraires » (FASTL), which replaced the one o n USFAL. 8 The Atelier d e Littérature Assistée par l a Mathématique e t les Ordinateurs, o r th e ALAMO, had been formed in 1981 a s « une organisation sœur (ou fille) d e l’Oulipo » focused o n developing com puter a pplica tions f or ge nera ting literary texts. 9 Braffort uses m uc h o f the essay t o give a report o n the ef forts o f the ALAMO t o devel op tools s o that writer s ca n de fin e algor ithm s and e ventua lly produce works. Abandoning th e computer programming tutorial and any refere nc e t o a spec ific program ming la ngua ge o r concrete examples o f code, Braffor t outline s a n am bitious theory o f literar y structure com b ini ng Chom skia n
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linguistics with the axiomatic reasoning of the Bourbaki group of mathem atic ians. FASTL represents the final attempt by the Oulipo t o under stand ho w computa tion relate s t o potential ity i n literature. 1 0 Ev en though the ALAMO included Oulipians such a s Braffort, Béna bou, Paul Fournel and Jacque s Rouba ud, the Oulipo itse lf did not explore the us e inf orm ation tec hnology a s i t ha d ima gin ed i n its ear ly days, an d i t moved t o other pur suits. The Oulipo ma de a conscious (and, s o far , unreversed) decision t o avoid computation as a means for exploring potentiality . The USF AL and F ASTL essays have received very little scholarly attention, despite their f oc us o n ho w com puter s c ould b e used t o a na lyze e xisting str uc tures i n texts and synthesiz e ne w ways t o write. How d o these essays differ? Why did F ASTL replace USF AL? Ho w does the shift from USF AL t o F ASTL reflect an evol vin g under standing o f the us e o f algorithms i n ge ner atin g literary texts? An d finally , are there any lessons t o b e learne d about c urre nt re sear ch o n ar tific ial inte lligence from the Oulipian f or ay int o using com put ation a s a t oo l for reading and wr iting lite rature ?
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Unchan gin g princip les Braffort begins USFAL an d F ASTL with nearly the same pr eamble, reca lling the fir st words f rom Mar x an d Engel’ s Manifesto o f th e Communist Party and therefore announci ng a not her Oulipia n ma nife sto a longside t h os e writte n b y L e Lionnais: U n spectr e hante l’OuLiP o : celui d e l a formalisation. A vant même que l’éternelle brigade eût quitté l’imm anence, les pères f ondateur s évoquaient u n la bor atoire o ù l e langage mathéma tique, puis l’outil inf orma tique d evra ie nt fournir un e contrib uti on essentielle. 11 In F ASTL h e modifies this only slightly with « les pères fondateurs caressaient l e projet d’un l abo ratoir e. » 12 I n both cases h e sugge sts a pla ce whe re individua ls with technical skills work with theor ie s and equipm ent t o make litera ture. This notion o f a la bora tor y a l igns well wi th the ouvr oir , o r workplace where, traditionally , women gathered t o se w gar ments a nd which the Oulipo adopte d t o c onve y a s en se o f collabora tive artisanship. 1 3 T he Oulipo has a lways been under stood a s a collec t ive, b ut
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Braffort emphasizes th e im portanc e o f m athema tics an d com puter s a s the necessary and recipr ocal mea ns f or codif ying an d impleme nting fo rma l def initi ons o f literature among a ca dre o f skilled worker s: « Cer tes, i l y faut de s moye ns ( sa ns doute inf orma tique s) et surtout des ouvr iers […]. » 14 T o a certain degree Braffort mainta ins a consiste nt approach t o formalization i n develo pin g USF AL and F ASTL. Th e key t o an ef fective formalization for specif ying literary constraints i s a system o f nota tions tha t allow for the sym bolic repre se nt ati on of les e ntités sur le squelles on r aisonne les opér ations à quoi elle s ser ont soum ise s les re lations qu’e lle s pourront entre te nir la  syntaxe à laquelle obéiront le s sym bole s repré se ntant entités et rela tions 15 This i s a mathe ma tical system tha t rem oves am biguity concer ning ho w e ntitie s suc h as wor ds are arra nge d according t o precise r ule s. Entities ne ed no t b e limite d t o words only , and this i s the power o f formalization. Th e abstra ction a fforde d b y a syste m o f notations a llows for other kinds o f entitie s (such a s le tters an d phonem es a s
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well as whole verses and paragraphs) to undergo the same operat ions and re lations following a n e sta blis he d s ynta x : « Qui n e rêverait que l e palindrome usue l (de le ttr es) pût servir d e modèle à un palindr ome d e syllabes, d e m ots, d e personnage s e t même d’événeme nt s . » 16 T here i s clear ly a n am bi tio n wi thi n th e Oulipo t o e xtend formalization be yond letter s and wor ds t o enc om pass a nd control broader dim e nsions o f liter ature. For Braffort, the Oulipo’ s ef forts t o formalize pote ntia l litera tur e will re quire « u n proc essus itéra tif » based o n « a pproxima tions succe ssives. » 17 One rea son for this trial- an d-err or approach i s that wr iters ha ve tra ditionally re lied o n natura l langua ge t o e xpr es s the constraints they use, but natural language does not posse ss a n adequate degree o f rigor and specificity . In borrowing from m athematics, th e nee d f or prec ision i n defining a nd applying formal structures increases. More importantly , however, i s ensuring that the formal la ngu age achieves its intended pur pose. L e Lionnais had already recognized tha t programming c om pute rs t o perf orm tasks re quir ed considerable la bor: Savoir parler correctement à une machine c’est- à-dire lui indiquer tout ce qu’elle devra faire pour
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accompli r l a mis sion qu’ on lui assigne est […] un art… e t un e corvée fastidie use. Le s occ asions d e s e trom per sont i nno mbrables, e t, auc une intuition n e nous guidant dans ce travail, o n n e peut éviter le s erreurs qu’au prix d’une attention e t d’une patie nce peu com patibles ave c l a pr ime sa utièr e menta lité humaine. 18 By developing USF AL and then FASTL, Braffort expects implementation challe nge s. A f orma l syste m for instruc ting a mac hine t o rec ognize an d build a partic ular linguistic pa tte rn will e ncounter unfor eseen te chnica l challenge s. Forma liz ation will re quire adaptation t o th e constra ints o f a give n machine and platf orm. Despite the challenges, Braff or t believes that with persevera nce the literary programmer will ultimately im pos e his will o n the machine and instruct it to produce desir ed output. Braffort anticipates th e e ve ntua l ca ta loguing o f literar y c onstraints through a pr ogram min g la nguage tha t can both define a structure an d ver if y t hat a te xt mee ts th e necessary conditions for the str uc tur e, ca lling a c onstra int o n formalized writing a pr escriptum , and relating this method o f formaliza tion t o ma thema tic s and pre dica te logic: « nous associe rons u n système d e prescr ipta d e la
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même faç on que le s mathém atic ie ns définiss ent un e str uc ture mathé ma tiq ue e n é nonç ant les postulats qui e n spécifient les propriétés. » 19 A prescriptum will codify a par ticular constraint a s a n expression that c an b e evalua te d ultimately a s a Boolean value o f « true » o r « fals e ». A prescr iptum for a palindrom e would evalua te a s « tr ue » i f th e prescriptum, a s a computationa l func tion, r ece ive d a s input a sequence o f charac ter s that rem ained the sam e when the sequence was re ver sed. The re sults o f using c om puta ti on t o suppor t literar y creation will build o n tra ditional ca te gori es for te xts and lead t o a new form o f creativity . USFAL an d F ASTL both promise to « rendre explicites les jeux d e contra inte s dont u n auteur n e saurait s e passer, afin d’y rendre possible s calculs e t déductions rigoureuses. » 20 Bra ffor t pr opose s calling this litera ture « non j ourdanie nne, » in refere nce t o Monsieur Jourdain from Molière’ s Le Bour geois gentilhomme wh o, wanting t o bec ome a man o f le tters, learns that « T out c e qui n’est point prose est vers; e t tout c e qui n’e st point ver s est prose. » 21 Bra ffort insists tha t « l a fr ontière qui s’y dessine n’est plus entre poésie e t pr ose, mais entre textes quasi am or phes e t textes à f or te s contraintes. » 22 W ith constraints rigoro usl y defined for a com puter, their application will lead t o new possibilities:
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L e f orma lism e, et l’ histoire de s Sciences nous l e montre bien, n’est pas u n carc an. S i l’ on réussit à surmonter l’ aridité pa rfois e xce ssive des symbole s, o n c onsta te que l a concision qu i résul te d e le ur emploi est pour l’imagination u n s tim ula nt irrem plaça ble. 2 3 Both USF AL and F ASTL imagine a new way t o write literature requiring the us e o f computation. W orking with a mac hine involve s m anipulating a sym bolic la ngua ge tha t may seem initially im penetra ble, but pa tie nt experimentation can lead t o a technological prof iciency i n expressing oneself, ope ning ne w possibilities f or liter ar y creatio n. USF AL Braffort’ s initial attempt t o outline a theory o f forma liza tion f or the Oulipo r esponds t o a r ecognition t ha t everything the Oulipo has discovered e xploring ne w way s t o write verse « dem eurait modeste e n ce qui c onc erne l a com plexité des structures nouvelle s que l’ on pr oposait. » 2 4 What i s nee ded i s a system o f for maliza tion tha t not onl y
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describe s constr aints bu t a lso « [ perme tte ] l e calcul . » 25 Braffort finds a solution i n the computer programm ing language APL, developed in the 1950s by Kenne th I verson who had taught a ppl ied mathematics a t Har var d bef ore joining IBM. APL stands for « A Programming Language » and acc ording t o Iverson i t i s inte nded t o « b e c onci se, precise, consiste nt over a wide are a o f applica tion, mnemonic, and economical o f symbols. » 26 APL consists o f no n-Latin symbols, ver y of te n base d o n Gree k letter s, with precise mea nings for e ntitie s, rela tions, an d operations that must follow a strict syntax. I n USF AL Braffort of fers a n extensive demonstration o f how APL symbols can b e used t o de scr ibe processe s f or manipulating c hara cter data. Here is a sam ple fr om whic h th e r ea der ca n infer what the notation me ans: 3 ‘P AUL P AU M 3 2 ‘O U LIP O O U LI PO 2 1 M O
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L 3 ‘P AU L L 2 1 M P ‘P AUL LUAP 27 W ith numerous sn ipp ets o f code the reader ca n reproduce o n a computer system, USF AL effectively serves a s a programming tutorial for APL. Braffort recognizes that « cette longue énumér ation des sym bole s pe ut la sser l e lecteur » but h e urges th e reader t o return t o the exam ples h e dem onstra te s t o fully under st and and make us e o f them. 28 Through APL, USF AL implements simple structures for building more comple x struc tur es. Af te r presenting his programming tutorial, Br affor t ima gine s how APL c ould b e augme nte d t o facilitate liter ar y creation. H e describe s abstrac tly a se t o f globa l varia ble s for linguistic r esources. These re sour c es inc lude a n alphabe t, a list o f phonem es r ecognized b y spea ker s, a lexic on, a list o f synta ctic ca tegor ie s that represent the rules o f correct sentence f orm ation, an d a list o f sem antic
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categories that re pre sent how sente nce s are meaningf ul. Braf fort does not pop ulate these lists with values because th e lists are spec ula tive : h e note s tha t « pour [ …] l a description des contraintes a lgor ithm ique s d e l a littéra tur e […] i l n e sera pas nécessaire, en général, que les obje ts e n question soie nt entièrem ent spécif s. » 2 9 H e a lso anticipates the eventua l de ve lopm ent o f func tions for transf orm ing se quences o f phoneme s into wor ds (thu s transcribing a te xt) and for tra nsfor ming seque nce s o f words i nto phone me s (thus pr onouncing a te xt). 30 Once fully deve loped, the se reso urce s would b e imm edia tel y available for processing. APL lends itself particularly well t o this setup bec ause t he pr ogramm ing la ngua ge i s designed t o b e use d i n what i s refer r ed t o i n AP L programming a s a workspace (or what Br affor t ca lls a n « envir onnement » ) that offers two proce ssing m ode s: the eva luat ion o f objects consisting o f numbers, charac ter s, and vectors/ma trices o f num bers an d char acter s; and the def inition o f f unc tions tha t ca n b e store d a nd invoked a s needed t o perform operations o n objects. T ogether , these processing m odes enable one both t o test how well a c ode snippet o f APL formalizes literary structure and t o store encoded f orma liza tions f or the eventual gene ration o f texts.
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USF AL thus affords a n elemental system o f formalization: i t pr ovi des basic operations for sim ple da ta, allowing the pr ogra mmer t o constr uc t more comple x linguistic str uctur es. In 1981 Ive rs on explai ne d tha t a n effective programm ing language should not only allow fo r th e execution o f tasks with a c om puter bu t a lso « [m ake ] possible precise t hou ght exper ime nts » thr ough « the lac k o f ambiguity . » 31 Fo r Iverson, a programming language should deploy « nota tion as a tool o f thought » tha t, am ong other benefits, enables th e programmer to c reate c ode tha t suggests applications for other purposes. 32 Braffort’ s criteria for effective notation i n USF AL and F ASTL (in particular , prescripta) follow Iverson’ s thi nking, but the implementation o f APL for USF AL manifests concretely a form alization that ca n lea d t o inve ntion. Her e i s Braffort’ s function in APL that defines a palindrome: [0] Z P ALINDROME X [1] Z / X = X 33 If a palindr ome i s a sequence o f obje cts (for instance, letters) that reverse s its e lf a t its midpoint, a sym bolic repre se ntation o f this str uc tu re should suggest wa y s other objects ca n b e sequenced similarly an d precisely . If
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symbolic notation can b e used t o inve nt ne w structure s for specif ic objec ts, those structure s ca n indicate new possibilities for other, perhaps unimagined, objects. 34 In addition t o the palindrome, Br aff ort pr ovide s i n USF AL several examples o f prescripta that formalize literary constraints. These prescripta inc lud e APL code for testing i f two words rhyme, i f a text c ontains two quatr ains and two terce ts, i f e ach verse contains twe lve syllable s, and i f the text foll ows an ABBA ABBA CDC DCD rhyme scheme. The prescr ipta c an b e combine d t o def ine forma lly a sonnet: [0] Z SONNET X [1] Z1 14 = 1 X [2] Z 2 ( S ) = 14 12 [3] Z3     (TYPO X) = 4 0 4 0 3 0 3 [4] Z 4 RIM E / S (1 4 5 8;) [5] Z 5 RIM E / S (2 3 6 7;) [6] Z6 RIM E / S (8 10 1 2;) [7] Z7 RIM E / S (9 11 1 3;) [8] Z Z1 Z2 Z3 Z4 Z5 Z6 Z7 3 5
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The code for the sonne t shows how f orma lization i s elemental i n USF AL. Postulates that ensure the text conta ins e xac tly f ourtee n ve rse s (line [1]) with twelve syllable s eac h (line [2]) ca n b e e xpre sse d using the symbols i n APL, but more complicated constraints like stanza structure and rhyming scheme s re quire the ir ow n prescr ipta (or wha t progra mmer s today would c ode a s subroutines) that can b e formalized separately . Prescripta can e ve n define f orm s tha t tra nsgr ess c lassica l structure s: « o n voit sa ns pei ne comm ent e xploiter cette tec hniq u e pour spécif ier form ellement l’ensem ble des gles d e l a prosodie usuelle. » Même l e conseil d e V erlaine « préfère l’impa ir » s’e xpri me en prescri pta : 2 | X = 1 » 3 6 The code examples in USF AL serve as proof of the conce pt o f the pre sc riptum, but e lsewher e i n the Atlas Braffort offers a more substantial formalization o f literar y constraints for implementation with a computer . The section « Pr ose e t com bina toire » inc ludes a n e ntire program written i n APL for genera ting a phor ism s according t o th e method outlined i n Marcel Bénabou’ s «Un aphorisme peut e n c acher u n autre . » 3 7 na bo u provides a list o f template s for a phor isms with placeholders for nouns, such a s « A est l a continuation de
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B par d'autr es moyens. » H e also compile s lists o f nouns one can insert i n the templa tes, suc h as the antonym s « amour » an d « haine. » Generating new aphorism s require s procedur es for no t only selecting a tem plate and nouns bu t also assuring grammatical correctness. All these tasks ca n b e explaine d easily a s a n algor ithm i n natura l la ngua ge , but Braffort seeks t o d o s o thr ough a for m al nota tion tha t assures in tentiona lity and prec ision. The algor ithm ca nno t ge nera te all possible aphor isms beca use ther e are n o com plete lists o f possible tem plates an d nouns, bu t i t ca n produce aphorisms e xha ustive ly with the data supplied b y th e programmer . Braffort writes the program s o that the letter s i n a user ’s name determine the selection o f templates an d nouns. Here i s what happens when a user inputs « P AUL BRAFFOR T » (see Figure 1):
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[F IGURE 1] Paul Braf fort’ s aphorisms. S ource : APL X. It i s beyond the sc ope o f this artic le t o expla in i n deta il how the progra m works. The a mbitious r eader ca n e nte r th e program into a current APL interpreter such as APLX 3 8 and study ho w th e sym bolic nota tions facilitate the
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def inition o f structures for tem plate s, nouns, and othe r data needed to generate aphorisms. Appendix I contains a minimally transcribed version o f Braffort’s program 39 that runs o n APL X . This i s the most e la borate publishe d com puter program wr itten b y a mem ber o f th e Oulipo for th e Oulipo. Braff ort asserts that the program publishe d i n th e Atlas pr ovides « une analyse tout à fait c om plè te de s procédur es m ises e n jeu [pour donner ] a u lecte ur une idé e précise des rapports entre l’ inf orm atique e t l e tr aiteme nt du langage matriciel. » 40 H e supports this claim in USFAL with documentation o n how h e wrote the program i n APL, all owi ng the reader t o ver if y the code t o see how i t works a s a n operationa liz ation o f literar y f orma lization. F ASTL By replacing USF AL with F ASTL i n the 1988 edition o f the A tla s , the Oulipo rendered Braffort’ s progra m for ge ne rating a phor isms impossible t o understand. I n FASTL Braffort mentions his earlier use o f AP L but claim s that « les c ommentair es des lec te ur s et notre propr e expér ience nous ont c ondui t à modifier considérable me nt notre appr oc he, a u m oins en ce qui concer ne l a formalisa tion. » 41 The cha nges to
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formalization introduced i n F ASTL reflect a n effort t o reconcile a n under standing o f ge ner ative gramma r with th e a xioma tic rea soning o f the B our baki m athema ticia ns. Formalization in F ASTL is necessarily hierar chical , with th e expec ta tion that low-le ve l linguistic patterns will b e reproduced a t higher levels. The choice o f postulate s a t the founda tion o f a xiom a tic r easoning represe nts a c onsc ious esthetic choice for creating te xts. It will b e evide nt in wha t follows that such a choice ca n over determ ine the constraints and limit the perf orma nce o f algor ithms. Braffort revises hi s assessment o f the Oulipo’ s efforts at formalization b y c laiming tha t ever ything the Oulipo has discover e d « n e pr oposa it guè re d e structure nouvelle véritablement complexe. » 42 The problem stems from the difference between formal langua ges an d natur al languages. Despite a dvanc es i n infor ma tion tec hnology (Braffort i s writing i n the mid 1980s), com puter programming langua ges c annot a de quate ly ca ptur e the com plexity o f natural language s. Liter ature ofte n exploits refle xivity in la ngua ge but a system o f for maliza tion must avoid circularity . 43 What i s needed i s a system o f com pelling artif ice s added t o natura l la nguage tha t ena ble writers t o exploit natura l la ngua ge i n f or maliza ble wa ys. Such artifices are not ne w i n huma n effor ts t o cr eate
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knowledge : « tout ce qui contri bue à pré senter e t à interpréter l e m onde qui nous entoure […] forme un je u d e tels artif ice s tout comme ces outils par ticulier s que nou s offrent les technol ogi es y compr is l’informa tique. » 44 Braffort claims that all ef forts t o make sense o f the world ultimately involve metaphor an d analogy . These artifices rely o n isomorphism s between differe nt wa ys o f knowing and es tablish « des a nalogies d e struct ure s. » T he u se o f metaphors and ana logies ser ve s as « u n a lgor ithm e univer sel d e rationalisation e t même d e forma lisa ti on. » 45 Part o f the shift from USF AL (which deployed a progra mm ing langua ge t o desc ribe a ny linguistic patter n) t o F ASTL involves a n initial assertion that formaliza tio n must b e based o n rec urr ing patter ns. By placing recurrence as a condition for a n a de qua te system o f formalization, Braffor t atte mpts t o f use generative grammar with artistic intentionality . I n Syntactic Structur es Noam Chomsky e xpl ains the goal o f what is comm only known a s ge ner ative gr a mmar: The fundamenta l aim i n the linguistic ana lysis o f a lan gua ge L i s t o separa te the grammatical sequence s which are th e se ntences o f L from th e ungrammatical seque nce s which are no t s ent en ce s
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o f L and t o study the structure o f the grammatical sentences. The grammar o f L will thus b e a device that generates all o f th e grammatica l se quences o f L and none o f th e ungr a mmatica l one s. 4 6 Braffort’ s approach t o formalization for computation largely follows Cho msky’ s idea with a few important modifications. Instead o f grammar , Braffort wants t o def ine literary structure, which, fr om a formalist per spective, should follow a define d set o f r ules ( the cli namen 47 notwithst anding). Chom sky begin s w it h th e prem ise tha t the r ules o f gramm ar are a lre ady esta blishe d (through inna te knowle dge ultima te ly grounde d i n biological dete rm ini sm) and disc overa ble b y caref ul analysis. One cannot inve nt a gram matica l struc ture, one can only generate a sente nce that c onforms t o a lrea dy determined grammatical rules. A novel lit erary structure, however , can b e invented, and formalization will define th e structure precisely . The problem for Braffort with a stric tly genera tive lit erary gramma r i s tha t i t can pr oduce undesirable results. F or him there need t o b e lim its on what counts a s a literary te xt pr oduced accor ding t o formalizable rules. Chomsky recognizes th e differe nc e between grammatical corr ectne ss and sem antic se nse b y
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constructing the mea ningle ss sente nce « Color le ss gr een ide as sleep fur iously » 48 but h e doe s not care a bou t semantics i n searc hin g for the rules that define a grammar. Braffort, however , wants t o « échapper au x pièges d’une syntagmatique pur e ment locale, généra trice d e c on tre - exem ples ar tificie ls. » 49 H e see ks a syste m for forma lly def ining literary rules t o b e ba se d o n texts alr ead y recognized as literar y ( « s e « lim iter » à l’ univers d e l a littérature, c’est e n m ême tem ps ouvrir l a r echer che sur u n vaste panorama ») 50 and t o generate texts tha t re pr oduc e this liter ariness. The idea o f hierarchy is alr eady em bedded in what can be f orma lized a s litera ture. The axioma tic me thod o f Bour ba ki guara ntee s tha t meaning will b e intentiona l thr ough the c om ple te c ontrol o f hierarchica l obje cts a nd deduc tive reasoning tha t F ASTL specifies. Given a set o f basic concepts, def initions, and postulates a s deve lope d b y Germ a n mathematicians such a s David Hilbert 51 , Braffort pr opose s building literary structures deductively . The choice o f postulates determ ines wha t i s and i s not possible, and one can f ollow the c ha in o f rea soning t o understand how a structure emerges. W ith the isomorphic artifices o f analogy and met aph or , lo w-level structures provide a foundation for higher-level structures, a ll ba sed o n the
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same mathem atical conce pts a nd pre mises. Using the axiom atic method, the B our baki gr oup envisioned th e discovery o f deep structure s would unite various subf ie lds o f mathematics. 52 The c hoice o f postulate s a nd da ta structures pur posely controls what can b e constr uc te d. Following th e example o f Bourbaki, F ASTL promises t o discover new liter ary obje cts but th e pr om ise i s encumbered b y F ASTL s presuppositions about what constitutes the literary . Braffort identifies three sour ces o f postulates f or F ASTL. H e attributes the first t o what Jacques Roubaud calls « Passe-partout pour l a Poésie » (PPP ) where by « le s contraintes spécif ique s d e l a Poé sie e t le ur artic ulatio n permette nt à une langue d e s e décr ire elle-mêm e. » 53 PP P reflects other principles championed b y Roubaud and endorsed b y Braffor t whe re constr aints not only shape a text but also crea te a space f or spea king about langua ge itself. Earlier i n th e Atlas R ouba ud c laim s that i n some cases a n Oulipian text speaks o f it s c ons tra ints, such a s George Perec’ s lipogram novel L a Disparition . A Oulipian text wr itten with a m athem atiza ble constra int ca n also dem onstrate the conse quenc es o f th e mathema tical theory associated with the constraint, such as Braffort’ s Mes Hypertropes . 54 The formaliza tio n o f F ASTL
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effectively requires some instance of self-refere nce in texts produced algorithmically . The second comes from Pierre Lusson’ s « Théorie du Rythme Abstrait » (TRA) which holds that « l e rythme est l a com binatoire séquentielle hiérar chisée d’événements éléme ntaires discre ts considé rés sous l e se ul aspect d u mêm e et d u différent. » 55 TRA i s a key component in Ro ubaud’s sprawling projet where h e look s for war d t o de ve loping a mathe matize d poetics based o n def initions and oper ations fr om se t theory and abstr ac t algebra a s we ll as the axiom « l a poé sie e st mémoire d e l a langue. » I n his Description d u projet , Roubaud explains that hierarchy i n TRA means « l a com bin atoire rythmique regroupe les événements, qui sont alor s considéré s c omme des événeme nts sim ples d’un niveau nouve au, supérieur 56 Braffort applies this notion t o F ASTL b y recognizing simple textual obje cts (alpha numer ic chara cte rs, sym bols, and punctua tion) a s th e underlying material for m ore complex objects (words, verse s, sta nza s, poems, volumes, series, …). 57 All objects are expected t o dem onstrate TR A through seque ntia lity an d combinatorics a t diff erent scales. The third is the assertion that struc tures will reproduce themselves from one level of formalization to
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another . Braf fort calls this a « Heuristique des Morphismes V erticaux » (HMV): Les conce pts e t les méthodes d’a na lys e et d e synthèse qui opère nt à u n nivea u déte r miné d e l’échelle des structur es te xtue lle s sont é galeme nt valides e t efficaces aux autres nivea ux d e cette échelle, à condition d e donner des vale ur s convenables au x pa ra mètre s. 58 The principal operations o f HMV , grounded i n the universal method o f analogy and metaphor , are substitution and unif ica tion. Braffor t relates substitution specifically t o Marcel Bénabou’ s « Traitement Automatique d u Langage Cuit » (T ALC), o f which the computer pr ogram for generating aphor isms i s a n example, and gener ally t o the la mbda c alc ulus, a f ield o f mathema tics that f ocuses o n how f unct ions oper ate a s rules f or computation ra ther tha n a s m appi ngs f rom on e domai n t o another (input and out put). Br affor t explains unification i n ter ms o f building tree- like str ucture s: « o n constr uit d’abor d de s ar bore sce nce s « loca les » qu’ on assemble ensuite en a rbre s plus gr ands. » 5 9 Th e c ha lle nge for f orma lization i s r endering explic it the links be twee n
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textual objects (both later ally a nd ver tic ally within the hierarc hy) and ensuring that the objects relate t o the worl d i n some meaningful way . Braffort sees th e need for a com prehensive database that serve s a s a n enc yclope dia o f th e « physi que d e l a vie quotidie nne » for c om puta tionally generated texts. 60 Formalization under F ASTL must follow its own internal r ule s but i t m ust a lso ref er t o a n empirically consta nt and ver ifiable wor ld out side it s constraints. It i s th e desire t o maintain interna l consiste nc y within a system o f f orma lization while s eeking rel ata ble external referents for generated texts that leads B raff or t t o abandon the use o f symbols to represent lit erary str uc tur e. H e explains the shif t a wa y fr om AP L a s a m atter o f didac tic pr agm atism: L e réalisme commande, en effet, tant da ns l e domaine d e l'ana lyse que da ns ce lui d e l a synthèse, d e faire pre uve d u plus gr and éclectism e et d'acce pter tous le s systè mes for mels qui nous son t proposés, quitte à aménager de s procédure s d e tra duc tion a utom atique pour les r endre c ompa tible s avec ce lui qui dem eurera, dans c e dom ain e, l e p lu s commode à manipuler , l e plus commode, surtout, à
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mettre en œuvre dans les progra mme s inter actifs, l e langage na ture l, a ugmenté d e quelque s outils « diagra mma tiques ». 61 Braffort renege s o n the pr inciple o f f ormal nota tion presented a t the beginning o f USFAL and FASTL i n favor o f a system based ultimately o n na tura l langua ge. The possible ambiguitie s o f refle xi vity i n langu age are l es s concerning than the obstac le s o f le arning a n esote ric programming language. Braffor t pr oposes tha t inter active programs b e developed for user s, dispen sin g with the nee d t o learn how t o program with a la ngu age like AP L. V arious tools for analyzing and synthesi zin g texts may b e written i n any pr ogramming la ngua ge, provide d the user interface ma kes use o f na tur al language augmente d with visual a ids. Braffort replaces APL with LAP AL Langage Algori thmique pour l a P roduct ion A ss is tée d e Littérature») a s the principal tool for F ASTL. In 1984 h e outlines the features o f LAP AL, comparing i t t o other literary com puter a pplica tions o f the tim e (suc h a s MESSY , T ALE-SPIN, ROALD an d AUTHOR) and noting that they are to o tec hnica l for lit erary cre ation. Renouncing any effor t t o e ncour age th e us e o f a
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programming langua ge t o those who would us e c om puter s a s tools for writing, Braffor t insists « que l’ utilisateur écriva in oublie a utant que possible l a tec hnique informatique pour concentrer son ef fort su r les problèmes essentiellem ent littéraire s. » 62 The e xpla nation o f ho w LAP AL works i s vague because, unlike the presentation o f APL code for USF AL, Braffort offers no examples o f how the c od e wor ks nor doe s h e produce an y out put facilitated b y LAP AL. H e assures that i t operates algorithmically , defining a n algorithm as une fonction qui, appliquée à [un] te xte, considé comm e son argum ent four nit u n résu ltat . Ce résultat est lu i-même u n texte, mais u n text e o ù s e trouve explicitée un e organisation com plexe e t fortement str ucturé e d e fr agm ents d e textes et d’é noncé s sym boliques 6 3 This i s a n unusual de f inition o f an a lgor ithm i n tha t i t gives no consideration to th e importanc e o f pr oce dur e leading t o a n anticipated outc ome. 64 Unlike the la mbda calc ulus, functi ons her e are under s tood as ma ppings bet wee n different sets o f objects with prede term ine d re lations. Postulating tha t the objec ts are hierar chi cal i n structure
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without fir st def ini ng how re lations a re esta blishe d impose s unwarra nte d c onstraints o n w hat i s poss ible algorithmically . The specifications for LAP AL and its expected output re nder th e de sign o f the progra m extremely complex and difficult t o implement. F ASTL does not c ontr ibute i n any signifi cant w ay t o a dvanc e forma liza tion through com puta tion. 65 USF AL, F ASTL, and Complexity The transition from USF AL t o F ASTL dem onstrates a strategic error i n leve ra gin g c om puta tion for ge nera ting t ext s. Rece n t developments i n th e com putational la nguage m odels tha t f or m the ba sis o f artificial general intelligence (AGI) reverse Braffort’ s shif t from a n elemental system for literar y form aliza tion t o a hiera rchica l system. I nste ad o f selecting and forma tting da ta i n adva nce o f processi ng b y an a l gorithm tha t ca n manipulate patter ns i n text (t he appro ach t ak e n with F ASTL), current research i n AGI defines simple entities, operations, r ela tions, and synta x i n a system ou t o f which complex objects emerge (aligning with USFAL). OpenAI, a company spec ializ ing in AGI, has released a computational model of natural language that
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can ge ner ate me aningful response s t o almost any inpu t. For instance, when pr om pte d with the instr uction t o write ten aphorisms i n French using Béna bou s forms an d nouns, GPT -3 (the current version o f OpenAI’ s Generative P re-trained Transformer language model) responds wit h the f ollowi ng : 1 . Un temps pour aimer, un temps pour détester , un temps pour guérir . 2 . La v ie sans amour n'est rien ; la vi e sans  haine ne vaut guère mie u x. 3 . Il est plus aisé de s upp o rt er un ennem i que des a mi s. 4 . La haine ne serait pas si forte si l'amour n'était pas si grand. 5 . Mieux vaut un ennemi avec vérité qu' un am i avec mensonge. 6 . Mieux vaut un ennemi sans haine qu'un ami sans amour . 7 . Un peu de haine éloigne les amis, beauc oup les ra pproc he. 8 . Le chem in qui va vers l'am our passe par la ha ine.
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9 . Ni l'amour ni la hain e ne nous manquent, ma is la vé rit é. 1 0 . La hain e nous délivre de l'ennemi, mais qui nous délivre ra de la hai ne ? 6 6 GPT -3 produced this output with n o explicit attempt t o formalize literary structure. The re sults fr om th e pr om pt exemplif y « zer o- shot » tra ining: the m odel was likel y given n o prior explic it de monstr ation o f a n aphor ism (in French o r any language), an d yet i t was abl e t o perform the task with a high degree o f accuracy . 67 GP T has under gon e a n interesting process o f de velopme nt. The f irst ver sion builds its m odel b y process ing 1 gigabyte o f data fr om over 7 , 000 books using unsupe rvised and supervised tra i ning. Unsup erv i se d training involves algorithms t o detect patter ns i n da ta with no human intervention. There i s n o anticipated str ucture i n th e data other than a sequence o f words. The algorithm for GPT involves 768 parameters that define th e relationships between words. The se parame ter s can b e under stood a s abstract qualities describing var ious wor d propertie s, suc h a s part o f speech, gender , and verb tense, although these specif ic qualities are not what the param eters repre se nt. The number o f param eters is arbitr ary ( limited only by the
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physical constra ints o f c om puting r eso urce s) an d the values for parame ter s are determ ined b y th e algorithm a s i t processes da ta. The ste ps the a lgorithm ta kes t o determine these values are formalized precisely through a programm ing langua ge, bu t the num ber o f ope rations perf orme d b y th e alg orithm a s i t loops thr ough its ste ps i s difficult (if not impossible) t o follow . Subsequent supervise d tra ining i n GP T re views the detec te d patter ns in word sequences and adapts the patter ns t o specific tasks. As the de veloper note s, « [ supervised learning] ca n re quir e large, car efully cleaned, and expensive t o create data se ts to work well. » 68 W ith the first version o f GPT the developers observed that th e m odel performed well o n many tasks f or which i t di d no t receive supervise d tra ining. This obser va tion le d them t o update the mode l b y a ba ndoning supervised training altogether . Using 4 0 gigabytes o f data and a n a lgor ithm with 1. 5 billion parame ters, GPT- 2 i s trained with a simple objective: predict the next wor d, give n all o f the pre vious wor ds within some text. The diversity o f the data se t cause s this sim ple goal t o contain natura lly occur rin g dem onstra tions o f many tasks acr oss di ver se
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domains. GPT -2 i s a direct scale-up o f GPT , wit h more than 10 X the parameters and traine d o n mor e than 10X the a mount o f data. 69 A signific ant incre ase i n the am ount o f da ta for unsupervised training obviate s the nee d for for malize d structure i n the data. Predicting what word will c ome next after a sequence o f other wor ds requires only a method for processing character str ings, number s, matr ice s, a nd mathema tica l opera tions, a task for whic h APL a nd USF AL are adequate. GPT -3 (the current model, used t o generate Bénabou’s aphorisms) is built from 4 5 terabytes o f textual data « scraped » from th e inter net using a n algor ithm with 175 billion paramete rs. Its perf orma nc e exceeds that o f GPT -2 with a thousand-fold increase i n th e size o f the training set an d i n the number o f param eters. The development o f GPT reverses Braffort’ s shift from USF AL t o F ASTL. F ASTL follows a de sig n para digm a ligne d with supervised tra ini ng b y post ula tin g that textual da ta c onform t o a pre-def ine d structura l hierarchy. USFAL makes n o such requirement, processing textua l da ta with the capa bility o f building more comple x objec ts that d o not nece ssarily f ollow a pres cribe d
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structure. The lack o f any significant ou tpu t from LAP AL i s very likely due t o F ASTL s requirements for the program’ s input. Braffort’ s program for generating aphorisms, however , demonstrates that USF AL, through AP L, is still a viable approach t o literary forma lization. In « Raymond Quenea u e t l’am alga me des mathématiques e t d e l a littérature, » François L e Lionna is ends his tr ibute t o the co-f ounder o f the Oulipo (wh o had pas se d away i n 1976) with a n unusua l anecdote abou t a mathema tica l pr oof: Quelques semaines a va nt s a fin, j e lui app ortai joie e t stupéfaction en lui apprenant que W olfgang Haken e t Kenneth Appel (leur démonstration ayant été améliorée par David C ohen) ve na ient d e résoudre l e « P roblème de s Qua tre C oule urs ». 70 A s m athema t icians Que nea u and L e Li onn ais unde rstood th e significance o f th e pr oof beca use i t de pen de d o n com puter s. Since 1852 ma thema ticia ns had conjectur ed that given a map o n a plane, only four c olor s were re quire d t o f ill eac h region o n the map s o tha t n o two re g ion s sharing a common border would have the same color . They could prove that a s few as fi ve c olor s were r equired,
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but a proof that n o more than f our were nee ded ha d remained elusive. Haken and Appel solve d th e pr oble m b y def ining a n unavoidable set o f conf igur ations o f c ountr ies o n a map. The set i s finite but quite large (around 1 ,50 0 possible conf igura tions), an d eac h conf iguration re quire d a mecha nical proof ( rather than a tra ditional, « elegant » dem onstration) that n o more than four colors were needed. Haken and Appel were able t o comple te these pr oofs using 1 ,200 hours o f time o n a n IBM 36 0 mainframe computer . What Haken and Appel had ac hie ve d, and wha t OpenAI continue s t o develop, i s a n appr oac h t o com pleting tasks using algor ithm s that cannot easily (if a t all) b e explained axiomatically . The operations themselves are rela tively sim ple, and for mal system s o f notation such a s APL ca n define the operations with out ambiguity . USF AL lends itself t o a n approach that begins with sim ple e xpre ssions but pot entially le ads t o com p le x series o f operations producing meaningful output. FASTL insists that textual data conf orm t o predeterm ined structures in antic ipa tion o f e xpected output. By opting f or F ASTL instead o f USF AL (and then relegating experime nta tion with c omputer s a nd literature t o the ALAM O), the Oulipo ma de a fatef u l and ultimately unpr oductive c hoice.
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NOTE S 1 Jacques Be ns, Oulipo 1960- 1963 (P aris: C hr istia n Bour gois, 1980), 26. 2 Oulipo, La littératur e potentielle (créations, - créations, recréations) (Gallimard, 1973), 15–18 ( 17). 3 Entretiens avec Georges Charbonnier (Gallimard, 1962), 151 . 4 « Ivresse algolique » in Oulipo, La littérature potentielle, 213-218. 5 Fournel, « Or dinate ur e t écr ivain, l’expé r ience du C entre Pompidou » i n Oulipo, Atlas d e littératur e potentielle (Gallimard, 1981), 298-302; Braf fort, « Poésie e t com binatoire, » Ibid , 303- 305. 6 Italo Calvino, « Prose et anticombinatoire, » Ibid, 319– 3 1 . 7 « U.S.F .A.L. Un système formel pour lalgorithmique littéraire, » I bi d, 108 36. 8 « F .A .S. T .L. Formalismes pour l'analyse et l a synthèse d e textes littéraires, » i n Oulipo, Atlas d e littératur e potentielle , rev . ed. (Gallimard, 1988), 108–37.
9 « F .A.S.T .L., » 109. 1 0 Valérie Beaudouin was coopted in 2003 after publishing Mètr e et rythmes du vers classique: Corneille et Racine
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(Cham pio n, 2002), a n exhaustive study o f th e wor ks b y these authors using a com puter program (the « metr ome ter » ) designed t o identify the metric al compone nts o f a ny te xt in French. See Beaudouin and François Y von, « The Metrometer: A T ool for Analysing French V erse, » Lite r ary and L ingui stic C omputing (XI /1, 1996), 23–31. T o m y kno wledge Beaudouin ha s not continue d this resea rch a s a n Oulipian.
1 1 « U.S.F .A.L., » 108. 1 2 « F .A.S.T .L., » 108. 1 3 The use o f the word ouvr oir has been criticized b y Lauren Elkin for its gendered duality, a s either a workshop for « building a ne tw or k o f power founded o n m al e camarader ie » o r as a space where women « strippe d o f any power over their own lives [are] sent t o b e exploited. » See Elkin a nd Sc ott Esposito, The End o f O ulipo? A n Attempt to Exhaust a Move ment ( Zer o Books, 2013), 77. 1 4 « U.S.F .A.L., » 136; « F .A.S.T .L., » 136. 1 5 « U.S.F .A.L., » 1 12; « F .A.S.T .L., » 1 16. 1 6 « U.S.F .A.L., » 136; « F .A.S.T .L., » 136. 1 7 « U.S.F .A.L., » 1 10; « F .A.S.T .L., » 1 10-1 1 1.
1 8 « I vresse a lgolique, » 214. 1 9 « U.S.F .A.L., » 129; « F .A.S.T .L., » 129. 2 0 « U.S.F .A.L., » 1 10; « F .A.S.T .L., » 1 10.
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2 1 Act II, scene 4. 2 2 « U.S.F .A.L., » 1 10; « F .A.S.T .L., » 1 10. 2 3 « U.S.F .A.L., » 136; « F .A.S.T .L., » 136.
2 4 « U.S.F .A.L., » 108.
2 5 I bid, 109. 2 6 Kenneth E. Iverson, A Pr ogramming Language (W iley , 1962), 1.
2 7 « U.S.F .A.L., » 1 15.
2 8 Ibid, 1 19. 2 9 I bid, 124. 3 0 I bid, 125. 3 1 Iverson, « Notation a s a T ool o f Thought, » in A Sour ce Book i n APL: Papers , ed. Adin D . Falkoff and Kenneth E . Iverson (APL Press, 1981), 105–28 (105).
3 2 I bid, 107. 3 3 « U.S.F .A.L., » 128. 3 4 In the Atlas , Queneau pr oposes a « Classif ica tion de s travaux d e l’Oulipo » inspired b y Mendeleev’ s periodic table o f th e elements (73-77). Just a s the periodic table anticipated the discover y o f new eleme nts, the Queneleyeev T able (as the classification i s often named) anticipates new textual objects. Braffort’s efforts t o devise a computationa l lite rary for maliza tion f urther dev elo p Queneau’ s idea o f potentiality .
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3 5 See « U .S. F .A.L., » 131-132. Th e published code conta ins typogra phic al err ors suc h as im proper spacing between charac ter s and irre gular use o f brackets and parentheses f or line num ber s. I have a ttem pte d t o corr ect th e code s o that i t i s inter nally c onsist ent , based o n th e other examples i n USF AL. I have not tested the code o n an APL interpreter . Braffort does define RIME (a prescriptum for wor ds tha t r hyme) but h e does not def ine TYPO, a lthough i t seems tha t TYP O ensur es ther e are blank lines between the sta nza s.
3 6 I bid. 3 7 La bibliothèque oulipienne, V1 (Éditions Ramsay , 1987), 251 -2 6 9. 3 8 APLX for Windows, version 5.1.0 / 7.0 (MicroAPL Ltd., 2009).
3 9 Atlas, 31 1-315. 4 0 « U.S.F .A.L., » 31 1. 4 1 « F .A.S.T .L., » 127.
4 2 I bid, 108. 4 3 Ibid, 1 12-1 13. 4 4 Ibid, 1 14. 4 5 Ibid, 1 15. 4 6 Noam Chomsky , Syntactic Structur es (Mouton, 1957), 1 3 .
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4 7 The cl iname n i s a notion develop ed b y t he Ro ma n p oet and philosopher Luc retius t o de scr ibe the unpre dicta ble swerving o f atom s that allows for cre ati ve processe s i n nature. Georges Perec cham pioned the clinamen for the Oulipo, insistin g i t is importan t t o inc lude anti-c onstra ints within a system o f constra ints t o f os ter lit e rary i nvention. See Ewa Pawlikowska, « Entretien, » Littératur es (T oulouse , France), (V7, Spring 1983), 69–77 (70). The formal structure o f Perec’s L a vie mode d’emploi : ro man s (Hachette littér ature, 1978) inc lude s m a ny inte ntional exceptions t o a n othe rwise r igor ous syste m.
4 8 Chomsky , 15. 4 9 « F .A.S.T .L., » 120.
5 0 I bid. 5 1 Queneau offers a pur e mathema tic al demonstra tion o f Bourbakism applie d t o litera ry f orm alism (some wha t i n jest) i n hi s « Fonde ments d e l a littéra tur e d’aprè s Da vid Hilber t, » published initia lly i n the Bibli oth èqu e oulipienne and the n i n excer pt (as a posthum ous tr ibute) in the Atl as , 1 7-1 8. 5 2 « L e tra it c omm un des diver se s notions désignées sous ce nom générique [de structur e mathématique ], est qu’elle s s’a pplique nt à de s e nsem bles d’é léments dont l a nature n’est pas spécifiée ; pour définir un e structure, on
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s e donne un e o u plusieurs re la tions, o ù intervienne nt ce s éléments […] ; o n postule ensuite que l a o u les relations donnée s sa tisf ont à certa ines c onditions (qu’on é numère ) e t qu i sont les ax iom es d e l a str uctur e envisa gée. » S ee Nicolas Bourbaki, « L’architecture des mathématiques : l a mathéma tique, o u le s mathéma tique s ? » i n Les grands courants d e l a pe nsée mathé mat ique , e d. Fra ois L e Lionnais (Herma nn, 19 48), 35–47 (40-41). Th e mathema tician disc over s the se struc ture s b y postulat ing axiom s an d teasing out, through de ducti ve reasoning, t he resulting re la tions within se ts o f obje cts t o which t he axiom s are applie d.
5 3 « F .A.S.T .L., » 124. 5 4 « L a Disparition d e Georges Perec raconte l a disparition d u « e » [ …] L e thé orè me d e Z ecke ndorff qui di t que to ut entier a une décom position e n somme d e nom bre s d e Fibonacci es t l e principe organisateur des Hypertr opes (P .B.). » See Atlas, 90.
5 5 « F .A.S.T .L., » 125. 5 6 Jacques Roubaud, Description du pr ojet (Nous, 2014), 9 0 .
5 7 « F .A.S.T .L., » 122.
5 8 I bid, 125. 5 9 I bid, 126.
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6 0 I bid, 127. 6 1 Ibid, 127- 128. 6 2 Paul Braffort, « Le projet LAP AL: introduction et idées néra le s, » Action poét ique (V95, 1984), 51– 55 ( 5 3).
6 3 « F .A.S.T .L., » 133. 6 4 Acc ording t o Dona ld Knuth, a n algor ithm i s « a f inite set o f rules that gives a sequence o f oper ati ons for solving a spec ific type o f pr oblem » . See Knuth, Fundame ntal Algorithms , 3r d ed , V 1 o f T he Art o f C omputer Pr ogramming (Ad dis on-W esley , 1997), 4. 6 5 In The Oulipo’ s Mathematical Project (1960-2014) (Princeton University , 2018), Natalie Berkman reports that her attempts t o us e a web-based version o f LAP AL produced n o me aningful output ( 222- 223). 6 6 See Appendix 2 for the complete prompt to GPT -3. 6 7 T om B. Brown et al., Language Models Ar e Few-Shot Learne r s, (ar Xiv:2005.14165, 22 J uly 2020), 8. 6 8 Alec Radford, « I mpr oving La nguage Under standing with Unsupervised Learning » ( OpenAI , 1 1 June 2018), https://openai.com /bl og/langua ge- unsupe r vise d/ . 6 9 Alec Radford e t al., « Be tte r Language M odels a nd The ir Implic ations » ( OpenAI , 1 4 Feb. 2019) , https://openai.com /bl og/better-language- m odels/.
7 0 Atlas, 41.
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[Prom pt] Write 10 aphorisms in French using any of these forms: UN TEMPS P OUR _ , UN TEMPS POUR _ , UN TEMPS P OU R _ _ SANS _ N' EST RIEN ; _ SANS _ NE V AUT GUERE MIE U X IL EST PLUS AISE DE SUPPOR TER _ QUE _ _ NE SERAIT P AS _ N' ET AIT P AS _ MIEUX V AUT _ A VEC _ QUE _ A VEC _ MIEUX V AUT _ SANS _ QUE _ SANS _ UN PEU DE _ ELOIGNE _ , BEAUCOUP EN RAPPR OC HE LE CHEMIN QUI VA VERS _ P ASSE P AR _ NI _ NI _ NE NOUS MANQUENT , MAIS _ _ DELIVRE DE _ , MAIS QUI NOUS DELIVRERA DE _ ON N' EVITE _ QUE POUR TOMBER DANS _ IL Y A _ D A NS _ M AIS J AM AIS D AN S _ IL N' Y A P AS DE _ LA OU IL N' Y A P AS DE _ DERRIERE _ IL N' Y A SOUVENT QUE _ _ DOIT DEVENIR _ COMME _ DOIT DEVENIR _ _ EST A _ CE QUE _ EST A _
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IL N' Y A P AS MOINS DE _ DANS _ QUE DE _ DANS _ LE BONHEUR EST DANS _ , NON DANS _ _ SANS _ N' EST QUE _ SANS _ RIEN NE PLAIT T ANT _ QUE _ ON RENONCE PLUS AISEMENT _ QU' _ CE QUI VIENT P AR _ S' EN VA P AR _ A QUOI BON _ DEV ANT _ _ EST _ VISIBLE _ C' EST _ _ EST _ POUR DISSIMULER _ _ EST LA CONTINUA TION _ P AR D' AUTRES MOYENS LA HAINE _ N' EST AUTRE QUE L' AMOUR _ QUAND _ NOUS QUITTE, C' EST QUE _ N' EST P AS L OIN and any of the follow in g w or d s: AM OUR ANGOISS E ECRI TUR E ENF ANCE E XIL MO R T
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NEGA TION POEM E MEMOIR E MYTH E TEMPS MA TIERE OUBL I SILEN CE ESP ACE NA TURE MESUR E CO RPS A VENIR GOU T PLAISIR FIN PERFEC TION R YTHME SENTI MEN T FORM E SCIENC E LIBE R TE PRES ENT P ASSE
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HORREUR VOLUP T E MYS TERE HARM ONIE CO NFLIT ODEU R P ARFUM MALADI E BONHE UR BEAU T E RAIS ON OBST ACLE GUER RE POLIT IQ U E IGNORA NC E DEG OUT P A TIENCE POUVOIR HAIN E LA IDEUR [Res ponse] 1. Un temps pour aimer, un temps pour détester, un temps pour guérir .
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2 . La vie sans amou r n'est rien ; la vie sans hain e ne v au t guère m ieux. 3 . Il est plus aisé de supporter un e nne mi que des am is. 4 . La haine ne serait pas si forte si l'amour n'était pas si grand . 5 . Mieux vaut un ennemi avec vérité qu'un am i avec menson ge. 6 . Mieux vaut un ennemi sans haine qu'un ami sans amour. 7 . Un peu de haine éloigne le s am is, bea uc oup le s rap proch e. 8 . Le chemin qui va vers l' amour passe par la haine. 9 . Ni l'amour ni la haine ne nous m anquent, mais la vér ité. 1 0 . La haine nous délivre de l'ennemi, mais qui nous délivrera de la ha ine ?

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(1967) and Detroit: Become

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(2018)

In Raymond Queneau’ s U n conte à votr e façon (1967), this cof ounder o f th e OuLiP o (Ouvroir d e Littératur e P otenti ell e) applies algor ithm ic thought t o literature, producing a tale i n which the reader i s presente d with choices, on e that ca n there by b e repre sente d a s a flowchar t. Whi le one might think that suc h a pioneer ing example o f the choose- your- own adve nture stor y would enthusia stica lly dem onstrate the pote ntia l o f com puting power t o literature, Queneau’s work promises a choice and then actively forbids the reader an y real liberty. Queneau’s subver sive flowchart narra tive paved the wa y for a genre i n its ow n right, which I will refer t o a s arbore sce nt litera ture. 1 This genre has spread across media: from choose- your-own adventure stories to electronic literature a nd
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even t o video games and film (think o f Black Mirror ’s recent Netflix movie, Bandersnatch ). Arguably , video games represent the most c om plex and successf ul f orm o f this genre, with Quantic Dream’s Detroit: Become Human (2018) the most ambitious example. W ith 8 5 possible endings a nd 3 5 individua l fl owcharts tha t dete rmine the overall story , the player o f Detr oit i s the opposite o f Queneau’ s reader overwhelmed with the bifurcating options an d the im pact o f hi s and her c hoices o n the stor y being t old. W e all want t o believe that w e ha ve choice s and tha t those choices matter , which i s why this genre o f arborescent fiction i s bec om ing mor e and more c omm on. A s Ca rle n Lavigne n ote s : “In a cademic a naly sis o f such gameplay scenarios, questions o f playe r age ncy ar e ofte n paramount. Such age nc y i s alwa ys a m ira ge; even the most narratively com plex game restricts pla yer choice b y dint o f its own programming lim itations…” (16). 2 While this i s dem onstrably true, the incre asing popular ity o f this ge nr e begs the question o f why do readers, players, a nd viewer s alike enjoy making prefabrica te d dec isions when the y ca n easily determine tha t the y are not i n contr ol? This artic le aim s t o de duce a the ory for ho w t o a n aly ze this unique genre through three primary fea ture s: the tutor ia l, the
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flowchar t, an d th e c hoic e me chanism. B y applying the se features t o analyze Queneau’ s original arborescent tale and this rec ent video game e xam ple, w e will see tha t i t i s not the choice itself that ma tte rs ( indeed, i t does not), but th e artif ice that convinces the reader t o ta ke tha t c hoic e seriously . Raym ond Queneau, Un c onte à v otre f on (1967) The Oulipo, a n exper ime ntal litera ry collec tive founde d i n Paris i n 1960, de velope d a n initia l mathema tica l proje ct that insiste d o n approac hin g literature logically , inventing specific rules constraints t o follow during the com position o f a text. 3 Give n the tim ing o f this exper imenta l group c oi n cid ed with cr itic al stages i n the de ve lopment o f m odern-da y com puting, the early Oulipo mem ber s were b oth insp ire d b y and experimented with early computers. Queneau’ s quintessential and first Oulipian text, Cent mille milliard s d e poème s (1961), i s a fir st e xam ple, drawing o n computers’ combinatorial skills t o produce a n exponential number o f poems f rom a pref abricate d se t o f verse s. Queneau published U n conte à votr e façon i n 1967, just tw o years after the delayed Fre nc h tra nsla tion o f Propp’ s Morphology o f th e Folktale ( 192 8). 4 Queneau’ s
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us e o f the wor d “ co nte” (the wor d us ed for Folk tale i n the French translation o f Propp’ s work) indicates a commentary on this key text o f R ussia n f or malism, whose translation i n France was making the r oun ds decades after th e fact, but o f which the theor ie s e s pou sed we re quite popular, inspiring com mentaries an d critiques b y structuralist philo sop her s such a s Claude vi-S tra uss a s we ll a s sem iological studies, suc h a s those b y C laude Brémond. In the or iginal Russian text, P ropp def ine s a specif ic type o f R u ssi an f olktale that was primarily a n oral form, which was the n tr anslate d into Fre nc h a s “conte merveille ux, descr ibed i n the f ollowing la ngua ge : L a consta nce d e l a structure de s c onte s merveille ux perme t d’e n donner une défi nition hypothétique, que l’ o n pe u t form uler d e l a faç on suivante : l e c onte merveilleux est u n récit c onstruit se lon l a suc cession r égulièr e des fonc tions citée s dans leurs différ entes formes, avec absence d e certaines d’entre elle s da ns te l récit, e t répét it ions d e cert aine s d an s t el autre (12 2).
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While Propp’ s work seems scientific, th e sequences h e describes d o not imply a s str ic t a n or der a s an algorithm requir es. H e divides his 3 1 func tions into three mai n groups: a prepara tor y se quence (f unc tions 1 -7); a f irs t sequence o f actions (func tions 8-18) ; and a second sequence (functions 1 9-31). W hile Propp insists that these 31 functions always follow the same order , all o f them d o not nece ssa rily a ppea r in an y individual tale. While not the fir st exam ple o f interac tive fic tion (indeed, this i s Doris W ebster’s 1930 Consider the Consequences ), 5 Queneau’s U n conte à vot re façon i s one o f the earliest examples o f the c hoose- your- ow n- adventure story genre, and the first that can b e represe nte d a s a literal flowcha rt. 6 It theref ore ha s wide re ac hing implica tions f or both the composition and a nalysis o f ot her arboresce nt narra tive s. I t a lso holds a p riv ile ge d position within Oulipo’ s corpus, a s i t was one o f the few texts that were not only inspired b y computers, bu t also pr ogramme d on comput er s i n a n e xperiment with the C ent re P om pidou in the 1970’ s. T utorial Queneau’ s algorithmic tale plays with Propp’ s basic idea that stories c an be broke n down into their constitue nt
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par ts, a s the text takes the for m o f a numbere d list o f pote ntia l ele ments. Beyond the use o f the wor d conte i n th e title, à votre fa çon , refers t o a potential reader, wh o can compose this story a s h e o r she sees fit. However , Queneau’ s tale i s structurally very different from Propp’ s study, i n that its sequence o f possible paths creates a literal algorithm, defining a strict ser ies o f events f rom which an y deviation o n the par t o f the reade r i s im possible. The reader o f Queneau’s tale, who must choose from th e pre-fabricated elements provide d b y the author, requir es training, especially when you consider an y reade r i n 1967 would no t ha ve be en f amiliar with t he g enr e. Queneau pr ovides a sort o f im plicit tra ining i n the fir st thr ee choice s, whic h I conside r a kind o f tutorial . I nitially h e gives the reader a choice betwe en the story o f three little peas, three big skinny beanpoles, o r thr ee a verage mediocre bushes, an y o f whic h ca n oste nsi bly b e rea d b y means o f a step- b y- step proc edure, a litera l algor ithm : 1-Désire z-vous c onnaître l’histoir e de s trois ale rte s petits pois ? Si oui, passe z à 4. Si non, passe z à 2. 2-Préférez-vous ce lle de s tr ois m inces grands écha las ?
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Si oui, passe z à 16. Si non, passe z à 3. 3-Préférez- vous celle des trois moye ns médiocre s arbuste s ? Si oui, passe z à 17. Si non, passe z à 21. 7 A s with algorithms, the choices i n Queneau’ s text are all binar y oppositio ns, pro viding mutua lly exc lusi ve alternatives s o a s not t o b e contradictory . In other words, either the reader c hoo ses t o read the tale o f the thr ee pea s o r does not. Should the r eader prefe r not t o re ad this f ir st option, opting instead for th e bea npoles o r the bushe s, they will find that the two alternatives offer meager results: 16-T rois grands échalas les regardaient fai re. Si les trois grands écha las vous pla isent, passez à 21. S’ils vous conviennent, pa sse z à 18. 17-Trois moyens médiocr es arbustes les regardaient fa ire. Si les trois moyens médiocr es arbustes vous dépla isent, passez à 21. S’ils vous convienne nt, passez à 18.
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Gram matica lly spe aking, these false paths are cle ver l y constr ucted b y usi ng the p lura l direc t object “le s, Queneau allows the node to have indef inite antec ede nts o f any type o r gender . Should the reader arrive at this node after following a more comple te pa th t hr ough the algorithm, h e o r she will realize that le s” re fers to the little peas. However, arriving a t this node immediately after the incipit crea te s a n insurm ountable inter pre tive challe nge for the reader: either th e bea npol es o r bus hes watch the m d o it . Wh o are the y wa tchi ng and w hat a re the y doing? These que stions c an only b e a nswer ed b y pat hs th e sto r y did not take. Alternatively , should the reader refuse all three initia l options, the program ter minate s af ter only three nodes with the problematic sta tem ent: “21- Da ns ce cas, l e conte est également term iné.” T o what, in this c ase, could the “également” refer? In orde r t o find ou t, the reader must for sa ke the logic o f the flowc har t and look a t th e preceding ch oic e 20: Il n’ y a pas d e su ite, l e c onte est terminé” (273- 4). B y ref err ing t o other choic es wi thi n individual node s tha t are unc onnec te d i n a ny sce nar io (it i s impossi ble t o ha ve both 2 0 and 2 1 i f one follows the algorithm), Queneau uses a traditiona l, line ar mode o f reading t o disrupt his algor ithm ic structure . Furtherm ore , these pre liminar y disruptions indic ate t o the re ade r tha t
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there i s only one “real” stor y t o rea d, an d that the rea der must cooperate i f h e o r sh e doe s not wish t o arr ive a t unsa tisf ying de ad end s and c ontra dictor y c onclusions. This tutor ial dem onstrates ver y effec tively t o the reader that h e o r she (they) needs t o cooperate with the author i n order t o read this story, regardless o f the fact that th e reader ostensibly has a c hoice. I ndeed, th e rea der ca n finish the tutorial a nd the stor y itse lf with only three choic es i f h e o r she r efuses t o c om ply with the a uthor i n choosing the story that Quenea u c lear ly wants t o tell. Flowch art Quene au ma de th e algor ithm ic nature o f this text explicit in an introductory note: Ce texte…s’inspire de l a présentation des instructions destinées aux ordinateurs o u bien encore d e l’enseignement pr og ram mé. C’est une structur e analogue à l a littératur e « e n arbr e » pr oposée par F . Le L ionnais à l a 79 e réunion ( 273). Computer s depend o n algor ithm s: a logica l division o f a pr oble m into its constituent parts and reduced t o binary choices that are also mutually exclusive. In its m ost tr ivia l form, a n algorithm i s just a linear seque nce o f ac tions, but mor e com plex proble ms requir e the c onditional future. I n com puter science, a conditional sta teme nt depe nds upon
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a n if/then c onstruc t: should th e c ondition foll owi ng t he “if” (which m ust b e Boolean, m ea ning i t i s either true o r false) hold, the ac tio n f ollowing the “the n” i s e xe cute d; otherwise, the pr ogram sea rches f or a nother branc h (ge nera lly de signa te d a s “else”). B y way o f conditional statem ents, an algorithm increases i n com ple xity fr om a sim ple sequence o f steps t o a dia gra m with itera tions known a s a flowchart, where eac h node (ste p i n the procedure) has tw o binary , mutually exclusive paths, o r edges (the alternatives). A s R yan explains, “The formal chara cte ristic o f a n arboresce nt gr aph i s that i t allows n o circuits. Once a branch has been ta ke n, ther e is n o possible return t o the decision point, an d th ere i s only o ne wa y t o reach a given term ina l node” (687). 8 The study o f the se a nd other grap h s b el o ng s t o t he mathematical subfield o f graph theory , which has notable inter sec tions with the Oulipo. I ndeed, one o f the fou nding members o f the group, m athematician Claude Be rge , grea tly c ontribute d t o th is fie l d late r i n his ca reer and seem s t o have inspired a parallel interest for graphs am on g members o f the Oulipo, incl udi ng Raymond Q ue nea u. 9 If Queneau chose t o write comma nds f or th e re ade r i n a n algorithmic form borr owed f rom c ompu ter progra mm ing, then the resulting bif urca tions i n the te xt
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complicate Queneau’s graphical representation o f the tale, first published i n L a Littérature Potentielle in an article b y Claude Ber ge. 10
[FIGURE 1 ] Claude Berge’ s graphical representation o f Raymond Queneau’ s U n conte à votr e façon , taken from L a Littératur e Potentielle . According t o Berge, this graph r epr ese nts “… une imbrication d e c irc uits, chemins convergea nts, etc…, dont on pourrait analyser les propriétés e n ter mes d e l a Thé or ie des Graphe s…” ( 277). A s one o f the f oremost lea ding experts i n graph theory , Berge knew quite well that this graph could b e depicted in a number o f ways. Given tha t a
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gra ph i s simply a combina tion o f nodes a nd e dges, t here are many equivalent layouts o f this f lowc ha rt, for instance, th e f ollowing one cre ate d b y a nother Ouli p ian an d fe ll o w mathematician, Michèle Audin.
[FIGURE 2] Michèle Audin’ s graphical representation of Raymond Queneau’ s Un conte à votre façon. 1 1 While Audin’ s graph i s very economical i n its layout, Berge’ s graph i s exceptional for several reasons. First, Propp’ s study provides the foundation for understan din g
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th e conte genre a s c ombina torial r earra nge ments o f ba sic elements that alwa ys follow a basic seque nce. The spa tia l aspect o f Queneau’ s graph therefore distinguishes what Queneau i s doing from Propp’ s style o f thinking about narrative structure b y emphasizing a strict order . Second, th e layout o f Queneau’ s graph i s a est hetically rich. Berge’ s graph visualizes a literal frame, composed o f the first three options o n th e left e dge ( 1, 2 , an d 3 , the c hoice between the peas, be anpole s, a nd shr ubs), just a s once upon a tim e” might begin a n or dinar y conte a t the top lef t cor ner o f the first page. Choices 4 and 9 on th e top edge o f th e fra me represent a n initia l de scr iptio n o f th e pe as (t he reade r ha s two options he re), a nd choice 2 1 at the bottom, right cor ner i s one o f th e two e ndings, the one conta ini ng “égalem ent.” I t i s visible fr om the gra ph that this e nding always r esults fr om a case o f uncoo pera tive ne s s o n t he part o f the reader. A s long as the reader i n the final options (17, 1 8, 19) chooses t o rea d la suite, h e o r she will a rrive a t the “proper ending node, number 2 0 ( whic h i s litera lly within th e frame o f the story i n both Ber ge’ s an d Audin’ s graphs). Once again, m athem atic ally spea king, a ny gra ph with these same nodes and edges i s equivalent t o Berge’ s. However, this initial graphical repr esentation o f U n conte
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à votre façon i s constructed t o mirror the story itself : on e can r ema in o n the edges, m using over inc onse quential det ails an d eventual ly finishing wi thout re a di ng ab o ut th e thr ee little pe as; o r one c an follow the path Quene au ha s set out, providing a few bif urca tions, but ultima tely resulti ng i n the sa m e st or y and e nding. The flowchart makes clear that th e choice pr om ised t o the rea der i n the title is a n illusion, a s Queneau maintains full c ontr ol o f the text through the str ucture h e create d. In this na sc ent genr e o f arbore sce nt liter ature, w e ca n see that both o f the se flowcharts provide but especially Berge’ s, which was published the same year i n the same volume as Queneau’s tale and i s therefore a critic al inter te xt that wa s likely inte nded t o guide th e reader a n a dditional a na lytica l mechanism b y which to understand th e reader ’s choice. Ch oic e Mechanism A s w e have seen, Queneau’ s U n conte à votr e façon consists o f a n algorithmic set o f binar y c hoi ces writte n out o n the page, with three introductory node s tha t se rve as a tutorial for the reader . Furthermore, the explicitness o f these ch oices and the multiple bifurc ating options le ads t o th e possibility o f represe nting th is st or y grap hic all y a s a flowchart . Theore tic ally spe aking, Queneau i s playin g
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with both one o f Russian formalism’ s canonical texts, Vladimir Propp’ s Morphologie d u conte a s well a s with th e basic functioning o f computers. However , the tale i s relatively m eager and the nar rative of te n contra dicts the logic o f the binar y choic es prov ided s houl d one fait hf ully follow the pr ocedure. As w e saw with the tutorial, Queneau pre se nts part o f th e story i n the node whi ch gives wa y t o two edge s , o r choices. The reader exerc ises hi s o r her c hoice thr ough this ch oic e mec hanism , r eading the prompt provi de d b y t he author and determining which option seem s more e ntic ing. However , when w e look a t the first “real” choice th e reader makes ( following the tutorial addre ssed above), w e can se e that the cho ic e here only conce rns th e descri ptio n o f the prota gonists, ra the r tha n any plot e le ment: 4- I l y avait une fois trois petits pois tus d e vert qui dormaie nt gentim ent da ns leur cosse. Leur visa ge bien rond respir ait par les tr ous d e leurs narines e t l’on entenda it leur ronf lement doux et harm onie ux.
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Si vous préférez une a utr e descri ption, pa ssez à 9. Si cell e-ci vous convient, p ass ez à 5 (2 73-4). From what the r eader lear ne d during the tutorial , w e see imme diately tha t c hoosing a differe nt descri ption i s no t necessarily the right option, as i t i s not the next num ber i n a linear se quenc e. Once chosen, the r ea der i s c onfr onte d with a new descrip tio n and yet another c hoice, which here lea ds eit her ba ck t o th e origina l choice 5 t o conti nue Queneau’ s story o r t o the infamous false ending, choice 21: 9- I l y avait une f ois trois petits pois qui roulaient leur bosse sur les grands c hem ins. L e soir venu, fa tigués e t la s, ils s’endorm irent trè s ra pidem ent. Si vous sirez connaître la suite, passez  à 5. Si non, passe z à 21 ( 273-4). Give n the lessons learne d fr om the tut ori al a nd the flowchart , this choice mec hanism i s theref or e unsurprisi ngly under whelm i ng. Throughout the text, t h e
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reader i s constantly r eminded o f the supe rficia lity o f his o r her choice. The first few choices offered t o the rea de r determine mere desc r iptive a spects o f the story whether th e peas dream, what color gloves they wear, and whether the y r oll around o n a highwa y befor e tur ning i n f or the night. F or Hélène Ca mpa ignolle-C ate l, this indicates the extent t o which Queneau i s respecting Russia n for ma lism : “Le Conte à votre façon obéit ici à l a logique décrite par Cl. Brémond à pr opos d u conte russe : les alter na tive s proposées, les dévia tions possibles sont des le urre s…”. 12 I would argue, however , that Queneau i s not respecting Russian formalism, bu t ra the r pla ying with the se princ iple s. I n a tra diti onal conte , proposed a lternative s may b e dec oys, but there i s still a n overar ching nar rative that for ces th e re ade r to imagine alter na tive s. The majority o f Queneau’ s alternatives are offered t o the reader i n a n effort t o deny him o r her the autonom y promised b y th e title: both the poi ntl e ss a lternatives an d th e unsa tisf yi ng dead ends indicate that there is only one story t o rea d. In one case, for instance, the text’ s playfulness surrounding alternatives create s a n interpretative glitch . I n node 5 , the narrator describes th e peas i n their slum ber : “Ils n e rêvaient pas. Ces petits ê tre s e n effet n e vent jamais.” Queneau then gives th e rea der a c hoice : e ithe r the
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reader would prefer that th e peas dream, o r not . S hould the reader choose th e latter , h e o r she has t o read a n explanation and interpretation o f the dream anyway . In this scenario, a reader could rea d the se nte nc e “Ils n e rêvaient pas” and the stor y o f the dream they wer e ha vin g in the same story. This contradictory narrative, a s with the “le s re gar daient fa ire” node i s a n impe di ment t o inter pretation, rather than a “glitch” i n the str ict sense o f th e word (the algorithm func tions a s e xpe cte d, regar dless o f the continuity o f th e story). W ithin this story o f the dream, one node eve n encoura ge s the rea der t o lea ve the stor y an d look u p a word i n orde r t o unders tan d wh y the pea s awaken so fr ightene d: 1 1-Ils va ient qu’ ils allaie nt cherc her leur soupe à l a cantine populai re et qu’e n ouvrant le ur game lle, il s découvra ie nt que c’était d e l a soupe d’ers. D’horreur , ils s’é veillent. Si vous voulez s avo ir pour quoi ils s’éveillent d’horreur , consulter l e Lar ousse a u mot « ers » e t n’ en par lons plus.
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Si vous jugez inutile d’approfondir la question, passez à 12 ( 275). Irrespective o f the path the reader ta ke s, there i s only one “real” story . There are even two choices that are no t even choic es a t all: node 1 3 asks the rea der i f h e o r she wishes to know how long on e br othe r has be en analyzing dream s, and the alter nati ve opt ion i s “si n on, pass ez à 1 4 tout d e même, ca r vous n e l e saurez pa s plus.” The following node promises the a na l ysi s o f the dream, but th e alter na tive proposition affirm s: “si no n, passez également à 1 5, ca r vous n e verrez rie n.” In short, this conte i s not a t al l à notr e façon . The reade r must rea d a certa in subse ct io n o f the s tory a s Queneau wr ote i t an d i n rea lity has ver y little fr eedom com pared t o what wa s pr om ised i n th e title. Campai gnolle -Ca tel note s: “Le texte f açonné por te a insi les traces d’une c onfection déf ectue use o ù le s che mins s’appelle nt les uns les a utre s da ns une cac ophonie plaisante. L’ensemble des choix offerts par l a structure d u Conte figure une arboresce nce a uta nt lac unaire qu e parodique.” 11 While i t lacks an y and all o f Propp’ s functions, Queneau’ s text has been reduced t o its bare elements and presented i n a way that im plie s a certa in
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freedom but does not deliver. Th e true pleasure i n this text come s from the realiz ation that the syste m, while possible t o program o n a computer, i s fundamentally incom patible with suc h a de sign. Detroit: Become Hu man Y ears after Queneau’ s first attempt a t arborescent literature, w e no w have exam ples o f thi s ge nre acr oss media. Arguably, the most complex can b e found in video games, and more specifically , those produced b y the French studio, Quantic Dream. Founde d by David Ca ge i n 1997 and base d i n Paris a nd M ontréa l, this innova tive video game developer specializes in AAA games that push th e boundaries o f arbor esc ent na rra tives, suc h as: Fahrenheit - Indigo Prophecy (2005), Heavy Rain (2010), Beyond: T wo Souls (2013) and finally Detr oit: Become Human ( 2018). S pecifically narra tiviz ing c hoice, the y describe their scr i ptw riting i n the following te rms : Nou s aim ons raconte r de s histoires dont le s joueur s sont le s hér os, les surprendre, les interr oger sur leur s sentiments e t leurs valeur s, les c onfr onter a ux c onséque nces d e leur s choi x.” 1 3 Detr oit: Become Human 14 is certainly the most complex of all, telling an epic story of a futuristic Detroit
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i n which a ndr oids gain consciousne ss and re be l a ga ins t their human maker s. The pla ye r experienc es this stor y b y playing as three separate androids: Connor , a police android who i s inv estigat ing the andr oids that ha ve deviated fr om their pr ogram ; Kara, a house kee per a ndroid who, i n a tte mpting t o pr otect the daughter o f her abusive owner , becomes a deviant and aims t o escape t o Canada with the little girl; a nd Mar kus, a car etaker andr oid who gains conscious ne ss f ollowing t he dea th o f his owne r and leads the rebellion. Alterna ting be twee n the se three characte rs, the gam eplay presents the pla ye r with choice s that manifest in differ ent forms (quicktim e events, buttons t o press, places t o g o, etc.) and right fr om the tutor ial, the importance o f these choices cannot b e overstate d. Indee d, just like Queneau’ s U n conte à votr e façon , each individual level o f Detroit can b e depicted a s a f low char t with multiple for kin g options, though unlike Queneau’ s two different end ing s, every level i n Detr oit can end i n multiple ways, lea ding t o 8 5 possible e ndings t o th e overall plot. These f lowcha rts are not sim ply para te xtua l, a s Queneau’s, but a n integral part o f the gameplay. Indeed, th e f lowcha rts ca n b e cons ulte d durin g eac h le ve l and a s th e player plays an d replays each level, th e differe nt options become visible.
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Through its tutor ia l (whic h f irst intro duces t he importance o f choic e t o the game play), its inte rac tive an d com pre he nsive flowcha rts, and multiple-c hoice mechanisms, Detr oit breaks the boundaries o f what was possible i n ar boresce nt f ic tion. While Quenea u quic kly realized that hi s fi nit e tale could never pr ovide a proper choice for the reader , his text ultimately worked t o convince the reader o f his o r her lack o f options; Detr oit , however , manages t o convince it s player that choices matter and that certa in dec isions ca n inde ed c hange the outc ome o f the plot. While everything in both example s i s prefabricated i n advance b y a n a uth or , Detr oit i s innova tive i n the way i t pr ovides the player with this feeling o f free dom within the mathematica l confine s o f th e algorithm ic c onstra int. T utorial The tutorial o f Detr oit: Become Human begins with a cut scene that can b e interpreted o n a me taphor ica l level. During a long e le vator ride, a c har acter f lips a coin s o skillfully that the player quickly rea lize s that h e cannot b e human. At the end o f this sequence, this android catches th e quar ter be twee n two finger s i n a n i nhuman di splay o f motor skills, with the word “LIBER TY” clearly visible.
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[FIGURE 3] Screenshot of the first cut scene in Detr oit: Bec ome Huma n. O f course, the symbolic im portanc e o f a n a ndr oid flipping a coin and th e ironic us e o f the wor d “liberty” is clear: this character turns out t o b e one o f the three avatars, Connor , and t hr ough ma nipulating him, the h uma n p la yer m u s t make choices that will determine e ve nts i n th e stor yline.
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In this tutor ial, the player bec ome s acqua inte d with th e choice mec ha nis ms tha t I will disc uss below a ll i n the conte xt o f a police inve stigati on. Upon arrivi ng at the scene, Connor learns that a n android has deviated from hi s programming and i s holding a little girl hostage. W ith a limited am ount o f tim e, the player must collec t inform ation a bout the case b y exa mining th e sce ne, speaking with those pre sent, a nd eve ntually c onfr ont th e deviant. This tutoria l teaches the pla yer how t o interac t with th e game’ s environment, which i s th e main mechanism for making choices in the gam e . As Mc Ke nzie W ark explains i n Gamer Theory , “Gamespace turns descriptions into data bas e, an d stor yline into na viga tion” (50). 15 Detr oit i s n o exception, as the player must learn t o seek out information from the environm ent , which i s then analyzed b y the andr oid charac ter s. In this sense, navigation a nd e x plo ration de term ine the stor yline and a player who interacts with mor e o f the e nvir onme nt will inevitably have a r icher exper ie nce.
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[FIGUR E 4 ] Scr eenshot fr om the f irst le vel ( tutori al) o f Detr oit: Become Human , i n which the player learns t o interact with the gaming e nvir onme nt. W ithin this introduction, the player i s also intr oduce d t o the c onse quences o f poo r choice s. For instance, upon disc overing c erta in ke y c lue s o r f ind ing a n item that ca n b e use d i n a critic al m ome nt later i n the episode, th e proba b ili ty o f suc cess for the mission appear o n the screen (see F igure 5 below) and can either b e ra ise d o r lowered depending o n th e c hoic e th e pla yer ma de. I n my playthrough o f this e pisode, f or insta nce, I m ade an early choice t ha t i mmed ia te ly lowere d th e chance o f success. This pr ompted me t o pla y mor e conser va tive ly
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throughout the rest of the level so I could save the little gir l from the deviant andr oid. Often, these dialogue s o r actions tha t th e player ca n unlock pose ethical questions for the gameplay . In thi s tutorial, the player can learn the android’ s name an d then choose t o use i t whe n co nfr onti ng him at th e end o f th e episode. This crea te s tr ust betwee n C onnor a nd the perpetrator , allowing Connor t o get closer t o him and the girl. Another option presents itself when Connor finds one o f th e victim’ s guns and has the choice t o take i t o r leave it . If h e takes i t, h e ca n use i t a t the end o f the level t o shoot th e devia nt android, saving th e gir l. Ethically spea king, this raises a lot o f questions, beca use the charac ter i s himself a n andr oid. When I played through, I both used the deviant’ s name t o establish a rapport and then shot him with the gun, per haps still nervous about my pr oba bility o f succe ss. I certainly did no t want t o wa tc h the little gir l fa ll t o her death from th e top o f the skyscraper . The player must wonder, a s I did, i s there a way t o complete this level i n a n ethica l way? Pla ying as a n a ndro id ma de me uncomfor ta ble with the thought o f ma king another andr oid e ven a de viant one fa lse promises and the n ultimately m urdering him.
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[FIGUR E 5 ] Scr eenshot fr om the f irst le vel ( tutori al) o f Detr oit: Become Human , i n which th e player raises his chances o f a successful mission through hi s o r he r c hoice s. Thankfully , at th e end o f this first level, th e player i s confronte d with his o r her ow n choices a s we ll a s th e var ious paths h e o r sh e di d no t t ake i n th e fo rm o f a flowchar t. The com puter rea ds through th e flowc har t, highlighting the player ’s choices throughout the completed episode, moving from lef t to right a s i n a book. These flowcharts are the next object o f s tud y for u s, a s the y
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demonstrate the sheer magnitude of options within this video ga me. Flowch art Detr oit: Become Human distinguishes its elf i n many ways from its c ompetitors i n th e rea lm o f ar bore sce nt narratives, but partic ula rly through it s use o f flowc har ts. According t o David Cage him se lf, the us e o f the se flowchar ts while com plica te d t o im ple ment allows th e players to unde rstand the im pa ct o f the ir choic es : Nous a vons é gal e ment d éci d e représenter l’ar bore sce nce d e c hoix possible à l a fin d e chaque scè ne. A u début, j’étais vr aim e nt r étice nt à l’idée d’implém enter ce tte f onctionnalité, mais nous avons c onstaté qu e c e choi x é ta it incroyableme nt popula ire c he z le s joueurs ca r l a plupart ava ie nt a ppréc leur façon d e jouer un e scène e t pensaie nt avoir fait les meille ur s choix possibles. E t puis, il s voient l’ a rboresce nce e t s e rende nt c om pte d e toute s le s
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ramif ica tions qu’ils n’on t pa s p u explorer , c e qui leur donne envie d e rejoue r c ha que scène afin d e voir cha que branc he. Pour moi, u n de s sec rets [pour proposer de s c hoix intére s san ts a u joueur] e st d e s’ assur er que ce dernier a conscience des moments o ù i l effe ctue des c hoix e t d e l a profondeur qu e se s déc isions im pliquent (198-9). Indeed, i f w e return t o the tutoria l, the pre senta tion o f the flowc har t ( see F igur e 6 below) upon completion do e s indee d entice the pla yer t o repla y the le vel. Reading the flowchart from left t o right a s intended, th e player ’s choices are highli ght ed. At around the 25 % mark, w e see that the square o f options are th e differe nt clues that the pla yer could ha ve discovered whe n exploring th e c rim e scene. Certa in choic es, suc h a s ke eping th e gun, are pre sente d with a loc k icon, indicating that making such a decision unlocks new options later i n the level.
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[FIG UR E 6] Scree nshot of t he flowchar t for the fir st cha pter of Detr oit : Bec ome Human .
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Perha ps the most c ompe lling par t o f t his flowc har t i s the fact tha t there are six possible endings t o this le ve l alone , some o f which result in Conor ’s death o r in his failing this first c ruc ia l m ission. Bear i n mind tha t, up on a f ir st com pletion o f this leve l, only the choic es and endin g resulting from this initial pla ythr ough wou ld b e v isi ble , but the f orm o f the flowchar t would still indica te tha t ther e are other endings to discover . A s such, this game i s an y perfectionist’ s ni ght mare it is more than enticing t o replay every level i n order t o comple te th e f lowcha rt. Furthermore, the mor e on e advanc es thr ough the gam e, the clearer i t become s tha t th e endings on e achie ves i n individual leve ls then changes the sub seque nt le ve ls, making the overall story fee l a lm ost limitless i n term s o f playa ble hours. Another intere sting f eature o f the se f lowchar ts i s tha t i t i s possible t o c onsult the global st ati stic s regard ing choic es and outc ome s i f your P la yStation 4 i s c onnect e d t o the Inter net ( thi s a lso shares your da ta). These percenta ges o n eac h option are c ompe lling for an y pla yer who i s concerne d about th e qua lity o f his o r he r ow n choices and allow such a player t o com par e his o r he r own narra tive c hoices with those o f other pla ye rs.
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While Queneau’ s flowchart served t o demonstrate th e limits o f his story (re gar dle ss o f whether i t wa s represented b y Berge o r b y Audin), the flowcha rts f or Detroit dem onstrate a tendency towards exhaustivity a s they are constructed i n part by th e player, who gains access to them little by little through m ultiple replays. W hile they are less a esthetic tha n those w e sa w f or Quene au, rea d sim ply fr om lef t t o right, the complexity i s muc h more advanced. Indeed, the flowc har ts dem onstra te tha t the entire story i s predetermined b y th e developer , but also indica te the conside rable amount o f fre edom that the pla yer has i n c hoosing his o r her own adventure. Indee d, th e reader ’s/player’s freedom i n a n arborescent narrative precisely due to the fact that i t can b e portrayed a s a flowchart can b e calculated using combinatorics an d th e probability o f any given path through the narra tive ca n equally b e determined mathematically . Ch oic e Mechanism More interesting perhaps than th e m ultiple storylines presented i n the f low charts are th e mec ha nism s b y whic h this game operate s, e ach dem onstra ting the im portanc e o f choic e. The game pla y i s of te n self-pace d, allowing the
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player t o literally fr eeze time and e xam ine his o r her choices, which are a ccessible via a choice sca n” scree n that mimics a computer ’s ability t o visualize multiple options a t once. A s you can see i n Figure 7 below , this scree n shows your obje ctives an d i nte rac ti ons, bu t also indicates where you should head to learn more. A s you ca n see from the screenshot, there i s a character highlighte d i n yellow i n another r oom. Thi s i s ho w the player knows tha t Connor shoul d i nvestiga te f ur ther on. This choice scr een i s entic ing f or the pe rfectionist player and a lso me taphor ica lly rich give n the thema tic mater ia l o f the game. Indee d, the player is playing a s thre e separa te andr oids wh o, unlike huma ns, ha ve the a bility t o interact with the bifurcating choices i n a different way than humans. While a human c harac ter woul d find him o r her self (themselve s) trappe d within a f lowc har t, only being able t o unde rst and the story fr om a limi te d per spective, andr oids are c omputer s and ca n perf or m calculations instantaneously . This i s why much o f th e actions in the game require slowing down, analyzing, and conte mpla ting various opt ions. I ndee d, the game pla y fur the r them atize s th e choice me chanism, convi ncing th e player even fur ther o f hi s o r her pr ivile ge d position and especially o f th e im portanc e o f his or her dec is ions.
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[FIGUR E 7] S creenshot of the c hoice sca n scree n dur ing the first chapter of Detroit: Become Human. In a ddition t o thi s sca nning opt ion t ha t can b e accessed at alm ost any point, m ore time ly standar d choice options occur i n the form o f a button t o pre ss o r b y physically displacing the character , and certain Quick T ime Events (QTE). Referring again t o Figure 5 , th e standard choice o pti ons are of te n acc ompa nied b y a cha nge i n th e pr oba bility o f succe ss, which, unlik e the time-freezing mec ha nism, adds a sense o f urge ncy t o the gameplay .
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While the player has sufficient time t o ma ke these choices, under standing the ir imme diate impac t o n the player ’s chances t o succeed can b e quite nerve-racking, eve n i n a game tha t allows the player t o rep la y each episode a n unlimited number o f times. The QTEs are e ve n more stressful, as they oc cur a t pivotal mome nts a nd, unlike ever y other choice m echanism pr ese nte d i n the game, d o no t allow the player sufficient time t o eva lua te th e options available. A prim e e xam ple o f this me chanism occurs in a subsequent chapter, one o f the critical moments i n which a charac ter ha s the option t o br eak f ree o f he r programm ing, name ly whe n the house ke eping a ndr oid, Kara, i s c onfronted with a n unethica l order fr om he r master, T odd. When T odd’ s character becomes unhinged during dinner and scares hi s daughter , Alice, h e orders Kara no t to move and begins t o lose hi s patience while hi s daughter has run upstairs t o hide. In front o f her, Kara sees a literal wall beyond whic h she ca nnot m ove. Ethically spe aking, it is cle ar tha t this situa tion will not end well should Kara follow Todd’s order not t o move. However , the character i s a n android and therefore not nece ssarily c onfine d t o ou r h uma n noti on o f ethics. S ince Kara i s controlled b y a human player , however , i t i s this
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player who must decide t o g o against a n explicit order , a n odd re quest i n a vid eo game t ha t ha s u p until th is po int offered explicit instr uctions t o help the player i n ea c h episode. Should th e player choose t o ignore T odd’ s comm and, Kara ca n a ppr oa ch this virtua l wall a nd literally brea k thr ough i t u sin g QTEs (see F igure 8 bel ow). Thi s crucial m ome nt whe n the pla yer chooses t o c orr upt the character ’s programming i s portrayed a s a lit eral glitch. Unlike Queneau’s glitch i n which the narrative created b y th e rea der m ight not b e logica lly c onsistent, this visu al glitch m orphs the worl d from t he poin t o f vi ew o f th e character , wh o watches herself literally break through th e inter diction (whic h becom es jum ble d and misspelle d the more the figurative glass brea ks). Once free fr om he r programming and thereby a devia nt, Kar a must g o upstairs to protect Alice. If unlocked i n a prev iou s level, she can grab a gun t o defend herse lf and the child and thr ough a series o f intense QTEs, she can kill T odd and escape with A li ce.
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[FIGURE 8] Screenshot of the choice scan screen during the first chapter of Detroit: Become Human. In th e case that a player does not wish t o behave ethically, h e o r she witnesses a sad scene: T odd goes upstairs an d kills Alice, then blames Kara and kills her as well . In thi s scenario, the player loses the charac ter o f Kara entir ely and continues the game alternating only between Markus’s and Connor’s sto ryl ines. A s W ark admits i n Gamer The ory , “ Ga mers are not a lwa ys good Gods” (26). The fact that the choice mechanisms the mselves ra ise ethical que stions i s thema tica lly linke d t o th e stor y b ein g told. Indeed, the androids who bec om e de viants are
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human-like and wis h t o b e free af ter h avi ng broke n their programming. Like th e player , they have hopes and dreams and objectives o f their own. F or instanc e, afte r breaking thr ough he r progra mming, Kar a litera lly see s before her th e words “Protect Alice” (and can addition all y turn around t o try t o “Reason with T odd”). Playing a s these a ndr oids allows th e player t o em pa thize with them and i n a cr itical mom ent later i n the game, h e o r she eve n has the option t o c onver t C onnor into a de viant a nd have hi m join the rebellion. Unlike Queneau’ s tale which thematiz ed a lack o f f reedom despite a ll indic ations t o the contrary , Detr oit: Become Human allows th e player t o consider the freedom tha t h e o r she still ha s within a highl y regulated story that still only ha s a finite num be r o f outcome s. Conclu sion While i t might seem irrelevant to com pare one o f the earliest exam ples o f arbore sce nt litera ture t o a far more advance d one tha t owe s t o de cades o f impr oveme nt s i n computing technology , I believe these two interactive scenarios are i n a critical dialogue with on e another . Indee d, those who write arbore sc ent litera tur e today still reference Queneau, a s evidenced b y Écrir e u n scénario
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interactif , which juxtaposes Oulipo’ s purpose with exc lusive intervie ws with David Ca ge. A s the a uthor s s ta te regarding Oulipo, “Or , qu’est- c e que l’Oulipo, sinon u n jeu littéraire ? E t qui dit jeu dit règles, voir e mathéma tisa tion desdite s gles. L e jeu vidéo n’est ni plus n i m oins qu’un univers, u n je u, pr oduit par de s outils inform atique s d e plus e n plus perf orma nts. Indee d, Oulipian ga mes an d vide o gam es have muc h i n c omm on, specif ica lly the pedagogic al intent a s well a s the interplay between humanities an d mathem atic s. In that sense, what truly separates Queneau’ s text from Detr oit i s no t necessarily a lack o f o r dif ferent vision, bu t rather a frustration with the medium. A t the time Queneau wrote U n conte à votr e façon , working with computers brought one into much closer conta ct wit h pr ogr amm in g languages and was far more rudimentary than today’ s IT . A s such, Queneau’ s text reflects a timely frustration with th e lim itations o f the computers o f his ti me for li ter ary production. Cons equ ently , h e chose to thematize this lack o f c hoic e, crea ting a thoroughly ir oni c te x t t ha t i s neverthe le ss a pioneering exa mple o f th e genre o f arborescent literature. O n a higher level, Queneau’ s work can b e rea d as a p hilos oph ica l demonstr ation o f a lac k o f free will, a t least i n th e “conte” genre, i n which the goal is
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to teach the reader a moral through what Propp’ s work suggests is a finite collection of pre- de term ine d f unctions. Detroit, on the other hand, does not suffer from such limitations. With the big budget of a studio specializing in AAA games and the advancements in computing power since the 1960s, David Cage is able to wr ite his arborescent script in such a way as to overwhelm th e player with a multitude of choices, precisely due to the new medium and the interactive c hoic e mechanisms it allows, following Wark’s reflection: “The digital produces not just new kinds of media but a whole new topos, in which the role and rule of the line is reversed. One no longer follows a line to find where it divides; one divides with a line to ma ke a disti nc tion. Stor yline be comes gamespace” (70). W ark’ s reflection on the digital is doubly true for arborescent narratives, as the divisions in the lines do indeed turn storyline into a game space in which the reader or player must ma ke a decision to ad vance. Judging from both U n conte à votr e façon and Detr oit: Become Human , both Queneau and Cage recognize the inherent par adox o f arbore sce nt liter ature : namely that, for a ge nre that posits a c hoice, it i s the a uthor who has the freedom o f choice, whereas th e reader/player
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i n fact ha s rather a simulacr um o f choice, confine d b y the predetermined choices o f the author . Since Queneau’ s short text (and computers o f the 1960’ s i n general) could not possibly convinc e th e rea der tha t his o r her c hoic es matter , i t employs every rhetorical strategy t o taunt the reader with this lack o f narrative power . For Cage, who has a far more robust algorithm ic structure behind hi m, h e prefers t o demonstrate th e weight o f the player ’s choices, regar dless o f the fact tha t all the possible narra tive s were predeterm ined in adv ance.
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NOTE S 1 While m any researchers have differe nt name s f or thi s genre, the central idea can b e summe d u p a s Ma rie- La ure R yan deftly put i t a t th e start o f her article: “The central idea o f Interactive Dram a i s t o a bolish the differ ence between author , spectator , author and character” 677. See R yan, Marie-Laure. “Interactive Drama: Narrativity i n a Highly Interac tive Envir onme nt.” Modern Fiction Studie s , (43: 3 , 1997) 67 7 –70 7. 2 La vigne, Carlen. “Pressin g X t o J as on: Narra tive, Gender , and Choice i n Heavy Rain .” Studies i n Popular Cultur e , (4 1 : 1 , 2018) 15–36. 3 Bens, Jacques. Genè se de l’ Oulipo 1960-1963. Le Ca stor Astra l, 2005. 4 Propp, Vladimir . Morphologie du conte. Éditions du Seuil, 19 65. 5 W ebster , Doris, Hopkins, Mary Alden. Consider the Consequences !, The Century Company , 1930. 6 Lacombe, Pierre, et al. Écrire Un Scénario Interactif. Éditions Eyrolle s, 2019. 7 Quenea u, Ra ym ond. Un c onte à votre faç on.” La littérature potentielle , Oulipo, Gallimard, 1973, 273–76.
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8 R yan, Marie-Laure. “Interactive Drama: Narrativity i n a Highly Interac tive Envir onme nt.” Modern Fiction Studie s , (43: 3 ) 1997, 67 7 –70 7. 9 T oft, Bjarne. “Claude Ber ge Sculptor o f Graph Theory .” Graph Theory i n Paris: Pr oceedings o f a Confer ence i n Memory o f Claude Ber ge , edited b y A . Bondy e t al ., B irkhäuser , 2007, 1–9. 1 0 Berge, C laude. “Pour une a nalyse pote ntielle d e l a littérature combinatoir e.” La littérature potentielle , Édi tions Gal limar d, 1973, 43–57. 1 1 Audin, M ichèle. Image s Des Mathé matique s. http://image s.ma th.c nrs.fr/L-Oulipo- a-c inqua nte- ans- 812?id_forum=3160&lang=fr  . Accessed 12 Dec. 2022. 1 2 Campaignolle-Ca te l, ne. Un Conte à votre faç on d e Quene au  : linquanc e o u insignifiance ?” Re vue d’histoire littéraire d e l a France , vol. 106, 2006, 133–156. 1 3 Nos V aleurs | Site Officiel | Quantic D r eam. https://www  .quanticdream.com/fr/nos-valeurs. Accessed 1 7 Dec. 2022. 1 4 Detroit: Become Human. Quantic Dream, 2018. 1 5 W ark, McKenzie. Gamer Theory: Harvard University Press, 2 00 7.

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V o us m e f erez u n bo n article su r l’ en sem b le, un e esp èce d e co n c lu sio n philo s oph iqu e, g en re fran çais. S ha ll w e sa y ten pag es ( 4,500 words)? And can you let m e have the copy very s oon ? Sa y , with in ten d a ys ? J e lui a i r i a u nez, au ssi sûr q u ’on p eu t l’ êtr e qu an d o n n a n i l e d ésir , n i les moy en s, n i l’o b lig ation d e f aire q u elq u e cho s e, q u ’o n n e l a fera p as. E n con séq u en ce, à p ein e ren tré à Paris, j e m e su is mis à l’ou v rag e, c ’est- à -d ir e à r é f c h ir . Pau l V alér y , R eg a r d s su r le monde a ctu e l ( Par is, Gallim ar d , 1 9 45 ) , 9 4 .
P r ologue T oute instruction religieuse conséquente impose l’acquisition d’ un ca téchisme dive rsifié, intensif e t éte ndu. Outre l’étude édifi ant e et exem plaire d e l a vi e des hér os,
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saints e t martyrs, dont l e destin exemplaire sert à modeler l a vie sociale, mondaine et quotidienne des catéchumè ne s, nombr euse s sont les he ures consacrée s à l’acqui sition de s princ ipes e t moye ns essentiels à l a sur vie d e l a f oi, a insi qu’à l a révélation énigmatique e t surnatur e lle de s m ystè res e t des miracles. C hac un y apprend l a différence e ssentielle entre l e propos litté ral e t so n contre point figura tif e t malheur à ceux qui y perdent leur la tin e t n e s'e n tie nne nt qu’ à une lecture terre à terre inca pa ble d’écha pper à l a pesanteur d u réel e t à l a ba na lité pr ofa ne d u quotidien. Introduit par les maitr es d e l a par ole à ces disc ours véré s i l fa ut savoir s’e ssorer bien haut e t vol tiger a vec le s syzygies les plus agiles e t les plus prestes af in d e par ticiper à l a transe d’ un savoir avantage ux. C e n’e st qu’ au prix d e cet apprentissage pr ogressif e t éte ndu qu’e nfin l’initié pe ut avoir ac s aux c ommandem ent s sac s d u ca non e t exprimer s a confession d e foi : l e crédo ( creed ) des fidèles. Ce der nier stade d e l’appr entissage liturgique conduit à l’acceptation de s m ystère s d e l a foi, ce sa voir sacré devient « j e crois en cette vérité » , c e que confirme l a réponse des fidèles : « Amen » ( En vérité ). L ’apprentissage religieux des petits chrétiens, unis dans une foi « sainte, unive rse lle e t a postolique » , culm ine ainsi, dans l a c omm union or iginelle, par l a rem ise d’ un
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document écrit d u « Sym bole d e Nicé e » ( T he Nice ne Creed ) qui certifie, aux yeux d e l a communauté assemblée des fidèles que l’ im pétrant a été adm is dans l e cerc le de s élus e t qu’il a été confirmé dans son éternelle foi e n les enseignements sacrés des m ultiple s par tie s d e l a liturgie acquis e.
[FIGURE 1] « The Nicene Creed », document de l’auteur . © tii. All rights reserved, tous droits réservés.
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E n 2007 l a com pa gnie d e je ux vidé o numérique s Ubisoft, basée à M ontréal, sortait l a pr emièr e ver sio n d’ Assassin’ s Cr eed , une série d e jeux vidéo historiques d' action-aventure e t d' infiltration. Depuis cette date, di x nouvelles versions ont é pr oduites : une onziè me, Assassin’ s Cr eed : Mirage , annoncée pour 2023, est déjà e n pré-vente sur les réseaux internet. C ha que nouve l épisode, publié de puis 2007, la ng eant f iction na rra ti ve e t c hr onique historique, couvre une r iode c d e l a civilisa tion mondia le. L e prem ier jeu portait avant tout sur l a présenta tion d u systè me généra l d e l a série e t l a bas e génétique à l’origine d e l’A vatar principal d e c e jeu o ù l e personnage central r eprésentant l e joueur, apparait à l a troisième personne da ns l a dynam ique ludique d u jeu. Episode après é p iso de, le s c ontr aintes insc rite s da ns l e dér oulem ent d e l a par tie sont strictement c ontr ôlées, da ns tous les dom aines d u dispositif d u jeu, pa r u n ensem ble d’algor ithme s distribués selon le s f onc tions e t moda lité s ludiques à exécuter . L e décor historique choisi pour l a prem ière édition, l e temps d e l a « T roisième Croisade » , est fidèlement reconstitué par le s algor ithme s contr ôla nt l e re ndu graphique réalisé selon les donnée s pré cise s acce pté es par les arc hives hist or iques d e l a période. L e tra iteme n t
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extrêmement soigné d u tra iteme nt d’ im age donne a u spectacle visuel d u jeu so n caractère exceptionne l. L e raffinem ent d e l a rec onstitution historique repose sur le s nouvea ux moyens numér ique s ma inte na nt disponible s pour l a cré ation d’ algor ithmes perme ttant l a réalisa tion d’« effets spéciaux » singuliers. Chaque nouvelle édition publié e par l a suite évolue dans une pér iode histo ri q ue différente, accentuant encore, grâce aux pr ogrès tec hnologique s d u tra ite me nt numér ique d u gra phisme, l a précision enc yc lopé dique d u c onte xte architectura l, topologique e t urbain ordinaire d e l a période choisie. Avec l e deuxième épisode d e l a série ( Assassin’ s Cr eed I I , 2009), l e développement des scè ne s d u jeu néf ic ie de s progrès informa tiques inscr it da ns l e faiscea u de s algorithm es qui com bine nt l e c oda ge de s te chnologie s cinématogra phiques e t numér iques pour rec réer u n univer s historique d’une pré cision e xtra ordinaire qui donne une expansion inégalée à l’im mersion usue lle de s joue ur s investis cor ps et âme dans ces jeux d e type « m ond e ouvert » comme l e sont toutes les livrai son s d’ A ssassin s Creed e t produits dérivés . A u quotidien, cette immersion d u joueur , dans l’univers fini cadastré par l e réseau limité des algorithm es, postule u n enga geme nt sole nne l enver s les obligations dict ées par le s rè gles imp o sée s e t
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contraignante s de l’é che vea u numé rique. L a réalité augmenté e et r ec herc hée d u méta ver s graphique ainsi créée par les algorithmes impose a u joue ur l e type d’ impératif catégorique pr ofane d e s e cr oire, hi c e t nunc , dans ce temps, dans ce lieu, et au mil ieu d e ces per sonnages historiques. Ce sim ulacre d e réalité régenté par l’illusion visuelle installée par l’intel lig ence artific ie lle (la combi naison intriquée de s algorithme s contr ô la nt l e graphisme), justifie, en partie, l a notion d e crédo ( cr eed ) inscrite dans l e titre générique d u je u vidéo. C’e st, toutefois, une exige nce bien supér ie ure, plus pr oche d e l a dimension liturgique du sacré surnature l qu i, au quotidien, semble gouverner l’exaltation par ticulière d e l a pr ofe s sio n d e fo i du joueur : i l lui faut aussi fermement cr oir e à une certaine liturgie d e l’être social souverainement enchâ ssé e dans les re ts sa vam ment verr ouillé s par les algorithme s gouvernant l a stratégie narra tive d u je u. Raison d’êtr e Comme l a dernière édition distr ibuée d e ce jeu, Assassin’ s Cr eed : V alhalla (2020), a ajouté (selon les statistiques off icielles) vingt m illions d e joueur s supplémentaire s à l a base exista nte d e plus d e de ux ce nts
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millions d e joue urs gulièrem ent e n ligne pour ce qui es t devenu l’un des plus populaires jeux d e ty pe RPG ( jeu d e rôles r ole playing game ), o n peut estimer que l a raison d’être d e ce jeu, y com pr is le s buts assignés pour déterm iner que l a session s e ter mine avec succ ès, e st aujourd’hui connu d’un large public. Donc, sim pleme nt pour mémoire, j e rappellerai brièvement que l’A vatar fictionnel l’Assassin » ) pr incipal repré senta nt centra l d u joueur est u n personnage d e l a pér iode conte mpora ine identifié par u n no m (ou u n surnom) déterm iné. C e protagoniste c ontem por ain de sce nd d’une longue ligné e d « Assassins » qu i lui donne une histoire généalogique régissant l « Animus » , ses qualités d e vie (force, initiative, imagina tio n, etc.) et ses virtuosités duc tive s. Ce sont les qualit és g éné tiques s péc ifiques d e l a ligné e d e l’« Animus » qui vont aider l a figure principale d e l’épisode, l’A vatar historique, à jouer l e rôle actif d e « valant-pour » (vic aire) d u joue ur pe ndant toute l a conduite déterminée d e l a séque nce d e je u insta llée da ns l a tempora lité imm édiate d u thèm e chronologique e t géographique d e l’épisode d e l a saga d As sassin’ s Cr eed . Éventuellem ent, à l a suite d’une excelle nte ge stion d e se s facultés tiques économisée s o u a cquise s e t d e s accessoires matériels dont i l dispose, l’A vatar parvient à
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atteindre l e but final assigné par l e scénario prescrit d u jeu : l’assassinat d’un personnage ( histor ique) signé originelleme nt comm e l’e nnemi. L e système binaire d e rivalité, entre l’A vatar historique (l’« Assassin » ) et l a cible désignée, re pose, pour l a conce ption originelle d u je u, sur l’e xtr apola tio n des éléme nts c onstitutif s d e l a tra me d u roma n Alamut écrit par l’ aute ur slovène Vla dimir Bartol e n 1938 et traduit dans une multitude d e langues, ce qui e xplique son succès interna tional comme roma n d e type « fantasy historique » . L e roman, imprégné des enseignements d e Nietzsche et d e Fre ud ac quis par l’aute ur pe ndant se s études à Ljubljana e t à Paris, s e situe e n 1092 da ns l a forteresse d’ Ala mut contr ôlée pa r l a sec te religieuse de s Haschichins (ce no m pr opre es t à l’ or igine du ter me « assassins »). L ’embrigadement des jeunes recrues leur impose une vie studie use et ha uteme nt discipliné e d’enseignement re ligie ux e t milita ire qui va lorise l a dévotion à autrui, l a f oi en une vie mora le, l e refus d e tout asservisseme nt e t l a lutte far ouche c ont re toute f orme d’oppression autorita ire qui utilise l e sim ulacre, l’ar tifice e t l’offuscation pou r manipuler le s ma sse s publiques. L ’influence d e Nietzsche est s i évidente que l’un des crédos soum is à l a formation de s recrues est une phra se
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directement empruntée à son traité philosophique Ainsi parlait Z arathoustra : « R ien n'est vrai, tout e st per mis ». L e livre d e Bartol, écrit entre le s de ux guerr es mondiales, es t généra leme nt considéré c om me u n ouvra ge politique destiné à pr éve nir c ontr e l’irré sisti ble asce n sion, à l’époque, d’un certain nom bre d e régimes fasciste s e t totalitaires reposant su r l a diff usion spec taculair e d e fausses nouvelles présentées comme vérités off ic iellem ent avérées e t destinées à tromper les peuple s, à asser vir le ur loyauté et à assurer l e maintien d e son pouvoir . Dans l e roman, le s plus br illa nts disciples d e l a f orm ation à Alamut ont donc pour mis sio n, à leur sortie d e l a f orteresse, e t lors d e leur retour à l a vie publique, d e mettre fi n à toute for me d’a sse rvissem ent cr iminel e t à maintenir l e dr oi t à l a liberté exercée sans a uc une e ntra ve d u pouvoir e n pla ce. Bartol lui- même, pe ndant l a se conde guerre m ondiale, de vie ndra u n m em br e actif e t influent d e l a sistance slovène contre l’envahisseur nazi. T outes les livrai son s successives d’ Assassin’ s Creed , prenant place dans divers lieux aux cours d e différents siècles, avalise nt ce tte liturgie soc ia le et politique d e base e t les algorithme s narra tifs gère nt str ictement ce tte ligne d e conduite pou r l’Avatar fictionnel temporel ; s a mission consiste à mettre fin à l a domination tyrannique d’un personna ge historique
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désigné comm e l’ennemi des libertés e t l’incar na tion d’ un pouvoir fondé sur l’ exerc ice d’une autor ité abusive ér igée su r u n simulacre politique. Cette ligne narrative héritée d e l’idéologie im plic ite d u r oma n source installe l’e nsem ble des épisodes d e l a sa ga sur u n scé nario liminaire é tabli sur u n dualisme antagoniste pr im or dia l qui, a u c our s des siècles, oppose l a « Fraternité des Assassins » à l’« Ordre des T empliers » . Il n e faut pas s’abandonner à un e inter prétation tive d e c e modè le d e c onf lit bina ire e n l e réduisant à un simple manic isme primaire : l e bie n contre l e mal. Il n e s’agit pas vr aim ent d’une question éthique, mais d’ une dim ension socia le e t politique o ù s e laisse deviner , dans s a réinterprétation entreprise par Assassin’ s Creed , l’addition d e certains aspects des fractures sociales bien contem poraine s. L a « F rater nité des Assassins » valorise l’esprit liberta ire, l a libr e pe nsé e, l’ordr e na turel e t l’initiative individualiste ( l e s « Assassins » sont, par nature, des « francs-tireurs » ) ; l a meilleure devise d e ce groupe est probablement « Nous agissons dans l’om bre au tr iomphe d e l a lumière » . L ’« Ordre des T e mpl iers » insiste sur l’ordre, l e pouvoir , l’a genceme nt hiér a rchique et u n veloppeme nt économique débr idé favor isant l e m onde industrie l e t commerc ial. Le s per sonnages historiques e t le s
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per sonnages d e fiction qui apparaissent dans les différents épisodes d e l a saga nourrissent ce tte r iva lité anc estra le : l a famille des Borgia, Maximilien d e Robespierre, James Cook, Thomas Edison, e tc. a ppartie nnent à l’ « Or dre » , l a famille des Médicis, Nicc olo Ma chia ve l, Le onardo D a V inci, Benjamin Franklin, Mirabeau, Samuel Adams, Lafayette, etc. sont a ffilié s à l a « Fra ter nité ». Assassin's C reed est u n type d e jeu hybride situé entre l e jeu d e typ e « action-ave nture » ba sur une sim ulation historique carac tér isée par l a fid élité historique hypersophistiquée e t les jeux d e type S.T .G. shooting game » ) ayant donc pour base, souvent trè s éléme ntair e, l a destruction d’un e nnem i signé. Il es t néra lem ent considéré que le s quatre pre mièr es versio ns d u c ycle d’ Assassin's Cr eed (2007-2011) élaborées originellement par Jade Raym ond (développeuse et pr oductrice), Pa tr ic e Désilets (conce pteur e t pr ogram me ur) et C ore y Ma y (scé nar iste e t continuité) ont constitué u n galop d’essa i pour l a sér ie dans l a prolonga tion d e deux jeux à succè s déjà pr oposé s par Ubisoft, Princ e o f Pe rsia et Splinter Cell , deux jeux des tin és à u n public adole scent.
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[FIGUR E 2] Jeux vidéo. Prince of Persia (1989), Splinter Cell (2002) © Ubisoft. All rights reserved, tous droits réservés. A l a fin d e 2011, on comptait environ cent cinquante collaborateurs (historie ns, gra phiste s, scénaristes, programme ur s, te chn iciens vidéo, e tc.) e mployé s à plein tem ps par Ubisoft Montréal à l a réa lis ation d e l a sa ga d’ Assassin’ s Cr eed . A vec l e lancement des différentes versions d’ Assassin’ s Cr eed, Ubisoft devient l e troisième éditeur indépe nda nt d e je ux vidé o a u monde. Entre 2007 e t 2012, Ubis oft mul tiplie l es achats d e st ud io s
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indépendants, numériques e t gra phique s, da ns l e m onde entier (T oronto, Singapour , Kiev , Paris, V ancouver , São Paulo, etc.) e t, adopta nt une stra gie m ulti média tique d e produc tions, établit Ubisof t Motion Picture s, une com pagnie destinée à favoriser originellem ent l’e xtension des jeux vidé o vers l a pr oduc tion c iné matographique , comme l’avait anticipé Y ves Simoneau, avec l a conception e t réalisation d u court film Assassin’ s Cr eed : Lineage (2007) ta bla nt sur l’expansion d e l’ imm ersion multimédia englobant u n ensemble d e plateformes e t d e technologies c om plé menta ires.
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[FIGURE 3] C apture s d’é cra n ( titr e et nérique ) Assassin’ s Creed : Lineage (2007) © Ubisoft. All rights reserved, tous droits r éser s. Cette expansion industrielle d e l’entreprise e n 2011 accélère les changem ents adm inistratif s e t créatif s à l a tête d e l’unité d e production d’ Assassin’s Creed et l e succès d u jeu, qui, alors, comme indiqué, com pte alors plus d e deux cents m illions d e joueurs réguliers, impose un e augmentation d’environ cinqua nte c oll abo rate ur s salar s à l’équipe d e préparation e t donne a u pr ojet une dime nsion plus stable e t, à l a su gges tion d e l a divi sion mar ke ting d e l’entr eprise, i l est décidé que le s thème s et le s scé nar ios des différents épisodes e n développement cibleron t désor mais un public plus « a dulte » qu e le s é ditions précédentes. T outes ces raisons, industri ell es et créatives, expliquent l e fait qu’ Assassin's C reed III ( 2012) apparait, historiquement, com me l a mise e n route d e l a version qu i,
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d e cette riode à aujourd’hui, donnera à cette saga le s caractér istiques d e son ide ntité ludique e t le s for me s principales d e son système algorithmique et d e se s c haine s narrative s. Comme a nnoncé, l e je u quitte l e doma ine de s jeux destinés au x adolescents e t appara it avec l e labe l « Mature 17+ » , s’installant explicitement su r l e marché d’un public plus large, plus intellectue lle ment am bitieux e t compétiteur , e t, certainement disposé à dépenser plus pour u n jeu a u graphisme accrocheur , extrêmement complexe e t sophistiqué. Abandonnant l e vert paradis des apprentissages e nfa ntins, l e je u y gagne une inte lligenc e artificielle d’ âge d’ homme.
[FIGURE 4] Assassin’ s Creed III (2012) © Ubisoft. All rights reser ved, tous droits réser s.
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L a cr itique spécia lis ée a salué positivem ent cette nouvelle étape d e l’entrepr ise e t a bré le s rite s d u veloppeme nt très poussé de s algorithmes géra nt le s différents personnages pr inc ipa ux et secondair es, l e caractère précis, ticuleux e t f ouillé de s déc ors visue ls, l’am bition intellectuelle des intrigue s pr im ordia le s e t des branchements auxiliaires. Ce sont, par- dessus tout, l a spécia lisa tion e t l a c omplexité des code s a lgor ithmique qu i gouvernent l a diversité des d’objets a ppar aissa nt da ns l a progression que ntielle d e chaque je u ainsi que l a dextér ité phénom énale d e l’animation kinétique de s per sonnages graphiques qui ont retenu l’a tte ntion de s spécialiste s. L a ponse ultra ra pide à toute comma nde a ussi bien que l a diligenc e des diver s m ouve ments d es é léme nts d u jeu sont particulièrement appréciées par les joueurs dans un univers o ù l a v élo cité d u jeu fait apprécier tout gain d e seconde dans l e roule ment d e l’a ction. Cec i, q u’il s’agisse des actions voulues par l e joueur en matière d e « vitesse » o u d e « parcours » afin d e réaliser l a mission d’assassina t histor ique im posée par l e thème d u je u impliqué par l e s ous -titre spécif ique. Chaque ver sion s e joue selon l e mode di t « c our se libr e » o ù l e joueur peut à
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loisir explorer des carte s partic ulière me nt éte ndues du métaver s graphique imposé par le thèm e.
[FIGUR E 5] Assassin’ s Cr eed II (2 009). Captur es d’écran © Ubisoft. All rights re ser ve d, tous droits réser s. L ’algorithme gouvernant l a mobilité perme t d e circuler « libreme nt » dans cet unive rs sur u n plan horizontal (le s rue s d e l a ville o u l e pa ysage rural très détaillé offer t par les effets visue ls du
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jeu) e t sur l e plan vertical (grimper sur les immeubles e t les m onuments qui l'entourent dans l’univers urba in ou le s collines, arbres, rocher s e t autre s obsta cle s éle s d u paysage, tout type d e hauteur rencontrée dans l e métaver s du jeu).
[FIGURE 6] Assassin’ s Creed II (2009). Capture d’écran © Ubisoft. All rights reserved, tous droits réservés. Sur les deux plans d e l’univers d e base, i l v a d e so i que l e joueur peut aussi « che vaucher » u n c our sier o u u n véhicule d’un type o u d’un autre. Assassin's Cr eed IV :
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Black Flag (introduit u n a n après Ass ass in's Cr eed III) substitue u n univer s priorita ireme n t maritime à ce qui a été jusque- l à un univer s surtout continenta l. Une se ule restriction fonda me ntale a ux r ègle s qu i gouver ne nt le s algorithm es d u m ouvement qu’ il s’a gisse d e l a « vitesse » ou d u « parcours »: puisque l e jeu est à « la 3 e personne » , l e joueur (son A vatar historique) n e peut pas s e déplacer latéra leme nt pa r ra ppor t à l a vision d u métavers directement devant lui, i l n e pe ut que s e déplacer da ns l a dir ection d e c e qui c orrespond à s a vision f ronta le. D e 201 1 à aujourd’hui, l e travail des animateurs graphiques a béné fic d e l’ inter action et d e l’ inté gra tion d e pl us e n plus inte nse d u numér ique a vec l a kinétiqu e cinéma togra phique pour re ndre plus « réaliste » tou t déplacement de s pe r sonnages princ ipaux e t sec ondair es dans l e déroulement d u jeu. Ce tte ca pture d e mouveme nts qui sont filmés e n direct avec des acteurs r éels har nac s d e ca pteur s d e mouve ment digitaux perme t d’intégr er de s mouve me nts spéc if ique s lors d e l a transposition numérique dans l e doma ine d u jeu vidé o. O n c om pre nd que cette préc ision des mou veme nts, re ndue possible pa r u n encodage hiérar chique des a lgor ithm es d e c om mande, est tout pa rtic ulière ment se nsible da ns l a réalisation d e scènes d e combat individuel o u collectif ; l a banalisation
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d e cette technologie multimé dia ser a cer ta ine me nt m ise à l’épre uve lor s d e l a réa lisa tion d u pr oc hain é pisode annoncé d e l a saga, Assassin’ s Cr eed : Red , puisque so n thème histor ique pr évu est l e ta ver s d e l a période féodale d u Japon, ce qui, sans aucun d out e, rep osera e n gra nde par tie sur l a hiér atique c onventionne lle e t contrainte d e l a gestuelle très exac teme nt c odif iée des a rts martiaux. O n com pr end a isé ment que, pour tout joueur cette « mise a u monde » kiné tique imm édia te e t instantanée dans l’ univers virtuel d u jeu, fa vor ise l’impression d « appartenir » e t contribue à effacer tout effet d e distanciation e t, à l’ inverse, re nforce u n sens imm inent d e présence à ce métavers sur na tur el. Arsen al sacré Le s algorithme s c ontrôlant l a pr ogre ss ion vita le d e l’A vatar historique d u joueur lu i attribu ent, donc, selon s a performance, des propriété s tique s lié es à l a ligné e attachée à son « Animus » . Outre cette dimen sio n imma ne nte, pour l’a ider à accomplir l a destinée que l e scénario nar ratif d u je u lu i impose, une sér ie d’a lgor ithmes spécif iques vient ajouter des élé me nts extérie ur s qu i com plètent e t com plémentent s a dextér ité agentielle :
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costume, arm es e t vélocité. Ceux-ci favor isent a insi, s’ il l e mérite, l a qualité accr ue d e s a quête e t affe rmisse nt s a foi e n s a mission sacrée. L ’acquisition progressive e t exhaustive d e ce s re ssource s mises à s a dis posit ion par l’arcature numérique, permet a u joue ur d’acquér ir l e répertoire liturgique d e base d e so n aisance et compétence ludique s. Costum e L e costume d e l « Assassin » , dans toutes les éditions d e l a saga Assassin’ s Cr eed s e compose d’une tenue singulière qui devient une sor te d e mar que d e reconnaissance d e c e type d e per sonna ge e t lui donne une apparence qui confirme so n ide nti té. L ’élément caractéristique est u n vêtem ent am ple qui couvr e l e torse e t une capuche attachée qui couvre l a tête d u per sonna ge ; l’ensemble est généraleme nt déf ini da ns l e voca bula ire vestimentaire conte mpora in c omme un « hoodie » (sweat/pullover à capuc he). L e c hoix d’une ample ca puc he permet d e dissimule r les tra its d e son visa ge e t donc participe à l a réalisation d’une présence « mystérieuse » puisque ce tte occ ulta tion ve stim enta ire d u visage s’accompa gne, pour l e reste d u cor ps d e vêtements ample s qui re nde nt difficile s l a description des lignes d u c orps.
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Pour l’ensemble d e l a silhouette, o n n e peut s’em pêc her d e l a rapprocher d e ce lle des moines te lle que l a popularise nt les livres d’histoire ; une référence c onnota tive qu i attac he à l’« Assassin » l’image solitaire e t itinérante d’un ministr e d’une foi sibylline. P our re ndre le s dét ail s d’habille ment e nc ore plus flous, c omme c ’est l e souve nt l e ca s pour d e nom bre ux hér os mystérieu x d e ba nde s dessinées et d e films, l’A vatar d u jeu porte un e cape brodée d e différents signes institutionnels. Tout a u long d u jeu, les éléments qui constituent l a tenue d e l’« Assassin » vont évoluer selon l e degr é d’ ava ncé e d e s a quê te vers l a victoir e fina le. S oit les composante s d u vêteme nt ainsi acquise s vont f avor iser l a qua lité d e ses ressource s d e force, soit elles vont lui permettre d e tr om per les adversair es potentiels en a dopta nt leur s pr opr es mar ques. L a tenue, tout e n m ainte na nt l’ ima ge globa le d’ un envoyé singulier d’une puissance surna ture lle éni gma tique, reste constamm ent régie par le s algorithmes qu i c ontr ôl ent l’a vanceme nt et l’é volution d e l’ars en a l comba t if d u protagoniste e t a ident ple inement à l a progre s sio n graduelle d u jeu.
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[FIGUR E 7] Assassin’ s Cr eed II (200 9). © Ubisoft. All rights reserve d,
tou s
droits réservé s. Arme s S i l a diver sité progre ssive d e l a te nue par ticipe pleineme nt a u renforce me nt d e l a dextér ité comba tive d e l’« Assassin » , il v a d e soi qu e l’élé me nt primor dial da ns s a lutte contre l’ennem i désigné tie nt à l a nature e t à l a puissance d e ses arm es.
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Dès les prem ier s é pisodes d e l a sa ga, l e pr otagoniste historique a été doté d’ une arme ca ra ctér istique : l e poignard coulissant. T outes les images d e base d u personnage « Assassin » insistent sur l a présence d e cette arme. Comme l a première livraison d e Assassin’ s Cr eed (2007) prenait place durant l a T roisième Croisade, pour rester fidèle a u roma n histor ique d e Bartol, l’a rme était basée sur l e poignard dit « acier d e Damas » , un e lame extrêmement solide e t effilée, forgée dans les acier s d e type w ootz e t caractérisé e par l e fa it que l a lame le de s motif s moiré s da ns l a tradition gr aphique des arabesques . Ce type d e lame, venu ori gi ne lleme nt d e l’I nde, était extrême ment pr isé par les armé es musulmane s car elle avait l a réputation d e pouvoir percer l a cuira sse de s chevaliers Croisés. L ’origine historique d e cette arme fétiche des « Assassins » est maintenant largement oubliée par les aficionados d’ Assassin’ s Creed et l e poignard coulissant est sim ple ment connu da ns l e monde des fa ns d’ Assassin’ s Creed sous l e nom d e « Lame d’Aguilar » . Grâce à l a popula rité mythique d u je u e t l e c arac tère identitaire d e ce type d’arm e, l e public peut aujour d’hui e n obtenir, su r des sites internet, une « réplique authentique » forgée par Master Cutlery .
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[FIGURE 8] “Le poignard coulissant”. Assassin’ s Creed II (2009); Assassin’ s Creed Lineage, capture d’écran; Assassin’ s Cr eed : Mirage (2023) © Ubisoft. All rights reserved, tous droits r éser s. Comme l e révè le nt éga leme nt le s images canoniques d e l’A vatar historique d’ As sas sin’ s Cr eed , l e poigna rd c oulissant n’est pa s l a seule arm e dont il dispose.
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[FIGURE 9] « L ’arsenal de l’assassin ». Assassin’ s Creed II (2009). © Ubisoft. All rights reserved, tous droits réser s. L e jeu pr opose un e multitude d’a rme s selon l’ éta t d’avancement d e l a séance d e jeu e t selon le s cir consta nce s dans lesquelles l e prota goniste est plongé. Lor s d u prologue d u jeu, il est proposé à l’adoubement d e l’Avatar, u n c hoix d’arme s qui vont l’é quiper pour l e comm encement d e s a quête. Dans l’esprit nér al d e ce jeu, l a reconsti tut ion histor ique de s c hoix est par ticulièrement bien trava illé e et l a qua lit é éducative de s
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données est valor isé e d e sor te que l e joueur peut s e familiariser avec l e type d’ar se na l disponible à l’é poque. Une fois c e choix initial d’é quipeme nt m inima l d e l’A vatar , comme pou r l e costume, c e sont les algorithmes gouver na nt l’é volution progre ssive d u jeu qui d ic tent l’acquisition possible, par l’A vatar , d’armes plus puissa ntes, plus sop histiquées e t plus appr opr iée s à l a situation.
[FIGURE 10] « L ’arsenal de l’assassin ». Assassin’ s Creed II (2009). © Ubisoft. All rights reserved, tous droits réser s.
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Vélocit é Dans les premières scènes d e l a version Assassin’ s Cr eed III (2012), l’A vatar historique, Connor , perché e n haut d’un arbre, son arc tendu e t les f lèc he s prê tes, observe l’avancée, e n contr eba s, d’ une colonne d e milita ire s habillés d e l eur tunique rou ge ; ce sont les soldats d e l’armée coloniale ang laise occupant les ter r es amé ric aine s.
[FIGURE 11] Assassin’ s Cr eed III (2012). Captures d’écran © Ubisoft. All rights reserved, tous droits réservé s.
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Cette scène gra phique, avec s a profonde ur d e champ, ses ta ils écologique s e t hi sto rique s, capture parfa iteme nt l a précisio n et l a virtuos ité de s représe ntations visue lle s carac tér istique s d e l a dextér ité plastique des décors d’ Assassin’ s Creed . L a scène, toutefois, n’est pas une « nature morte », mais bien u n « tableau vivant » puisque, dans son suivi narr atif, le s détails graphiques vont s’animer , s e métamorphoser e n plans succe ssifs pou r suivre l a dynam ique physique d u protagoniste. L’ensemble graphique v a ainsi accompagner une succe ssion d e mo uve me nts vertica ux be lliqu eux extraordinair eme nt prestes e t dilige nts c o ntr e l’oc cupa nt brita nnique.
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[FIGURE 12] Assassin’ s Creed III (2012). Captures d’écran © Ubisoft. All rights reserved, tous droits réservé s. Outre l e costume e t les arme s qui c onstitue nt l a base d e l’arsenal matériel d e l’A vatar historique, so n « Animus » lui accorde une capacité physique hors d e l’ordinair e e t le s diver s algorithme s qui go uver nent l e système d u mouvement favorisent a insi l a véloc ité d e tou s ses déplacements, horizonta ux e t vertica ux, capable s d e tir er parti, interac tive ment, d e toute s le s c aractéristique s physiques d u décor graphique. L a vir tuosité m obile d u joueur déployée pour fa voriser l e parcour s « tous azimuts » d e son A vatar historique repose ainsi e n grande par t sur son absor ption majeur e d u catéchisme algorithm ique contrôlant l e déplacement dans l e m éta ver s d’ Assassin’ s Cr eed .
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[FIGURE 13] Assassin’ s Creed II (2009). Captures d’écran © Ubisoft. All rights reserved, tous droits réservé s. L e paradigme d e ce s ressource s (c ostume s, arme s, vélocité) compose l e trésor sacré d u joueur , l e vade- mecum indispe nsable à son expér ie nce d’ inté gra tion dans un univer s quotidie n mais sur nature l. O n s e souvie nt que pour e xpliquer le s canismes d e base d e l a Langue , l e lin guiste F erdina nd d e Sa us sure utilise une analogie avec l e jeu d’échecs : l a nature des pièces constitue l a ba se m or phologique d e l a Langue, les règles d e déplacem ent de s pièce s aménagent s a syntaxe e t cet ensemble combiné s’assimile à l a grammair e d e l a Langue, l e type d e pièces et l a str ucture d e l’ échiquie r composent s a partie dictionnair e . Grammaire e t dic tionnaire sont le s deux com posante s d e l a Langue.
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Jouer a u je u d’ éc hecs re vient à exploite r a u m ieux l’ensemble fini d e c es c onstitua nts f onda menta ux d e l a Langue. L a partie perf orma tive d e l’utilisation d e l a Langue par u n locuteur , Saussure l a d ési gne comme l a Parole. Retour nons l’ ana logie e t a dme ttons qu e l e meilleur joueur d’ Assassin’ s Cr eed est cel ui qu i « parle » l e mieux l a langue c omposé e des algorithme s, mécanism es profonds d u jeu e t répertoire autor ita ire d e l’inte llige nc e artificielle qui maintient l e contrôle sur tou s le s a spe cts d u jeu. Ainsi, le s modula tions de s diver se s combinaisons possibles ponctuent l e ve loppem ent d u je u et, éve ntue lleme nt, con ditionnent l a ca pac ité d u joueur à remplir l e but final assigné par l a stratégie même d u jeu : détruire l’ennem i signé da ns l a diale ctique polém ique élémentaire qui sous-te nd l e scé nar io histor ique d e ce t épisode d e l a saga d’ Assassin’ s Creed . L e meilleur joueur est donc l e plus bea u « parleur » , celui qui sait exploite r a u mieux les ressources combinée s d e l a L ang ue générée s pa r l’interpolation des a lgor ithme s. C ha que joue ur s e doit donc d’ incorporer da ns s a mém oire ludique l e m axim um d e détails pertinents à l a nom enc la ture des possibilité s propres à chacune des catégor ies d e ressources. L e joueur novice, peut, à l a limite, s’en remettre, pour u n tem ps, à une mémoire e xté rie ure, mais i l sait que progressive me nt
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i l lui re vient d e s’impré gner i ntime ment d e ce sa vo i r essentiel. L ’apprentissage consistera, non seulement à maitriser ce savoir portant sur l a compréhe nsion c om plè te des algorithmes gissant le s ressour ces, mais, tout a ussi importa nt, lui re viendra l’ obliga tion, par l a multiplica tio n d’une succession d’e ssa is infr uc tue ux d e tester les m ode s d e résistance atta ché s à ce s même s a lgor ithm es. P uisque Assassin’ s Cr eed es t u n jeu d e type « monde ouvert » , toute partie s e joue à l a fois avec et contr e les contraintes imposées par l’ordre numérique. Ainsi, par cette pratique, maitrisera- t -il l a diale ctique c onstante du ra ppor t « ac tion- réaction » e t pas seulement s a capacité à gérer les act ion s d e so n A vatar , mais il apprendra, aussi, à prévenir tout piège fixe intégré à l a dynamique numé riq ue attachée à l a tentative d e c ont our ne ment d e c e rta ins type s d’algor ithme s. Une fois son appre ntissage complé té, l e joueur peut s e considére r tente ur d’ une confianc e exemplaire, faite d’une foi ce rta ine en s a capac ité à dominer entièrem ent l e système f ixe e t ses instruct io n s impératives implanté es pa r le s conce pte urs d u je u et résultant des commandes e t principe s imma ne nts géré s pa r les algor ithmes. Le sixièm e coupl et de « La Mar seilla ise » commence par ce syntagme nominal : « Amour sacré de la
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Patrie » . I l peut pa raitre sur pre na nt qu e ce chant, à l’inspira tion vol uti onna ire e t l ibertair e proposé e n 1792 par R ouget d e Lisle comme marc he milita ire pour l’armé e du R hin, destiné à porter dans toute l’Eur ope le s idéa ux d e l a volution Fr anç aise, y c om pr is son refus d e toute dévotion religieuse et célé bré pour a voir an noncé l a fin d e Dieu e t a voir rem placé tous c es cultes r eligie ux par l a célébration d e l a figure pr ofa ne, sc ie ntif ique e t na tionale d e l’ Être S uprême, garantisse au se in m êm e d e l’hym ne à l a volution l a pr ote ction d e l a notion d e « sa cré » , indiquant ainsi qu e l e terme n’a pas seulement une vale ur religieuse, mais acc ueille c et ensem ble d e cer titude s accumulée s par l ’ho mme pour lu i as sur er l e conf ort lorsqu’il recher che une défe nse néce ssair e contre t out e forme d’a nxiété qui l’étreint da ns l’ince rt itude existentielle d e ses normes d e vie sociale. Captif d u métavers intégra l im posé par l e maillage des algor ithm es, l e joueur aguerr i compre nd que c e mome nt o ù l a conscie nce alise sym b olique ment l a présence d’un é ta t surna tur el, d’un é ta t sa cré résultant d e son a ppr entissage approfondi, n’aura ri en d e fu g it if ma i s est l à à dem eur e. Il s’est engagé da ns l e parta ge symbolique de s é lém ents d e son quotidien ludiq ue, e t, o u bien i l acc omplira l a mission qui lui est impar tie par le
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scénario e t détruira l’ennem i désigné, ou , égaré, u n tem ps, da ns l a jouissance d e l a te visuelle d e l a ta pis ser ie historique, i l ou bli era l e fil d u scénar io e t sera (virtuelleme nt) tué. Game ove r ! A partir d e s a rencontr e avec ce qu’ il a perçu comme l e sacré, l e monde d u joueur n’est plus celui gouverné par l e pr incipe d e réalité ; l’imaginair e d e l a fic tion fonc tionne comm e u n instr ument d e c oerc ition d’un conf ineme nt métaphysique, illu soi rement perçu par l e joue ur com me u n état réel aux im pératifs surnaturels. Par l’entrem ise d e son A vatar, plongé dans l’univers directif d u métavers historique, l e joueur hallucine s a propr e hypostase. L e joueur « fait corps » avec l’e nc he vêtre ment serr é d u faisceau des algor ith mes numér ique s qui trace l e c ontour préc is d’ un dom aine taboué qui fonde l’espace s acré d e s a vi e quotidienne. Cet univers sacré logé a u cœur d u jeu est e n quelque sor te so n Graa l. Da ns l e c onte xte d e l a sim ulation c onstruite dans l a réa lité augmen tée d e l a restitution ma tér ielle d’un univers illusoire ment historique s’établit une sorte d e pacte imma ne nt entre l e joueur et l e monde virtuel m ac hiné par l a te xtur e algor ithmique d u je u. Dans l a pratique quotidie nne e t supe rla tive ment ma itr isé e d u jeu, s e des sin e l a perception d’ une rencontr e immatér ielle avec une intelligence a utr e qui, suprêm e
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puissance, a eu l a char ge d’or ganiser u n univers hors normes. Deus e x machina ! Cette révélation surnaturelle engendre respect, cr ainte e t a ttac heme nt à l a logique unidimensionnelle d e survie e t d e victoire qui sous-te nd l a dynamique stratégique du jeu. Alors que notre quotidien moderne nous donne, a u jour l e jour , l’impression que notre monde a perdu s a sacralité e t que les restes d e t out e sacralité officielle ( église, m ora le politique, discipline militaire) s e sont tr écis da ns d e sim ple s com porte me nts hiératiques, ritualisés et conformistes, s e confronter, par c e type d e je u, à une intellige nce a utre, nous donne l’ illu sio n que nous quittons l e sim ple plan e xist ent iel de s chose s ordinaires e t qu e nous avons gagné accès à u n monde radicalement hom ogè ne e t inte lle ctue lleme nt distinc t qui sollicite inte nséme nt notre désir gnostique . Ce métave rs fermé su r lui-même, cor seté dans s a c ohér ence nar rative, cloisonné da ns son unique a utos ubsi stance, nous fa it oublie r l e chaos, l a fragm enta tion e t l a disloc ation d u monde extérieur , profane : hors-jeu. Spécialiste d e l a philosophie des re ligions, Mirce a Elia de ava it déjà parfaitement caractérisé ce type d’effet d u sacré su r le s fidèles : « Pa r l’ expér ience du sac ré, l’espr it huma in a sa isi l a différence entre c e qui s e révèle com me étant rée l, puissant, ric he e t significatif, e t ce qui e st dépour vu d e ces
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qualités, c’est-à-dire l e flux c ha otique e t da nge reux des chose s, le ur s a pparitions e t dispar itions f ortuites e t vide s d e sens. » 1 L a re nc ontre avec cet espa ce étymologique me nt insolite ( in- solit us / isolé ), para doxa lem ent, fortifie notre inc lina tion à l’alié na tion. Simulacre sacré vs. Histoire : l’illusion algorithmique Le sacré dan s la vie quotidienne du jou eur L e joueur , absorbé, par l’intermédiaire d e son A vatar temporel, dans l’hallucinant si mul acre historique qui, à chaque instant, enveloppe tous les aspec ts d e l a par tie, vit dans l’ill usi on qu’il a quitté l’univers des choses ordina ires pour s e m ouvoir absolume nt dans u n unive rs alternatif surnature l. Le s conce pte ur s d u jeu ont acc entué cette nature principielle d e l a saga Assassin’ s Cr eed ; d e c e point d e vue, i l e st à signa ler que l e sous-t it re d e l a prochaine édition « mirage » , est parfaitement cadré a u type d’ illusion ha lluc ina toir e qu i définit l a transe ludique à laquelle succ om be tout joue ur expér ime nté. L à o ù d’ autre s sagas d e jeux vidé o s e plac ent da ns l a ligné e plus t raditionnel le d e l a sc ience-f i ction ( Fallout ), du « roman noir » ( Grand Theft Auto ), d e l a « fantasy » ( Hogw arts ), e tc., les re ssource s d e l a produc tio n
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d’Assassin’ s Creed s e portent plus spécifiquement sur l a perfe ction f inale d’une hyperr éa lité historique visue lle telle que restituée par l’interac tion d’un tra va il communautaire des historie ns e t de s c once pte ur s graphiques. Cette extrêm e préc ision du réalism e graphique n’est pas sim pleme nt l à pour l a sim ple satisfaction esthétique gra tuite (ce la y c ontr ibue, bie n r ! ), mais elle est plus principiellement mise au service d e deux age nts d e l a sim ulation cré ée par les algor ithme s qui gouvernent l a c oerciti o n nar rat i ve d u méta ver s d an s lequel l e joueur es t plongé. Prem ière ment, pour qu e l e joueur s e sente véritableme nt d e plain- pie d da ns u n univers alter natif, i l convie nt qu’ il n’a it pas d e ra ison d e s’interr oger sur l a cohér ence des composante s quotidiennes d e son univers : décors, pe rso nnage s, ar se nal sacré, e t tout impératif caté gorique e nga par l’a ction (grâce à notre « conna issa nce d u mo nde » , nou s conna issons B en Franklin, Lafa yette, etc., nous savons que les personnages grec s d e l’ antiquité n e doive nt pas être vêtus c omm e de s chinois tra ditionnels, que le s arcs utilisés par les guerr ier s am érindie ns n e doivent pa s prendre l a forme d’un arc utilisé par le s c ava liers thrace s, etc., que l a trajectoire d’un pr oje ctile doit a tteindre l a c ible attendue, que l e parcours suivi par l’A vatar doit être
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confor me à l’urba nisme am biant, e tc.) ; de uxièm ement, l a précision graphique doit être mise a u servi ce d e l a crédibilité narrative d e l’univers im posé par le s algor ithm es gouver nant le s c ontraintes stra tégiques d u scé nar io d e l’épisode. L ’étude d e cas, p rop osée par l’épisode Assassin’ s Creed III, une livraison d e l a saga qui prend place pendant l e soulèvem ent des Treize C olonies américaines c ontre l e pouvoir c olonia l a ngla is, e st tout particulièrem ent révélatrice d e c es impéra tifs fonc tionne ls iné vita ble s conte nus dans l a forme visuelle hyper tr ava illée d e l a matrice d u jeu. L ’A vatar historique d u joueur , u n jeune métis a mér indien, R atonhnha :ton (nom plus a va nt da ns l e dérouleme nt d u jeu Conno r Ke nwa y) es t l e fi ls d’un c ol on anglais, Haytham Kenwa y (pers onna g e fictionnel, lui-même fils d’Edward Kenway , u n pirate angla is insta llé dans les îles Cara ïbes qui s e lera l e nouvel A vatar historique dans l’épisode publié ultérieurement d e l a saga, Assassin’ s Creed : Black Flag - 2013), et d e Kaniehti:io, une jeune fille am érindie nne e dans une tribu M oha wk. Da ns l a vulga te iconogra phique, lorsque l’on par le de s villa ge s tra ditionne ls a mérindiens, ils sont généra lem ent re pré senté s sous c ette appa rence comm une :
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[FIGURE 14] Karl Bodmer, « Campement des S ioux » (1833) © The Metropolitan Museum of Art, New Y ork. All rights reser ved, tous dr oits réser s. O r s i cette im age générique d’ un village amérindie n des tem ps anc ie ns c orrespond à une att ent e visuelle d’un large public surtout familiarisé avec l e domaine de s grandes plaines centr ale s américaine s, i l s e trouve que l e domaine géograph iqu e e t ethnique c hoisi pour ce t épisode d’ Assassin’ s Cr eed place l’action dans l e domaine par ticulier des tribus Moha wk d u nor d-e st d u c ontine nt américain. Dans cet espace particulier , u n village amérindien prése nte des carac tér istique s distinctive s qu i tiennent au x cir constance s dic tée s par l e climat, l a flor e
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locale e t les com pétences tec hniques p rop res à ces tr ibus. D’après les données docum enta ire s, i l s’avèr e qu’ un village Moha wk n’ a absolume nt pa s l a physio no mi e popularisée par l e cliché culturel ha bituel pour le s villages amérin di en s :
[FIGURE 15] Assassin’ s Creed III (2012). Capture d’écran © Ubisoft. All rights reserved, tous droits réservé s. L a rec her che e thnogr aphique consacré e a u type d e village M oha wk dans leque l C onnor a g randi, c o uplé e avec l a précision visue lle a ppliquée à s a restitution
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graphique générée pa r l’algor ithme numér ique, réponde nt effectivement a u projet am bitieux d e l’é quipe de s développeur s qu i souhaita it u n é pisode re posa nt su r une documentation plus étof fée et plus fou ill ée, u n domaine d’exploration plus large et plus var (paysage s, faune, flore, passants, e tc.) que c e qu’offra ie nt les é pisodes précédents. L e tout résulte effe ctivement e n u n impressionnant sim ula cre visue l r epo sant s ur un e résurrec tion ar tific ie lle d e mondes historiques, de st inée à plonge r l e joueur dans c e que Jea n B audrillard da ns Simulacr es et simulations désigne comme : « une réhallucination désespérée d u pa ssé ». 2 Puisque Assassin’s Creed III a pour cadre historique les tre nte année s d e l a pér iode révolutionnaire nor d- américaine e t pour A vatar historique u n métis amérindien originaire du Canada, il n’est pa s indiffé rent d e s e souve nir que l e studio pr incipal d’Ubisoft c hargé d u veloppeme nt d e c e jeu s e tr ouve à M ontréa l. L a collect e des inform ations néce ssa ire s au tr avail d e rec herc he sur le s détails ogr aphique s, écologique s e t historique s a donc pu s e faire sur place sous l a dire ction d e M axime Durand, affilié a u Départem ent d’Histoire d e l’Université d e Montr éal. O n n e s’étonnera donc pas si , a u musée d e Pointe-à-C allière « Cité d'ar ché ologie e t d'histoire d e
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Montréal »,
[FIGURE 16] Musée P o int e-à-Ca llière « Cité d'archéologie e t d'histoire d e M ontré al » , doc ume nt d e l’auteur . T ous droits réservés. lor sque l’on visite l a partie consacré e a u pe uplem ent amérindien d e l a gion, o n retrou ve, s ous l e l abe l « vi e iroquoise » tr ès exactement l a ma que tte du type d e village
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Mohawk tel que restitué dans le jeu (le s Moha wks constituent une de s six Na tions ir oquoise s) :
[FIGURE 17] Musée P o int e-à-Ca llière « Cité d'archéologie e t d'histoire d e M ontré al » , doc ume nt d e l’auteur . © Musée Pointe-à-Callière. T ous droits réservé s. Ce par ti pris d e « vérité » informative encodée dans l’arcature informa tique que tisse nt le s différents sea ux algor ithm ique s qui gouver ne nt l e domaine d u quotidie n réaliste d u jeu, favorise l a perc eption éléme nta ire d u joueur selon laquelle i l s e tr ouve se reine me nt conf iné da ns l’imaginaire d e l’action. Mais l’ univer s clo s d u je u artic ulé par les propositions e n équation des algor ithme s n’e st pa s
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seule ment u n parti pris e sthé tique, i l est aus si age nt iel . Comm e tapisserie e nglobante d u métaver s, l e sim ulacre visuel sem ble sim plement re spec ter e sthétiqueme nt l a règle du r endu histor i que hyperré aliste ; à c ett e e nve l op pe d u simulacre graphique s’a tta che toutef ois u n impé ratif actanciel a utorita ire dir ecteme nt c omm andé par l a ligne stratégique d u scéna rio. Que l que soit l e cor im posé par l e thème histor ique d e l a période choisie pour l’é pis ode d’ Assassin’ s Cr eed , les éléments des superstructures visuelles vont a ssujettir l e joueur à s e soume ttr e a u scénario primordial qui veut que l e joueur , par l a procuration d e so n A vatar, engage s a vie dans l e dualisme antagoniste ancestral qui oppose l a « Frater nité de s Assassins » à l « Ordre des T empliers » . Ainsi, dans Assassin’ s Creed III, l a restitution numérique précise d u type d’ha bitat utilisé da ns les villa ge s M oha wk, n’est pa s sim plement l à pour faire vivre a u joueur une im mer sio n complète dans un métavers multimédia comme celui don t peut fair e l’expér ie nce « hautem ent im mersive » tout visiteur d u m usé e his tor ique d e Pointe-à-C allièr e, plongé dans l’oppressant univers d’ un « maelström d’im ages e t d e sons » chroniquant l’évolution séc ula ire d e l a ville d e Montréal .
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[FIGURE 18] M usée P ointe-à-Call ière « Cité d'archéol ogie et d'histoi re de Montré al », docu ment de l’aut eur . © Musée Pointe-à-Ca llière. T ous droit s réser vés. Dans Assassin’ s Cr eed III l a minutie graphique ployée pour l a reconstitution de s tails visue ls d u village Mohawk se rt non se uleme nt les int érêts limité s d u thè me historique d e c e seu l épisod e, mais contr ibu e éga leme nt à l a ligne idé ologi que prim ordia le d e l’ense mble d e l a saga. L e village M oha wk da ns s a reconstitution histor ique existe c omm e espace dram atique fondateur . Cette super be f ic tion visue lle histor ique, digne, dans d’autres épisodes, d’une Florence à la Renaissance
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o u d’ un Par is a u tem ps d e l a volution d e 1789, do it êtr e détruite pour encle nc her l e processus stra gique d u scénario. L’attaque, l’incendie et l a dévastation criminelle d u village natal d e l’A vatar , (le jeune métis Mohawk, Connor), l e massacre d e ses com pagnons d e jeu e t l a m ort d e s a mère, déclenche nt son vif sir d e reva nc he e t l’entr ainent sur les chemins d e l’a ve nture qui l e conduiront à l a réalisa tion d e son but : a ssassine r tous les re sponsa ble s d e cet acte barbare perpé tré par le s tr oupes brita nnique s d’occ upa tion c olonia le.
[FIGURE 19] Ass assin s Cr eed III (2012). Ca pture d’écra n © Ubisoft. A ll right s rese rved, tous droits ré serv és. Au cours de sa quête pour ce qu’il perçoit comme
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s a juste cause, C o nno r appre nd que l e r esponsa ble d e cette crim inelle action militaire e st u n nér al br ita nnique, nommé Charl es Lee, of ficier d’une v iolente brigade d e T uniques Rouges, accomplissant, pendant l a Guerre d e Sept Ans ( The Fr ench and Indian W ar ) des missions of ficielles d e répression contre les Amérindiens alliés des Franç ais. Il a ppr end aussi que Charles L ee es t u n h au t dignitaire d e l’Ordre des T empliers. Achilles Davenport (l’ami qu’il v a rencontrer lor s d e son erranc e da ns les Colonies amér ica ines, qu i lui servira d e substi tut d e pèr e e t lu i enseigner a le s éléme nts e sse ntie ls d e l a lutte individuelle e t arm ée ) s e r évè le être u n m embre ém inent d e l a Frater nité des Assa ssins. A ce titre il lui e xplique tous les détails sur l a nature et les c odes se cre ts d e c e gr oupe ainsi que le s ba se s idéologiques qui l’ oppose nt à l’Ordr e des Templiers. Ainsi instruit, Connor met ses compétences physiques e t so n arse nal sacré a u service d’une lu tte san s merci qu i a pour but premier d e chasser l’ Or dre de s T empliers d u territoire américain e t, c e faisant, connaitra un double ( noble) épilogue : libéra t ion les Colonies américaine s d u j oug de spoti que d u pouvoir c olonia l angla is e t, e n même tem ps, fi n d e l’oppre ssion e thniqu e qui fra ppe le s po pula tions amér indie nnes e t dr oit pour ce s minor ités autochtone s d e vivre éma ncipé e s e t e n paix su r
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leurs territoires ancestraux dans une Amérique libre. Double-jeu du simulacre numérique : le sacré biffure l’Histoir e Cette diff icile imbrication réalisée e ntre l a volonté d’exactitude d u rendu graphique et les im péra tif s straté gique s d e l a f ic tion soute na nt l a « logique » narr ative contraignante d e l’é pisode es t l e lie u c onflic tuel o ù s e rencontr e l a plus gra nde am biguïté da ns l e système d u simulacre numérique. T outes aussi nombreuses sont les critiques les pl us sérieuses célébrant l e choix d’ une qua si- sim ilitude visuelle exceptionnelle d e l’envir onne me nt graphique d u jeu qu e celles d’historiens plora nt le s choi x idéologique s gouvernant, dans cet é pisode, l e re ndu historique qui attr ibu e un e coloration distributive e ntr e le s membres d e l’ Ordre e t ceux d e l a Fraternité, ceci s qu’il s’agit d e « mettre e n jeu » des per sonna ges historique s d e premier plan (W a shi ngton, Samuel Adams, L a Fayette, Benjam in Fr anklin, etc.) à l’ac tion politique e t sociale bie n documentée a ussi bie n que de s figure s sec onda ire s mais effectivement réper toriée s pa r le s c hroniques historique s (Charles Lee, W illiam Johnson, Nicholas Biddle, etc.).
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Uchron ie Certes, l a ligne idéologique qui s ous -te nd l e scénario général d e ce t épisode d’Assassin’ s Cr eed s e confor me plus o u moins naturelle ment aux impéra tif s contempora ins d e toute pr oduc tion respe ctueuse d e l a bien- pe nsante philosophie soc iale d u politique me nt correct : u n A vatar issu d’une minorité ethnique déconsidérée e t m altraitée, recue illi par de s âme s charitables, justes e t honnêtes, sa vamm ent écla iré sur le s réalités d e l a vie, e t disposant m aintena nt, l ui- même, d’ un e conscience d e justice et d’équité sociale, poursuiva nt le s vila ins qui sont r esponsa bles d u cri me origi nel qui l’a qualifié pour s a quête sacrée. Fina lem ent, par l a punition des criminels désignés, il rétablit l’équilibre d’une justice distribut ive qui l’ac quitte d e s a missio n p ers on ne ll e et i l s’assure, a u collectif, d’un mie ux-ê tre d e paix, d e justice e t d e respect pour s a comm unauté m inor itaire originelle. Pour l e joueur, les éléments révérés dans l e domaine sacré enchâ ssé dans l e rimètre impératif de ssiné par l a maille d u faisceau serré des algor ithme s, m anifeste nt un e immanente cohésion e t une com plète harmonie e ntr e le s conditions établies d e l a mi ssi on e t l e but ult ime a ss igné. L’incohérence soulignée par la critique se situe dans l’intersection entre le domaine sacré inscrit dans la matric e
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numérique d u jeu e t les é léme nts d e l’ Histoir e em pr unté s a u domaine « hors-jeu » e t c onscie mme nt manipulés pour pouvoir pre ndre plac e subrepticeme nt da ns l e doma ine consacré d e l a log iqu e straté gique du scé nario. Non sans u n certain degré d’a uto-ir onie, l a com pagnie fondatr ic e, Ubisoft, laisse entendre, s l’abord, que l e statut d e neutralité ingénue revendiqué pa r toute compagnie industr ielle mér ite d’être mis e n doute e t questionné. Auto-i ronie puisque, dans l a base narrative fondatrice d’ Assassin’ s Creed, i l y a les machinations industrielle s et scientif ique s lo uches d’une gra nde compagnie multinationale (Abstergo Industries ! Ogre - ?)
[FIGURE 20] Ass assin s Cr eed V alhalla (202 0). Capture d’écran © Ubisoft. All rights reser ved, t ou s dr oits réservé s. qui surveille les progrès d e l « Animus » dont dépend l a lignée des Assassins et qui est, e n fait, da ns notr e contemporanéité, l a société écra n a u se rvic e str atégique e t financier d e l’Ordre des Templiers ; son PDG a longtemps été secrètement, depuis s a fondation, en 1937, u n of ficier
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supérieur d e l’Ordr e ; aujourd’hui, s eul u n tier s de s membres d u C onse il d’Adm inistra tion connait le s lien s clandestins d e l a compa gnie a vec l’ Or dr e. Cette mise e n scène, dans les fondations d u je u, d’ une m éga c om pa gnie multinationa le a u statut am bigu a ttire i mmédia teme nt l’attention sur l a compa gnie r éelle qui a p u conce voir un e telle création d e fiction industrielle. A vant d’installer progressivem ent l’essentie l d e se s opéra tio ns pour les je ux vidéo à M ontréal (Québec, Ca na da) e n 1997, Ubisoft é ta it une compagnie fa milia le créée en Bre ta gne ( 1986) e t enre gistrée commerc ialeme nt à P aris (C réteil, puis Sa int- Mandé). L e double attac heme nt géogra phique e t nétique à l a Fr ance et a u Qué bec a immé diateme nt amené le s critiq ues a nglo-saxons à nonc er c e qu’i ls ont perçu comme des pr éjugé s nophobe s a ntibrita nnique s dans l a structure d u scénario d e Assassin’ s Cr eed III ; l a ligne trop « franç ais e » d e l a part d e l’Histoire dans l a méca nique algorithmique du je u a fait dire que le s « mangeurs d e grenouilles n’avaient aucune é ducation historique » . D’autr es c omm enta ire s portant su r l e « nationalisme » d e l a compagnie Ubisoft ont également été f orm ulé es d e l a part des Ca na diens qu i ont c onsidéré que l e co ntenu me d e l’e nsem ble d e l a narra tio n historique ignorait l a par t des territoires ca na die ns dans la
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réalisation d e l a Guerre d’Indé pe nda nc e améric aine e t donc m anife stait un e certai ne pré disposition e n f aveur d’une ligne « amér ica nocentré e » taz unie nne). A propos plus précisément du contenu historique inclus dans les m ailles d u faisc eau a lgorithm ique sac ro- saint du jeu, l a question centr ale a été posé e d e savoir quel est l e message princ ipa l d e ce t é pisode d e l a sa ga. U n critique d e l a revue Slate 3 a insisté sur l e fa it que selon lui, l e but idéologique ultime d e c e jeu n’éta it pas d e glor if ier l a libéra tion d’un peuple d e pa tr iote s harcelés par le s impositions incessa ntes d’une puissa nc e colonia le et décidant d e prendre leur destin en main (un but, donc, assez conforme à l a ligne d e philosophie sociale proposée dans l e r oman original d e Bar tol), mais plus pr écisé men t e t d e m anière plus confor me à une idé ologie e xtrêm e contempora ine, l a cessité, a u nom d e l’ é quité ethnique, d e défendre « les Amérindiens, notamment les Mohawks et les Ir oquois d u Nord- Es t, qui a ssiste nt imp uissa nt s à l’éclosion d e cette guerre d e blancs sur leur territoire ». 4 L ’auteur d e l’article ajoute un commentaire personnel : « [Car] quel qu e soit l e camp qu i l’emportera, i l est clair que les Amérindiens vont perdre » . C e propos conclusif, toutefois, n e cor re spo nd pas à l a ligne sa cr ée d u jeu. Da ns Assassin’ s Creed III , i l est attendu et entendu que les
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travaux héroïques d e l’A vatar , Connor , vont aboutir à u n mieux-êtr e des populations a mér ind ienne s. Ce tte inscr iption a lgor ithm ique d u destin, toute f ois n' es t pas ce que l’Histoire nous a ppr end, e t donc l’ auteur d e l’ artic le énonc e son jugeme nt critique à l’intérieur d’un dis cour s idéologique contem porain inf ormé par l’ Histoire e t par - même désigne l’écar t qui e xiste e ntre l’ idéa l d’é quité, d’inclusion e t d’ acc essibilité inscr ite da ns l a ma tr ice sacrée d u régim e a lgo rithmique d u jeu (le texte d u scénario qui nous dit que l’action d e Connor v a favoriser l e m ie ux- être des populations a mérindiennes m inor itaire s) et ce que les connaissances his tor iques su r l e m ond e e t l’ Histoire nous ont appr is (la Guerre d’Indépendance américa ine n’a pas immédiatement pris l e parti de s minor ités ethniques e t n’a pas assuré une a mélior ation d e le ur statut c ollec tif ). Comme l a remar que f ina le d e l’a uteur d e l’ article d e Slate l e laisse effectiveme nt ente ndre, l e sultat des rec herc he s historique s sur c e suje t se mble même pre ndre l e contrepied d e c e discours « sacré » enchâssé da ns l a matrice num érique d u jeu. Ce que l’Histoire nous enseigne : dès que les T reize Colonies son t devenues les États-Unis, les lois votées a u C ongrès ont na lisé le s minor ités ethniques e t leur sta tut a c onsidé rab lem ent empiré, e n particulie r à l a suite de s dé c rets milita ire s
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signés par W ashington e n faveur d’une Légion des États- Unis c ontre l a Confé déra tion des tr ibus a mérindie nnes e t ses ordonnances sur l e déplacement e t réclusion des tribus amérindiennes d ans des zones d e « ser ves » sur l e modèle institué par l e traité d e Gree nville. L e thème d’ un W ashington politiquement ambigu (flottant entre membre d e l a Fraternité et secrètement affilié aux Templiers) existe dans l a matrice algorithmique d e Assassin’ s Cr eed III , en par ticulier en raison d e son am bivale nce à l’égard de s intérê ts de s m inor ités ethniques e t C onnor form ule u n moment l e désir d e l’assassiner . Dans l a mécanique algorithmique d’ Assassin’ s Creed III, l’ambiguïté d e l a personnalité d e Washington est si palpable, qu e, fin 2012, Ubisoft sort un e s équ elle (DLC - - dow n loa dable conte nt ) intitulée L a T yrannie d u Roi W ashin gto n dans laquelle W ashington prend l e pouvoir et s’autoproclame « Roi d’Amérique » . Com me s’i l a gis sait l à d e s e confronter à u n simple autocrate T emplier , l e jeu consiste donc, pour l e joueur , à faire campagne contre ce despote, à contrecarrer ses pr ojets tyra nnique s et à l e conduire à l a destitution . Dans cette version a uxilia ire, l e doma ine sacr é d u jeu nous fait entrer d e plain-pied dans l e dom aine d e l’uchronie ( alte rnate history ). L e pr ét ext e historique du
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jeu est effectivement l e doc um ent histor ique selon leque l l e Congrès améric ain a proposé à W ashington l e titre d e « Roi » ou d’ « Empere ur » , mais les chr onique s histor ique s nous a pprenne nt a ussi qu’ il a refusé c e titre préférant fa ire de s États- Unis une République et, l a campagne militaire pour l’Indépenda nce étant term inée, i l s’est retiré sur ses terres d e V ir ginie. A vec cette séquelle, Assa ssin’ s Cr eed : L a T yrannie du Roi W ashington , i l s’agit donc d’ un jeu nettem ent inscr it da ns l’ histoire- fiction : « imaginez ce qui aurait pu êtr e si… » . L e scénario d e cette c our te séque lle s e place entiè reme nt da ns l e mode d e l’éventualité tempor elle e t im agine da ns so n ensem ble c e qu i aurait p u arriver s i tel o u tel évé nem ent s’é tait vraime nt produit. E n c ontra ste, l a ligne stra tégiqu e d u scénario d’ Assassin’ s Cr eed III s e distingue très nettement d e c e type d’uchronie car , dans l e cas d e cet épisode d e l a saga, l e scénario inam ovible enc ssé da ns l a matrice numér ique e t arcature d u doma ine sac ré, reste toujours dans l e domaine d u « vraise m bla ble » . Cer te s certains personnages sont f ictif s, mais a gisse nt dans u n contexte narra tif c ont raint qui n e s’é loigne pas d e ce qui peut sim plement s e justifier comm e une inter pré ta tion individue lle d e l’Histoir e ( n’oubli ons pas que toute l a s aga Assassin’ s Cr eed repose sur l’idéo log ie d’une lutte
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individuelle e t que tout « Assassin » es t avant tout un e [ré]incarnation d e l a figure immém or ia le d u redr esse ur d e torts, du type « justicier solitaire » - - s a cape en es t l a marque nérique !). Con tes et légendes L e prem ier c hapitre d u roma n d’Antonine Mail let , Pélagie- l a-Charr ette (1979), prix Goncourt d e l a même année, comme nce pa r de s c onsidér ations f ort captivante s su r l a distinction néc essair e e ntr e l e doc ument histor ique e t l a mémoire orale. Auteure issue d u monde minoritaire d e l a comm unauté acadie nne fra nc ophone a u C ana da, Maillet, dans ce roman, raconte l’ odyssée f amilia le véc ue par une d e ses ancêtres, la gie, lors d e son re tour e n Acadie avec une char rette o ù est entassé e famille e t ami s depuis l a plantation d e Savannah (État d e orgie, Éta ts- Unis) o ù elle a été transpor tée par les vaisseaux de s troupe s anglaise s l ors d e l a portation massi ve de s populations acadiennes connue sous l e nom d e « Grand Déra ngeme nt » ( 1755). Selon le s sta tistiques t rès pré ci se s d e l’époque (la co mpt abilit é a dministra tive angla ises da ns les colonies américaines est légendaire !) plus d e 18000 acadiens e t acadiennes on t été placé s des terr itoire s acadiens vers les Tr eize Colonies anglaises d e l a côte
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atlantique o ù ils on t été m is à l a disposition de s colon s locaux avec l e statut légal officiel d e servant . L a signa tur e d u Traité d e Paris (10 février 1763) met f in à l a guerre d e Sept An s entre l a Franc e, l’ Espa gne e t l a Grande - Bretagne ; ce traité confirme l’élimination officielle d e l a présence française e n Amérique du Nord à l a suite d e quoi tous les territoire s d u Qué bec et d e l’Acadie pa sse nt sous contrôle angla is. E n c orollaire i l es t m is fi n à l a tention des prisonniers acadiens dans les T reize Colonies e t les prisonnier s qu i ont survéc u sont a utorisé s à quit ter le ur poste d e ser vitude dans les ca mpagne s e t planta tions. Certains partent pour les Ca raïbe s, d’ autres pour l a Louisiane e t certains, comm e lagie, décide nt e n fa ve ur d’un retour a u pa ys nata l. Péla gie - l a- Charr ette entreprend c e long voyage d e retour entr e l a Géorgie et ses terre s natales aca dienne s ac com pa gnée d e que lques am is e t d u reste d e s a fam ille, y compris ses enfa nts gra ndis e n ser vitude. P uisqu’ il s’agit d’ une chronique fam ilia le racontée dans l a pér iode contem pora ine, dans le s campagnes hiver na les de s terr itoir es d e l a Pr ovince cana dienne d u Nouveau-Br unswick qui de me ure nt, aujour d’hui, majoritairem ent pe uplé s d e francophone s acadiens, l e réc it prend l a f orm e d’ un rappor t oral comm unautaire lor s d’une succe ssions d e veillées
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traditionnelles comm e i l e n e xistait ta nt da ns le s te mps anciens dans les communes rura le s : lie u convivial d e rencontr es, d’éc ha nge d’ infor mations, d e réc its d’événements récents o u a nc iens, a ve nture s fam ilia le s, etc. Cette odyssée transaméricaine d e r eto ur a u pays natal d e l’ancêtre au dix-huitième siè cle ( 1770- 1780) a près de s années d e déportation e n Géorgie da ns l a ser vitude imposée par les forces br itannique s, victorie uses de s troupes frança ises lor s d e l a prise d u For t d e Beausé jour (1755), est célé brée par tous com me une f orme d e revanche sur l e destin tragique d u pe uple a cadie n. L e récit oral de s e xploits ge ndaire s d e l’a ncê tre devient a insi u n contrepoids à l’histoire « off icielle » a nglophile qui glor ifie l a victoire des troupe s anglaise s et l’e ssor d e l a popula tion a nglo pho ne dans les ter ritoires ca na diens originellement franç ais. L e te xte d e M aille t acce ntue explicitement e t c élè bre c e type d e c ontr aste e ntr e un e Histoire écrite officielle diff usée publiquement par les vainqueurs e t l’histoire de s va inc us hiculée clandestinement par l a tradition orale : « Après cela, venez me dire à moi […] qu’un peuple qu i n e sait pa s lire n e saurait a voir d’ Histoir e ». 5 Ma illet sou ligne a insi l e pouvoir mémoriel d e ces soirées d e veillée s s e per tue une histoir e quotidie nne et or dina ire, proche de s intérê ts
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immé diats de s hum bles oubliés o u i gnoré s par l’Histoire écrite obnubilée par les ha uts fa its de s puissants e t de s vainqueurs. Anticipant le s critique s qui peuvent êtr e form ulées à l’é gar d d e l a pa rtie « historique » d e son propre récit « littéraire » , elle rappelle que l e te xte est une reprise d’un e nsem ble ora l et e lle rec onna it que ce s réc its oraux sont reproduits avec des erreurs, des var iante s, e t de s développeme nts or igina ux qui pe uve nt s’éloigner grandement d e l’a uth entic ité de s fa its : Malgré leur propre réper toire d’ ave ntures qui de vrait constituer u n patrim oine ora l dont les générations à venir feraient leurs bea ux dimanches, les déportés qui rentraient a u pa ys, en cette f in d e sièc le, buvaie nt à gra ndes lam pée les récits m erveilleux de s a utr es. [ …] [Il] allait verser dans ce r épertoire d e versions, vari ant es, improvi sa tio ns, élucubra tions d e so n cru qu’il e st bie n ma laisé auj our d’hui d e disti nguer d e l ’authe ntique ancie n. 6 Si je cite cette référence à un te xte de la francophonie atlantique qui s’interroge explicitement sur
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l a validité des te xtes issus d e l a tr adition ora le locale (e t bien des e xem ples similair es pourraient ê tre pr oposé s da ns tout l e domaine d e l a littéra ture fr anc op hon e pr oduite da ns les anciennes colonies et terr itoires français : griot, conteur, etc.), c’est parce que cet exemple partage deux sim ilarité s na rrative s avec l’é tude d u jeu numér ique Assassin’ s Creed III . J’ai signalé que certains critiques avaient dénoncé u n r elent d e r evanche eth nique e nc hâssé dans l’enchaineme nt str até gique d u sc énario d e l a matr ic e algorithmique d u jeu Assassin’ s Cr eed III. L e jeu a été conçu a u Québec, u n a utre terr itoire anc ie nneme nt français conquis par les troupes anglaises a u dix-huitième siècle, et l e scénario e xhibe e t nonc e le s e xac tions commises par les T uniques Rouges e t célèbre l’exploit légendaire d’un A vatar n é dans l a population des Premières Nations e t co ntribuant à l’ exti nc ti on d e l’hégémonie des Britannique s sur les ter ritoire s américains, ceci e n s’ engagea nt ac tivem ent, aux côté s de s Patriotes e t d e W ashington, dans une guerre farouche qui conduit à l a victoire et à l’I ndépendanc e des Éta ts-Unis. Ce sentiment d e revanche secrètem ent glissé da ns l’e spac e sacré d e l a matrice numérique d u jeu e st l e se cret d e Polichine lle subr eptic eme nt soupç onn é à propos d’ Assassin’ s Creed III , mais i l est explicitement exprimé
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a u douzième chapitre d e Pélagie- l a-Charr ette qu i raconte l’arrivée d u c onvoi d e charre ttes de s Aca die ns à Philadelphie en 1776. On y voit les rescapé s de s cam ps d e labeur d e Géorgie, bras dessus, br as dessous, célé brer avec les « Américains » l a signature d e l a Déclaration d e l’Indépendance, et chanter e n chœ ur avec les Patriotes : « E t merde a u roi d’Angleterre / Qui nous a tous déclaré l a guerre ». 7 L a seconde partic ular ité c om mune à l a saga Assassin’ s Cr eed e t Pélagie- l a-Charr ette , c’est l’alliance implicite /e xplicite a vec l e m onde d e l a tra di tion narra tive orale. L e procédé littéraire utilisé par M aille t da ns son roman repose expresséme nt sur l a fic tion d’ une transposition écrite d’un récit oral : ce que nous lisons c’est c e que les tém oins ont rac onté. Suppo séme nt c et te réalisation d’ une « littérature d e témoigna ge » , a é consignée grâc e à un e multitude d e veillées déra trices destinées à préserve r ainsi l a mém oir e collec tive qu i constitue l e « patrimoine » (le terme d e Maillet, peut-être pas l e plus approprié puisque l e hér os d e so n r oma n e st une femme héritage ? ) d e l a communauté. J e l’ai indiqué, l’histoire industrielle d’ Ubisof t commenc e da ns u n m ilieu rural d e Bretagne, par excelle nce une te rre d e légendes e t contes adroitement dispersé es e t largem e nt popularisés e n
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par ticulier dans le s terr itoires d e l’ Europe ce ltique (le cycle du ro i Arthur, l a légende d’Ys, etc.). Il s e trouve qu e l’une des prem ière s image s d e mar que d e l a com pagnie associait l a diffusion des inf orma tions informa tique s à l’activité commun aut aire d u conteur , maitre itinérant des veillées rur ale s.
[FIGURE 21] Docum ents d’arc hive de l’a uteur © Ubisoft. All rights reserved, tous droits réservés. Ainsi com prise, l’ ana logie occ ulte qui existe entre l e domaine oral d u conteur e t l e dom aine sa cré d u quotidien algorithmique d u joueur d’ Assassin’ s Creed peut utilement éluc ider le s lim ite s e t c ontr adictions d e l a ferveur qui s’attache a u c ulte d e ce tte pa ssion ludique. L e simulacre d e réalité basé sur l’ hyperr éalisme gr aphique (numér ique) consa cré à l a reconstitution d’ un univers ré el
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e t l’univers clos e t fini de s contr ainte s régissa nt les algorithm es contr ôla nt l e bon dér ouleme nt d e l a ligne narrative des scénar ios, donne a u quotidie n d u joue ur u n sens exceptionne l d e familiarité sécurisa nte comme c e fut sans doute l e cas lors d e ce s assem blées convivia les o ù l’on s e sent « entre nous » prêts à par tager l’ intimité sacrée d e no s passions, e spo irs e t pe tite s histoire s. Conclu sion Con tradiction ontologique Après u n cer tain temps d’apprentissa ge l e joue ur est « da ns so n monde » , les m odalités ludique s lui devie nnent une seconde nature e t i l « fait corps » avec l’univers des règles algorithmiques dont il dépend pour s a « survie » e t s a victoire. D e c ett e expertise déc oule un e (fa usse) assura nc e qui lui donne l’ illusion d’ une capacité à surmonter tous les aléas « surnaturels » qui pourra ie nt inter venir pour mettre e n dange r s a com péte nce soutenue d’agent maître d e l a destinée déterminée par l e rim ètr e sacré tr acé par l a tr esse serrée de s algorithme s. Cette aliénation fondame ntale consiste bie n na ture lle me nt à s e soumettre a u but final imposé par l e scénario même d u jeu, mais dans le s m ult ipl es séque nce s d u dér oule me nt d u je u,
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à chaque défi actantie l renc ontr é, i l f aut utiliser s a connaissance intim e des obsta cle s pré senté s par l’algorithme pour passer à l’étape suivante. Face à c e défi e t à l a possibilité d’échec qui f orce à e n r ester- l à jusqu’à c e que l a bonne solution soit tr ouvée, i l y a l a tenta tion d e « tricher » , d e profaner l’espa ce sa cré e n c hoisissa nt sim plement d e contour ner l a difficulté. Ce manque d e respect vis-à-vis d e l a noblesse or thodoxe d u jeu, n’est pa s rare. L’excuse habituelle à ce manquement à l a profession d e foi d u joueur , son « Cre do ( Cr eed ) » , es t généralement exprimée par l’ expre ssi on anglaise « gamin g t he s ys te m » . L a justific ation avancée cons iste à ins iste r su r l e fa it qu e toute triche repose sur une compréhen sio n supérieure e t immanente des méca nisme s a lgor ithm ique s qu i perme t a u joue ur d’ utiliser l e tressa ge compliqué d u système numérique pour « inventer » une solution parallèle à celle prévue pa r l’a lgorithme d e base d e telle sor te que l a solution est trouvée dans l e syst ème même d u je u, m ais e n s e joua nt des possibilités globaleme nt offerte s sans s e soume ttre ouver tem ent à l a solution prescr it e par l a logique d e l’algor ith me gouvernant l’ o bst acle et désigna nt son unique solution validée. V aloriser cette conduite palliative, plutôt que punir l e « péché » d’enfreindre une inflexible confession d e foi est bien connu des spécia liste s
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des littératur es à contraintes, puisqu’ une multi tud e d’auteur s, disc iple s d e ce type d’écr iture, r econnaissent l a légitimité d u « clinamen » comme solution acceptable à toute transgre ssion touc hant l’a ba ndon momenta d’ une contrainte imposée. L a pratique valorisante d e « g aming th e system » est ainsi devenue u n procédé tour s i parfaitement acce pta ble qu’e lle a donné naissa nce à toute une industrie f lorissante d u « f afiot » ( che atshee t ) e t chaque nouvelle installation d’ Assassin’ s Creed (comme pour l a plupart des jeux vidéo) e ntr aine l a public ation d’un nouveau livr e qui déta ille le s solutions possible s de s parades destinée s à contourner les difficulté s inscrite s dans les modalité s a lgor ithm iques d u jeu. Cette e xpertise acquise à contourne r le s m odalités explic ites d u je u, néa nm oins, n’enfreint pas l a soum ission a u sém antism e contraint gérant les règles d u je u, n e perm e t nulle me nt au joueur d e s’affr anchir totalement des m esures imposées, maintenant intériorisées. L ’intégralité narrative d u jeu s’e xerce donc toujours dans une authe ntici algorithm ique intégr ale. Même lor sque les contrainte s ludiques sont « gauchies » , l e joueur n e peut pa s écha pper à l a rigueur des im ratifs a lgor ithm iques. Comme toute célé bra tion r itua lisée, s i l e joue ur doit perdre, i l doit subir c e sort selon les princ ipe s inscr its da ns l e code de s
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algorithm es prescr its. D e c e sim ple point d e vue d e méca nique ma ntique, l a philosophie im mane nte d u je u s’oppose à l’idéologie pr oclam ée e t insc rite da ns l e « crédo » a u cœur du scénario fondateur d’ Assassin’ s Cr eed . L a glorification d e l’idéal d e liberté collective hér itée d u roman fonda te ur d e B artol est c ontre dite radicalement par l a nécessité, pour « vaincre » , d e pleine soum ission stipulée par l a m atr ice algorithmique qui impose a u joue ur individue l une alié na tion totale aux règles collectives im posé es. Histoire alé atoire L a subordina tion totale a ux princ ipes gula te ur s inscr its da ns l a matr ice algorithmique réduit t oute possibilité d e hasard. D e ce point d e vue toute éventualité sémantique d’une narration « dénarrée » ( « qu e peut- i l s e passer si l’on suit u n fil narratif ébauché mais jamais com plété… » ) es t impossible dans une chronique historique gér ée par u n e nsem ble numé rique fini e t c los. L e se ns d e tout é vénem ent historique in scr it da ns l e scénario est préalable me nt institué da ns de s limite s prescrites d u jeu (l’événement auquel l’A vatar d u joueur est im pliqué ira dans l e sens dema ndé par l a dynam ique orthodoxe d u scénar io o u il « perdra »). L a résolution d’ un
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évé neme nt histor iqu e au mome nt o ù i l s e pr oduit e st inc ertaine ; ce tte dimension al éatoire essentiel le d e l’Histoire es t formelleme nt pr oscr ite par l a nature algorithmique d e l a simulation historique : tout est déjà écrit. L e respect pour l’Histoire te l que constituée dans le s docum ents scientif iques dem eure donc , v u da ns l a perspective d’ Assassin’ s Cr eed , largement dans l e domai ne c osmé t iqu e d e l a créa tion visuelle. Les algorithm es intègrent avec talent e t pré cision une par tie sélective du savoir officiel mais choisissent avec beau cou p d e soin c e qu i stimule l e sim ula cre par son c oté spectaculaire. Ce c hoi x spécifique d e l’inf or mation da ns l e vaste domaine des données disponibles, l a préfé rence pour l e détail e xotique a u détrim ent d’un point d e vu e globa l e t ana lytique est exacte ment ce qui place l e jeu vidé o d e ce type d u coté d e l a fiction da ns l e doma ine occ upé e n littérature par l a catégorie occ upée par le s c onte s e t légendes. Plus spécifiquement, bloquée irr é média ble ment, pour l e d omaine historique, dans l’iné vita ble narra tion d u scé nar io algorithmique pre scr it, c’est se uleme nt dans l e domaine d e l a capacité numérique of ferte par les algor ithm es produisant l e re ndu visuel, qu e l a rie Assassin’ s Cr eed peut s « aventurer » a u-delà d u document, dans l e domaine spéculatif des « m onde s
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possibles », c’est-à-dire dans le domaine pr opre du m ythe. Dans les années récentes Ubisoft a accentué cette dimension inventive de l’histoire et donc s’est attaché à pallier toute forme de conduite histor ique aléa toire dans la matrice algorithmique de ses jeux, grâce à la conception virtuelle d’ élé ments histor iques visue l possibles. La capacité exc eptionne lle des m oyens de reconstitution visuelle développée par Ubisof t dans le dom aine de restitution de l’Histoire s’engage donc maintenant dans le domaine paradoxal du mythe en proposant des « hauts - lieux » historiques mythiques qui « ont pu exister ». Le veloppeme nt rem a rquable de cette nouvel le avancée dans l’écriture numérique du genre « fantasy histoire », c‘est que ces créations algorithmiques toutes artificielles et ouvertement im matérie lles tr ouve nt maintenant place dans des musées, aux côtés des artéfa cts histor ique s dument authentifiés par des quarterons d’experts. Ainsi récemment, la prestigieuse British Library , pour son exposition consacrée, depuis le mois d’octobre 2022, à Alexandre le Grand, accueille dans ses galerie s, au m ilie u des reliques bien matérielles, une installation numérique de la tom be d’Alexandre le Gra nd, de ssinée par Jea n- Claude Golvin pour Assassin’ s Creed : Origins. La notice officielle indique bien que, comm e la tombe n’a jamais été
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retrouvée, l’insta llation pré se nté e constitue une « interpr étation possible » d e c e qu’é tait l a t om be d’Alexandre. 8 Faut- il vraim ent s’é tonner s i l e titr e d e l’e xposition é lim ine l a dime nsion histori que d e c e r oi d e Macédoine e t l e situe immé diateme nt dans l e sim ula cre d e l a légende : Alexander th e Great: The Making o f a My th ?
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NOTE S 1 M ircea Elia de, La nostalgie de s origines (Paris : Gallimar d, 1971), 8. 2 Jean Baudrillard, Simulacra and Simulation (Ann Arbor: The University of Michigan Press, 2011), 123. 3 Slate , webzine pu bli é par l e S late Group, une com pa gnie affiliée au groupe fina ncier Gr aham Hol dings basé en Australie, Singapour, Angleterre e t États-Unis. I l existe une ver sion e n a nglais ( ht tps://sla te.com/ ) et une e n français ( https://www .slate.fr/ ). Les deux versions d u webzine couvre nt r égulière ment, da ns une r ubrique spécia le, l’ac tualité des je ux vidéo. 4 Erik Sofge, « The American Revolution: The Game”, Slate, 26 oc tobr e 2012, https://sla te.c om /te chnology/2012/10/assa ssins-cree d- iii- is-a-thrilling-hyper de taile d-jour ne y-to- the- colonial- era- there-are-also-alie ns. htm l (c onsulté le 16 décem bre 2022 ). 5 Antonine Maillet, Pélagie-la-Charrette ( Paris: Gra sset, 1979), 1 8.
6 Ibid., 94- 95. 7 Ibid., 223.
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8 https://ne ws. ubisof t.com /en- gb/ar ticle /4NXZc lyvI lER bp0rw1CC DL/assassins-cr eed- par tners-with-british-library-for-alexander-the -gr eat- exhi bi tion (c onsulté le 15 déc embre 2022).
Kim Sac ks Unive rsi de Strasbo urg Du traitement mac h iniqu e de la pen sée et de l’épu isement algor it hmique de s comb in aisons L a locution machine le arning e st e ntrée da ns l e langage courant de s scienc es d e l’inf or mation e t d e l a communication ; elle qualifie l e procédé selon lequel un e machine tra ite autom atiqueme nt d e l’inf or mation qui lui est exter ne af in d e produire des modèles. C e mécanism e s’appuie sur l’idée qu’un traite ment algorithm ique permettrait d e réduire les choses à le ur e sse nce e t d’ en extraire les struc tur es abstra ites d e l a c onn aissa nce. Il est coutume d’avancer qu e l a note G d’Ad a Lovelace c onstitue l a prem ière formalisa tio n mathématique d’un traitem ent a lgor ithm ique, e t d’attr ibuer à Alan T uring l a pater nité d e l’intellige nce artific ie lle. Bien que leurs r ôles respectif s soie nt absolument décisifs dans l’inf orm atique c onte mpora ine, l e traitement d e l’infor mation par une tho de com bina toir e s’impose dès l e XIIIe sièc le notam ment dans le s tra va ux
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d e Ram on Llull, philosophe, m ystique e t t héo l og ie n catalan dont les travaux inspirer ont f ortem ent, entre a utre s, D e arte com binatoria d e Got tfried Wilhelm Leibniz publ en 1666 e t les œuvre s d e Ge or ge B oole 1 . L’enje u c entra l d e ce s travau x e st u n s ys tèm e d e modélisa tio n com binatoire d e l a pensée par l’épuisement de s com binaisons d e c once pts e ssentie ls. Comme l e note Anthony B onner à propos d e Llull, c ett e modé li sa ti o n laisse e nvisager u n tra iteme nt systéma tique d e l’inf orma tion : D e plus, comme i l l e souligne, cela per met d e l e faire systématiquem ent à travers tout l' alphabet. Ceci e st impor ta nt, c ar l'une des faç ons dont Llull conce vait son Art comme « généra l » éta it précisément dans s a capa cité à e xplorer toute s le s com binaisons poss ibl es d e se s composante s. 2 E n parta nt d u postula t qu’ une modé lisa tion exhaustive d e l a pe nsée e st possible, i l devie nt a lors e nvisa gea ble pour Llull d e c onstr uire une ma chine logiq ue, autreme nt di t, une machine c apable d e ca niser les str uc tures d u raisonnement. Cette machine pensante aff irme o u inf irm e toutes propositions par l e biais d e comb in ai s on s conceptuelle s e t méc anise l’a pprentissa ge : l e dispositif
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permettrait objective ment d e c onvaincre et d’a ppliquer u n modèle d e pe nsée. L a fabrication d u méc anism e tra duit chez Ram on Llull une algorithm ie d e l a convictio n théologique, l e but étant d e convertir a u c hristia nism e le s per sonnes d’autre s confe ssions ; le s mac hines objec tive nt l a pensée par l’é p uis ement méca nique d u raisonne ment logique. Comme nous l e verr ons, cette argum enta tion trouve inévitablem ent u n écho f la gra nt da ns l a littéra ture critique abordant les technologie s c ontem pora ine s c om me des instrum ents d e manipulation intellec t uelle e t idé ologique, notam ment che z McKenzie War k o u Shos ha na Zuboff. E n nous a ppuya nt sur une a na lyse philosophiqu e des enjeux et limites d e l a machine d e Ramon Llull, notre contr ibution s e pr opose d’étudie r les re lations entre le s méca nisme s logiques (chez Llu ll, Leibniz, W.V. Quine e t Boole) e t le s logiques des algorithme s c onte mpora ins. Voir entre autres, l’implé menta tion d’ arbres d e déc isions da ns les m ote urs d e tr aiteme nt lin guist ique syntax ique, essentiels pour c e qu’ il convie nt d’ appeler machine learning . Nous nous a tt acheron s à tra ite r de s conséque nces d’ une modélisation c om bina toir e d e l a connaissance lorsque celle- c i constitue l e soc le tec hnique des vecte urs d e l’ infor mat ion e t des tec hnologie s
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persuasive s . Ce texte n’a pas vocation à traiter d e faç on exhaustive d e l a p hil osophie e t d e l a c om bina toire, mais plutôt d’éclairer que lques pr obléma tique s conte mpora ines d e l a relation de s mac hine s e t quelque chose d e l’or dre d e l a digitalisation d e l a pe nsée e t s a calc ula bilité subséque nte. I Enjeu x et limites de la logique c ombin atoire Comme l e suggère Ton S ale s à pr opos d e Ramo n Llull, e xplorer l a pensée hum aine a insi qu e l a logi que par l e biais d e règle s et d e procédure s impl iqu e des système s symboliques. « D e même que Boole plus tar d, L lu l l croyait fermeme nt qu e l a pe nsée huma ine (le raisonnement logique) pouvait faire l' obje t d'un tr aitem ent symbolique, d e proc édures unif iée s e t d' un suivi et d' un contrôle objectifs. » 3 L’idée qu i hante les travaux d e Llull, e t plus tar d ceux d e George B oole, e st ce lle d e l’é tude de s lois f ondam enta les d e l a pe nsée huma ine ; l’hypothèse d e Boole es t qu’il serait possible d e forma lise r l a pe nsée, d’ en extraire les règle s d e man ipula tion d e con cepts e t d e le s exprimer via l’algè bre 4 . Pour c e fa ire , u n systèm e symbolique permettr ait l e traite me nt algorithm ique d e l a pensée. Llull proposait quelque c hose d u m ême or dre tout
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e n suggéra nt qu’ il sera it néc essaire d e restreindre l a pensée à u n nom bre fini d e conc epts f ond amenta ux afin d’articuler les règles d e l a pe nsé e avec un e forma lisa tion d e l a logique pour parvenir à u n traitement objec tif. Pour nous intéresser à l a ca lc ula bilité d e l a pe nsé e, il nous faut d’abord regar der comme nt s’ar ticule l a logique e t l e la nga ge. Le s pionnier s d e l’ar t di t informa tique on t très vite perçu l e potentiel perm utationnel e t com bina toir e des mac hine s : a u se in d u burea u d’Oulipo v a s e diffuser, dès 1963, l a se con de version d u manifeste d e l’art perm utationnel d’A braham Mole s 5 . Ce docume nt, même s’il n’est e n aucun ca s l e pr emier à a ttester d’ une rela tio n intriquée entre le s form es d e re pré sentations, leur s système s d e signe s e t les ma théma tique s, démontre une ferme volonté d e formaliser l’ usage d e mét hodol ogie s rigoureuses. Ce s der niè res explor ent les enjeux d e l a configuration e t d e l’agencem ent de s form es e t des obje ts selon des gle s pr éé tablies. O r, lor sque nous parlo ns d e l’exéc ution d e gles pr éétablies, nous parlons bie n d’algorithm ie e t d e pr ogramma tique. Définissons que lq ue s- un s d e no s term es. Tout d’a bor d, nous nous appuyons su r l a déf inition d e l’algor ithme que nous pr opose Donald Knuth da ns les prem ières pages d e son ouvra ge d e réf ére nce, dont i l fa it
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remonter les origines bien a u- de de s or dina te urs 6 . L’auteur l e rapproche, non sa ns ser ve, d e l a re cette d e cuis ine, d e quelque c hose d e l’ ordre d’une mét h od e qu i porte avec elle une règle strictement déf inie par des étape s d’exéc ution. Voic i donc u n algorithme. L e sens moder ne d'algorithme es t a sse z simila ire à celui d e recette, proc essus, méthode, technique, procé dure, routine, galim atias , sauf que l e mot "a lgor ithme " a une connotation u n peu différe nte. E n plus d'ê tre sim pleme nt u n ense mble f ini d e r èg le s qui donne une que nce d'opér ations pour résoudre u n type spé cif ique d e pr oblème, u n algorithme a c inq caractéristiques importantes : 1 ) Finitude. [ ... ] 2 ) Caractère finitif. [ ... ] 3 ) Entrée. 4 ) Sor tie . [ ... ] 5 ) Efficac ité. 7 Cette définition n’e st donc pas str icteme nt mathéma tique, mais entre bie n da ns l e conte xte d e l’organisa tion d’ une pensée faite d e causalité s, d’infér enc es et d e ductions. Nous proposons d’en souligner de ux im plic ations qui nou s sem blent pa rtic uliè rement pertine nte s pour notre argumentation : l e systém atisme e t l’a utoma tisme. E n effet, une m achine exé cuta nt u n a lgorithme par le
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tra ite ment d’un systè me d e signes perme t , d u fa it d e l a réduction à une procédure a bstra ite, u n tra ite me nt autom atique e t systé matique d e toute s les com binaisons. Par extension, s i c ette hypothè se s’ im pose dans so n applica tion à des c hif fre s, elle pourra it e n outre ê tre applicable à n’ im porte quel système d e signes, c omm e l e langage lui-même, du moins en théor ie. Lorsque Jorge Luis Bor ge s repr end l’ idé e d’une bibliothè que universe lle da ns s a nouvelle L a Bibliothè que d e Babel 8 , i l met e n évide nce l’ hypothè se d e l’e xistence théorique d’ une bi bli othè que qui c onti end rait une inf inité d e livres. s le s pr e mière s l igne s d u texte, l a fini tude d e cette bibliothè que soulève de s interr ogations : s i les si gne s sont numér iquement lim ités e t que l a page est déf inie e n espace potentiel, alor s l e nombre d e livr e s n’ est e n rie n infini. E n c omm entaire d e c ette définition d e l a bibliothè que univer selle, l e ma t héma tici en W.V. Qu in e ajou te : Il e st tout d e mêm e intére ssant qu e l a collec tion soit limitée. L a vérité entière e t ultim e su r tou te chose est im primée e n entier dans ce tte bibliothèque, aprè s tout, dans l a mesure o ù elle peut être mise e n mots. 9
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Il e st im porta nt d e note r que lorsque no us tr aitons d e l a question des c om binaisons, nous tra itons princ ipaleme nt d e l a question d u potentiel, à sa voir no n pas une r éalité effective d e l’épuise me nt d’un nombre f ini d e com bina isons ma is bien d e l a virtua lité. B ien e ntendu, c e sujet est a u cœur d e l a que stion d e l a litté rature potentielle e t au centre des mises en question d e l’O ulipo. S’il n e fa ut citer qu’un exe mple déjà ém ine mme nt étu dié, nous nous tournons vers R aym ond Q ueneau e t son c élèbre C ent mille milliards d e poème s d e 1961. Pour l’a ute ur, l’enje u n’e s t pas d’offr ir à son lectorat u n épuisement strict d e toute s le s com binaisons ma is bien d e lu i donner l e cadre forme l qu i déf init l’épuisement potentie l de s com binaisons 10 . Pour qu’il y ai t combinatoire, il f aut pondr e à deu x conditions : d’une part être e n présence d’une collection finie, e t d’autr e part avoir une unité d e ba se insé cable. E n c e sens, l’unité d e base pour Que nea u est l e ver s s ur l a langue tte e t l a collec tio n fi nie s e co mpos e d e dix fe uillets d e quatorze languette s, soit 10 14 c ombinaison s potentie lles. Or , dan s les conditi ons contem porai nes d e l’informatique, l e pote ntiel c om bina toir e d u tr aitem ent machinique s’ éte nd à tout ce qui fa it information e t pa s sim plement les m ots : les images sont également de s
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collections finies d e pixe ls. Cer taine s œuvr es pla stic ienne s n e sont pas étrangèr es à l’explora tion d e l’ épuiseme nt des potentiels. Elle s tra duise nt les e njeux synta xique s d e l a combinatoire dans l e cham p d e l a production visuel. S i nous prenons l’œuvre d e John F . Simon Jr ., Every Icon d e 1997, nous y voyons une alisa tion tech ni q ue d’ u n épuisement d e toute s le s c om bina isons pote ntie lles d e pixe ls (unité d e base) sur une grill e (e n sem ble fini d e 32x32 pixels) 1 1 . Notons e n outre que cette idée peut être étendue à d’ autres forme s tec hniques, c omme e xposée dans l’œ uvre The En d d e Jim Cam pbell d e 1996 (sur une grille d e diode s électrolum inescente s), o u enc ore dans l e proje t d’e xtension d e l a bibliothè que u niverse ll e, Library o f Babe l et Babe l Image Archives , d e Jonath an Ba s ile 12 . Ces diffé rents exem ples no us suggèr en t un e problématique similaire : que reste- t - il si l a computation permet d’automa tiser l’é puiseme nt e xhaustif de s possibles ? Rie n, c omme l e suggè re l e tit re d e l’œ uvr e d e Campbell ? P ourtant, ici une distinc tio n importa nte s’opèr e et le s œuvre s n’ off rent pa s tout à fait l a mêm e expérience à l’usage ; e n effet, dans son œuvre Simon Jr . sou ligne l e fa it qu’ un algorithme pe ut ê tre progra mmé pour épuiser tous les possibles d e f on s tricte me nt exhaustive m ai s que l a mé thode dite d e brute force n e
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révè le r ie n à l’e ntendement humain. Da ns l e ca s d e Ce nt mille milliar ds d e poèmes , c’est l a lec ture qui donne l e se ns à l a combinaison, no n sans une pointe d’ironie ; l’objet- livre n’ offre pas l’épuiseme nt exhaustif par l’automatisation, i l l’offre e n potentie l à l’ usa ge. U n des enje ux ce ntra ux d e l a que sti on d e l a com binatoire est donc celle d e l a finitude dans u n e spa ce lim ité. S i l a déf initi on d e ce t espace n’ es t pas nécessairement im mua ble, i l de me ure que c’est c elle- c i qui encadre l’espace d e l’ épuise ment pote ntie l. Autr eme nt dit, les 10 14 poèmes d e Queneau n e sont e n rien une vale ur absolue vis-à-vis d e l a poé sie ma is bie n une limite da ns u n espace prédéfini par l’objet 13 . C e qui perm et l a production d’un poème extra it d e l’ ensem ble de s possibles es t l a com binaison d e languettes, le ur s con fig ura tions, leurs agencem ents. P ourtant, cette limite n’est e n rie n déterm inée par l e contenu d e l a languette ; tous les espac e s finis com posés d e l a sor te ont l e me po tentiel d e 10 14 com binaisons. L e langage y joue u n rôle quasi seconda ire : l a sémantique n e s’offre ici que pour l e lec tora t qu i pe rçoit dans l’objet-livre un e sorte d’algor ithme qui nèr e, à par tir d’un corpus pr édé term iné, u n poè m e. O u s i nous voulons être plus rigoureux, non pas c e qu i génère m ais c e qui fait apparaître l e poème puisqu’il n e s’agit e n rien d’un
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processus d e nér ation ex- nihilo ma is plu tôt d’une mi se a u jour d e quelque c hose qu i existe en pote ntiel. E n c e sens, i l semble qu e l’ imaginaire d e l a néra tion machinique s’ oppose à l a réa lité tec hnique d e l’a lgor ithm ie. Les points que nous soulevons ici a u s uje t d e l a poé sie sont applica bles à l a que st ion d e l’ima ge digitale. Il fa ut donc, un e nouvell e f ois, di stinguer entre de u x éléments ; d’une part, l a combinatoire e n tant que telle, autreme nt dit l e pr oce ssus qui per met les différ ents agencem ents potentiels d’éléments dans un ensemble f ini, e t d’autre par t, c e que pr oduise nt ces a ge ncem ents. Prenons l e texte ; l e texte s’ appuie sur une langue, qui elle- même pend d’ un a lpha be t u n ensem ble dont l’unité gra phique est l e gra phème. U n alphabet est bie n déf in i comm e u n ensem ble fini d e carac tère s, 2 6 pour l’ alphabe t latin, 22 pour l’hébreu, 28 pour l’ara be etc. Les joue urs d e Scrabble l’ont bien compris, i l n’existe qu’un nombre fini d e c om bina isons (et donc d e m ots) pour u n nombr e donné d e lettres, comme par exem ple, 1 lettre équiva ut à 2 6 possibilités, 2 le ttres à 67 6 e tc. Sauf que , bie n entendu, toutes ce s c ombinais ons n e son t pa s de s mots qu i ont d u sens. L’action d e com biner e t d e reconna ître une com bina is on sém antiquem ent convenable n’y e st n i
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autom atique n i systé matique. P ourta nt, d’ un point d e vu e d e l a com bina ison, l a syntaxe est stric te ment cor rec te. C’est e n outre c e que soutie nt Noam Chom sky a u fondement d e l a grammair e néra tive, nota mme nt da ns les Syntactic Structures d e 1957 ; l’ordre des mots dans une phrase peut-être grammaticale me nt cor r ect m ême s i l a séma ntique n e fait a ucun se ns, voir e te nd ver s l’ absurde. Même s i ce n’est pas direc tem ent l e pr opo s d e ce t essa i, regardons l’opposi tio n que fait Chomsky à l a déf inition d e l a gramm aire comme de s c ombinaisons da ns de s e space s finis 14 ; à titr e d’exem ple, l a structure d e l a phrase suiva nte qui d’un point d e vu e syntaxique e st c onve nable, illustr e les distinctions entre grammaire, syntaxe e t sémantique : « Colorless green ideas sleep furiously. » 15 Les différents agencements des m ots peuvent o u non provoquer d u sens. A u même titr e, le s dif fére ntes com binaisons d e pixels pe uve nt o u non donn er lie u à une image r econnaiss ab le, ou laisser place à u n a mas inf orme d e pixels, du br uit. Pour Ramon Llu ll, l a réduction d e l a rité à une liste lim ité e d e concepts fondam enta ux per met son tra ite ment objec tif. C’est l a réduction à des groupes d’éléme nts perm uta ble s qui per met d’envisager l e pote ntie l combina toir e d e l’algorithm ie e t par exte nsion, de s idées par l e biais de s
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mots ; la combinatoir e pour rait, en toutes hypothè se s, ê tre un procé dé pour re ndre la pensée c om puta ble. Avanç ons l’hyp oth èse que l a composa nte rela tionnelle e nt re le s éléme nt s d’un ens emble f ini e n déf init ses lim ites. Autrement dit, s i les différe nte s com binaisons potentielles sont lim ité es e n nom bre, i l est alors concevable d e pe nser l e la ngage c omme u n espace discret, me si l a mantique s’e n a bstra it. E n raisonna nt d e l a sorte, cette logique pourrait s’étendr e à celle d e l a connaissance : celle- c i pourrait s e réduire, à partir d’un nombr e prédéfi ni d e conce pts f ondam ent au x, à u n ensem ble discret. Ce principe qui dir ige les travaux d e Ramon Llull n’aboutit pa s à l a pr oduc tion d’un système d e logique formelle. P lut ôt, i l s’agit d’éla borer un système d e modélisation com binatoire d e l a pe nsée à par tir d e l a com binaison d e c onc epts essentie ls, symbolisés pa r de s lettres dont l e f onc tio nneme nt re pose su r des ta blea ux d e com binaisons e t des cercles d e r el ati ons e ntr es les conce pts. Comme l e note A nt hony B onner : Ces lettres, cepe ndant, repré se ntent de s consta nte s et no n de s variable s comm e c'est l e ca s e n logi que formelle de puis l' épo que d'Ar istote. L'Art en ta nt que système, e n fait, n'a rien à voir avec l a logique formelle. O n pourrait peut-être l e considére r comme
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une sorte d e logique matér ie lle, bien q u'i l s oit probablement préf éra ble d e l e tra iter c om me une tout autre espèce. Llull lu i-même a été très cla ir à ce sujet, l e différenciant clairement d e l a logique e t d e l a mé ta physique. 16 L’artic ulation e ntre l a logique f orm elle e t l e pr ojet d e Ramon Llull n’est pas stricte ment d e l’ or dr e d e l a filiation philosophique. Il t ent era d e s e mar quer d e l a logique de s prédic ats ar istotélic ie nne c omme l e démontre a ve c fine sse l’a nalyse d’Anthony Bonne r 1 7 . L e passa ge pour Ra mon Llull d’une forme d e logique com binatoir e e t généra tive à une autr e f orme d e logique, fondée da ns un e argume ntat ion syllogisti que, arrive ta r div ement da ns s a vi e ; ce point nous sem ble part ic ul ière ment impor ta nt puisque l ’entré e d e l’ontol ogie dans l e rép ert o ire académique d e Llull suppla nte qu el qu e p eu l a problématique d e l a mécanisa tion. C’e st donc d e l a na ture même des prém isse s que posent l’ au teur qu’ il fa ut disc uter. Entre le s ligne s, i l s’agit aussi d e pe nse r l e monde, à l a f ois s a mystique e t s a matér ialité, c omm e l a résultante d’une struc tur e logique e t ponda nt au x règle s prescr ites, e t donc, programmatiques 18 . L a te ntative d e Ramon Llull est c ell e d’ un dé pla ceme nt d e l a question
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d’une logique linguistique et de la miotique vers ce lle de leurs possibles objectivations et mé ca nisa tions. II Implémen tat ion et syntaxe S i, comme nous l’a vons é tudié jusqu’à m ainte na nt, il est envisa geable d’appr éhender l e langage par l e bia is d e l a combinatoire, i l nous fa ut explique r l’ ext ens ion possible à c e qui fa it l a c omputation da ns l e m onde conte mpora i n. Reve nons quelques insta nts sur l’ artic ula tion q ue nous soulevions plus haut, d e Quine, d e Ba be l e t l’invita tion au raisonnement suiva nt : s i l’ on peut duire tous le s livre s à des entité s quantifia ble s e t limitée s e n nombr e, nous pourrions l a réduire e nc ore davanta ge, par exem ple par l e biais d u c ode morse, pour e xprimer e n pote ntie l l’intégralité d e toute s les idées d e l’univers : L'absur dité ulti me nous sa ute aux ye ux : une bibliothèque univer selle c om posée d e deux vol ume s, l' un cont enant u n seul point e t l'aut re u n tiret. L a répétition e t l'alter nance persista nte s des deux sont suffisante s, nous l e sa vons bien, pour épeler toute vérité. L e mirac le d e l a bibliothè que finie ma is univer se lle n'e st qu'une infl ation d u mirac le d e l a notation bina ire : tout c e qu i vaut la
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peine d'être dit, e t tout l e r este aussi, pe ut être dit avec de ux car actère s. C'est un e conve nue digne d u M agicie n d'Oz, m ais c ela a é une nédiction pour les ordinateurs. 19 L a critique d e Q uine soulè ve que l ques points qu i nou s semblent essentiels. E n premier lieu, pour l’ aute ur, l a réduction pa r u n système d e signe s r estre ints n e l im ite e n rien son potentiel combinatoire, au contraire ; e n théorie, nous pourrions r édu ire l e sys tèm e d e si gnes a u str ic t minim um, soit deux signes à l’instar d u mor se, e t nous aur ions de ux objets qui par l a per mutat ion e t l a com bina ison po urra it t out produir e. Ensuite, que c ette réduction n’ est a utre que ce lle qui a pe r mis l a mise e n œuvre d e l a logique booléenne e t son implémentation da ns les arc hitecture s d e l a qua si-total ité d e no s ma chine s contemporaines. Ic i, l a référe nc e à l’ univer salité d e l a bibliothè que nous fai t inévit ableme nt pense r à l a déf initi on d u binaire f orm ulée par George B oole, pour laquelle i l emploie l a terminologie rie n e t univers e n lie u et place d u zéro et d u un 20 . L’idée qui dom ine l’informatique contempora ine e st toujour s c elle porté e par Boole, à savoir, un e ma nipulation d e conce p ts p ar l e bi ai s d e
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systèmes de signes extrêmement restreints et tra ita ble s par des règles mathé matiques mé ca nisa ble s. [ ... ] l e succè s d e l'innova tion d e B oole e st d û e n grande partie à s a capac ité à conjugue r les de ux types d e c alc ul illustr és da ns le s tr ava ux d e Llull e t d e Leibniz : l e c alc ul e n ta nt q ue ma nipul atio n d e concepts basée sur des règles e t l e calcul en tant que calcul arithmé tique. 21 Boole, dont i l n’est pas l a peine d e r appeler l’ inf lue nce pour l e développem ent d e l’algè bre bina ir e, propose ra l a réduction à l’unité d e base l a plus éléme ntaire. Ce fa isa nt, i l sem ble pr oposer une converge nce notable e ntre le s tra vaux d e Llull (sur l a manipula tion d e conce pt par l a com binatoire) e t ce ux d e Le ibniz ( sur l’a ssoc iation arithm étique ). Les algèbres d e B oole pe uve nt ê tre considérée s comm e une synthèse des idées d e Llull, qui tr aita it les c oncepts d e manière exte nsionne lle (e n par la nt d e manière anac hr onique) ma is sa ns e xploiter auc un outil ari thmé tique, et d e Leibniz, qui voyait l'uti l it é d'associer le s pr opriété s ar ithmé t iqu es aux
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intentions, mais qui allait trop loin dans l'a utr e sen s e n essayant d e faire corre spondre les pr opr s arithm étiques directement a ux pr oprié tés de s inte ntions. 2 2 Il c onvient d e sou lig ner quelques a spec ts tec hnique s d e l’électronique d e no s machines contemporaines : au cœur d e l a c om puta tion, nous nous a ppu yons s ur c e que l’ o n nomme des com bination logic circuits . E n d’autres terme s, il s’agit d’agencements d e circ uits d e por te s logique s. Ces der nières sont des implémenta tions tec hnique s d e l a logique booléenne ; elles permettent d e laisser passer u n coura nt é lec trique uniquem ent sous cer ta ines c o ndition s matérielles. C e qui com pte pour l a ma chine es t l’ éta t d u courant (haut o u bas) e t c’est à par tir d e l à qu e l’ on peut penser l e codage d e l’informa tion 2 3 . L a c onsé quence d e cette implémentat ion technique est qu’il possible d e : 1 ) donner à l’état d u courant (haut ou ba s), so n é quivale nt e n logique des prédicats (vrai o u faux) et 2 ) matér ia liser des conne cte ur s logique s via de s agencem ents d e port es logiques. Cette implémentation per met l a mise e n œ uvr e machinique des opérateurs logiques : l a négation par l a por te logique NO T, l a conjonction AND , l a disjonctio n O R, etc. A insi, lors d e l’étude d’une table d e vérité
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assoc iée à une porte logique, i l c onvient d’épuiser toute s les com binaisons des vale ur s d’e ntrée, qu’il s’agisse d e binaire ou d e valeur s d e vérité des pré dica ts. A B AND FA UX FAUX FAU X FA UX V RA I FA U X VRA I FAUX FA U X V RA I V R A I VRAI E n outre, l’agenc em ent d e plusieurs con nec te urs logiques permet d ’ou vrir l’informatique à l a mise e n place d’un systèm e d e logique d e plus e n plus com ple xe, e t proche des l ogi ques d e raisonneme nt. E n rapproch an t ces tables d e vér ité avec les table s d e c ombina isons d e concepts d e Llull, i l devient assez cla ir que l’ idé e d e l a réduction à u n systèm e méca nisé d e l a logique per mettra it e n théorie d’étendre, par des agence me nts comple xes, l a com putation à tous les types d’inf orm ati on, si tant est que celle- c i re pose su r u n même systèm e sym b olique. La principale force motr ice de la tec hnologie informatique est probableme nt la prise de
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conscie nce que toute informa tion peut êtr e représe ntée par des nombr es. Ce la im plique que l'ordinateur, qu i éta it jusqu'a lors utilisé pour tra ite r des nombres, pe ut être utilisé pour tra iter tous le s type s d' infor mations. 24 Or , s i nous acceptons l’hypothè se se lon laque lle l a réduct ion à u n systè me symboli que m inimal ( le m orse o u l e binaire) permet e n théorie d e rendr e possible l a com putation d e tous les types d’inf orma tion, i l de vient alors c once va ble d’ envisager l e glissem ent entre l a logique com binatoire à celle d’une logique d e program me. Autre ment dit, à l a struc tur ation d e l’ infor mation qui f ait naître grâce à l a perm utation d’é ments déc rits statiquement a u préa lable (c omm e c’est l e cas da ns le s dia gra mme s d e Llull) vi ent s e su bstit ue r un e lo gique faisant d e l’ infor mation une va le ur abstr aite puisque ce lle- c i peut-être encapsulée dans de s var ia ble s. Sur ce point précis, l a note G d e Lovelace r elève bien d’une pensé e algor ithm ique. N otons le s pr opos d e Johana Drucker : Les dia gram mes n e s ont pa s des subs titut s d'énoncés linguistique s, n i d e sim ple s représentations d e c onna issa nce s f orme lles déjà
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acquises. Ce sont des systèmes génératif s c om posé s d'éléme nts non a mbi gus qui peuve nt êtr e utilisés pour m odéliser e t arti culer des pre uves. 2 5 Comm ent alors mettre e n re la tion ces diagram me s, pa r essence combinatoire s, avec le s arbr es d e décisions, pa r essence procéduraux ? Il n’est pas nécessaire d e revenir amplement sur l’ar bre d e l a conna issa nce comm e système graphique, a u sujet duque l Druc ker c onsa cre une ana lyse détaillée e t complète 26 . Repre nons sim ple me nt l’impor tante hypothèse qu’e lle éme t : elle sépare le s graphes d u type s arbr es (dont celui d e l a connaissanc e) d e ce qu’elle a ppelle les know le dge ge ne rator , soit le s générate urs d e conna issa nce. E t c’ est da ns cette se conde catégorie qu’elle inscrit l es travaux d e Llu ll . « Contra ireme nt au x ar bres, les néra te urs d e connaissances sont des combinatoires. » 27 Les arbres son t hiérarchique s, alor s que les dia gramme s sont com binatoires. Ils n e permettent pa s d e perm uta tions. Malgré l’absence notable d e variable s, l’ age ncem ent e t l’utilisation d e dia gra mmes m obiles d e Llu ll font émer ger quelque chose d e l’ ordre d e l a connais sa nce. L à o ù u n arbre est statique, l’age nce ment es t pr édéterm iné o u programmé alors que les objets d e R am on Llull proposent d’abstraire l a procédure a u pr ofit d’une com bina toire qui
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ferait naître que lqu e chose d e nouvea u, comm e l a résultante d e l a c ombina ison mac hinique. E n cla ir, l e nombr e d e résultats com binatoires de s dia gra mme s llulliens e n ferait de s outils d e c onnaissance gé néra tive. A contrario, s i l’ on regar de les ar bre s d e déc isions syntaxique s qui hab ite nt nom bre d e no s al gorithme s conte mpora ins (nota mment le s m oteur s d e compilatio n), les structures d e l’informa tion c orre spondent pe u o u pro u à celles décrite s pa r Knuth da ns s a déf inition d e le ur s conditions technique s 28 ; pour qu’il y a it arbre , il fau t nécessairement qu’il y a it embranc heme nt . Sous- ente ndu, i l e xiste u n c hem in , intellec tuel et/ou techniq ue, qu i perme t l a na vigation da ns u n système a rbo resce nt via des nœuds d e décisions succe ssif s e t souvent exc lusifs. C’e st e n gra nde par tie d e c ette façon que s ont impléme ntés le s arbre s d e cisions dans les m oteur s d e tra iteme nt linguistique synta xiq ue, e sse ntie ls pour ce qu’ il c onvient d’a ppele r machine le arning . L e machine learning c herc he sim pleme nt à rendre l e processus du c hoix, dans u n ar bre, autom atique.
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III Modé lisat ion de la con naissance et t e chnolo gies contemp orain es L’enje u d e l a modé li sation d e l a c onnaiss a nce e t d u machine le arning e st, semble- t - il , a va nt tout d e po uvoir produire des ma chine s qui r ende nt possible l a pré dic tion. L e machine le arning et l a pré dic tion sont pos sible s parce que l e monde a de s régular ité s. Le s choses dans l e m onde é volue nt d e manière guliè re. Nous n e sommes pas « télépor s » du point A au point B, mais nous devons passer par une quenc e d e lie ux interm édiaire s. Les objets occ upent u n blo c d'espace continu da ns l e monde. Les points proc he s dans notre champ visue l appar tie nne nt au mêm e objet e t ont donc néra leme nt des nuances d e l a même c oule ur. L e son a ussi, qu'il s' agisse d' une chanson o u d' un discours, é volue d e faç on c ontinue. Les di scontinuité s c or respondent à des f rontiè res, e t elles sont rares. 29 Pourtant, l’ idée selon laquelle les machine s sera ie nt capables d e tout es t tenace. Peut-ê tre trouve- t - on u n éléme nt d e ré ponse à cette question dans cette déf ini tio n
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d’Ethem Alpaydin lorsque l’aute ur avance l a relation entr e pré dic tion e t implém entat ion te chnique dans u n m onde vraise mbla bleme nt continu. Cette continuité fa it inexora bleme nt écho au principe d e c ontinuité que Leibniz form ule. L a machine utopique d e Tur ing e st bie n une machine fa ntasmée. À c e titre, Minski ra ppelle que l’é tude des machines dites unive rse lles, me s i elles n’ exister ont jamais puisque re posant sur d e l a spéc ulation tec hnique à par tir d e registre s e t d e mém oires infinis, deme ure tou t aussi im portante e n c e qu’elle offre un e perspective sur le s machines contem por aines, malgré l e fait que ce lles- ci soient par définition limitées 30 . E n revanche, l’idée qu’ une pré dic tion dans u n e spa ce f ini soit e nvisagea ble n’entre pas en contradiction avec l a nature m ême de s pr ogram mes. Il e st c ertainem ent vr ai qu e l a pr ogramm ation - l e travail consistant à spé cif ier l a pr oc édu re qu'un ordinateur doit exéc ute r - revie nt à te rminer à l'avance tout ce que l'ordinate ur eff ectuer a. E n c e sens, l e pr ogramme d'un ordinateur pe ut ser vir d e description précise d u proc essus que l a m achine v a exécuter, e t dans ce même sens, i l est signif ica tif que tout c e qui peut être fait par u n or dinate ur puisse ê tre déc rit pré cisément . 31
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Mi nsky reprend l a question d e l a desc ri pt ion, qu’i l articule, à partir d’une ana lyse d u t ext e d e 1936 d e Turing 32 , avec l e l ang age e mployé à l a de sc ription. A notre sens, i l remarque à juste titr e que les que stions a ssoc iées à l’idée d e l’algor ith me, o u d e ma nière équi valente à l’ effective procedure , relève nt d e l a limite (ou non) d e l a description de s proc essus pour délim ite r les p ote ntie l s com puta tionnels 3 3 . L ’auteur nous invite à pe nser les méca nisme s d e tr aitements d e règle s e n les for mula nt selon deux proposi tio ns ; l a première est l a déf inition d’ un langa ge comme l e m ode d’expre ssion déc lara tif d’ un je u d e règles et l a se conde e st l’ existe nce d’ une m achine qui inter prète les déclarations et exéc ute les éta pe s d u processus déc laratif. Nous ret rouvons bien dans le s pro bl é mat iq ue s convergentes e ntre celles d u tra iteme nt synta xique d u langa ge, à l a f ois c hez C hom sky a insi que dan s une certa ine me sur e chez Quine et Queneau a vec ce lles des tenta tive s d e méc anisat ion d e l a pe nsée par exécu tions d’un processus déc la ratif cher à Llull. Dans l e cas de s struc tures syntaxique s, les limite s d e l a pe rmutation pour l a sémantique serait l a suivante : c hange r l’or dre de s mots dans une phrase e n changerait dra stiquem ent l e se ns, e n conséque nce, le s per mutations altérer ait l a séma ntique .
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Récipr oquem ent, s i les concepts sont nom bra ble s da ns des espaces finis, e t sont d e fa it lim ités à u n nombr e déf inissable d e conc e pts, a lor s i l de vient possible (e n tout cas, théoriquement) d e les traiter c omm e de s éléme nts d’un système combinatoire. L a c onsé quenc e pour Llu ll e st qu’il deviendra it dès lors e nvisage able d e tr aite r objectivement l’ar ticulation de s c onc epts par l a mécanisation d e leur logique re la tionne lle. Autre ment dit, les idées seraient c omputa bles même s i e lle s n e sont pa s déf inies da ns des systèm es utopiques, à l’insta r de s machines universel le s. Si no us repr enons l’exem ple d e l a Bibliothèque d e Babe l d e Jonatha n Ba sile , l’implémenta tion per met l e re nver seme nt d e l’idé e d e l’épuisement d e B orges. Ici, l’a lgor ithme permet non pas d’é puiser toute s le s com bina isons possibles mais plutôt , un peu à l’instar d e Queneau, d e les offrir e n potentiel ; autreme nt dit, lorsqu’ un usager eff ectue un e recherc he d e page, l a page est générée. L a seule chose stoc kée e n mémoire es t l’algorithm e qu i conver tit l a pa ge e n un e adresse, et réciproquement. Deux choses notables : 1 ) l a question d e l’inf ini que Qui ne soulève est c lair eme nt illustrée e t l a f initude e n moire d e T uring n e pose, pour ainsi dire, pas d e problème ma je ur qua nt à l a généra tion des pages 2 ) l a réve rsibilité d u progra m me, c’es t-à-dir e
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qu’avec l e pr ogramm e d e Basile, i l est pos sible d e trouver une page d e livre en f onction d e son adre s se, e t/o u inversement tr ouver une adre sse à partir d’une page d e livre. Pas d e ma gie, rie n d e plus qu’ une fonction qu i permet d e convertir une adr esse en page e t réciproquem ent. L a connaissance n’est da ns ce ca s pa s l e propos, e lle n’est que l a sultante d’ une c om bina ison d e signes e t no n une ar c hive universelle. Il fa u t ce pe ndant a jouter que l a déf init ion qui prévaut est ce lle d e conce pts déf inis intrinsè queme nt, e t non e n fonc tion d’ un environneme nt. C’est-à- dir e, le s concepts n e sont, dans notre ca s, pa s déf inis par de s c hose s qui les altèr ent de puis l’e xtérieur. C’est e n outr e u n de s points d e l’argumenta ire su r l’ incomputa bil ité pr oposé par Galloway ; celle- c i relèverait e n partie d’age ncem ent s d’éléments extr insèques, d e l’ or dre d u rela tionnels, comm e par exemple l a straté gie d u jeu d e l a guerr e o u encore l’architec ture web 34 . Nous pouvons penser qu’ il s’a git en eff e t d’ une limite d e l’a uto nomisa tion d u traite ment d e l a c onn aissa nce. D’a uta nt qu e l e pr incipe d e contradiction n e permet pas d e conjuguer deux valeurs d e vérité pour un e m ême entité. C’est e n effet sur ce point que Leibniz reprend l’axiome aristotélic ie n e t l’éte nd, s i j’ ose dire, à c e qu i deviendra l e cœ ur d e l a pe nsée d e la
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com putation e n c e qu’aucun obje t, d u fa it d e so n implémenta tion te chnique, n e pe ut ê tre vrai e t fa ux sim ultané ment. S i d u reste, i l y avait une contradic tion, cela pr ovoquerait un e erreur, d u fa it qu’ un systèm e d e décision n e pr ov oqu e pa s u n c hoix a utonome e n ca s d’égalité d e valeur d e vérité. Préc isons toute fois qu e le s modèl es ci sionne ls contem porains cherchen t à contourne r l e pr oblè me e n a rbitrant les décisions par de s modèles statistiques d e vraisem bla nce o u d e choix pse udo- aléatoires, comm e pa r exe mple da ns l e ca s des voiture s autonomes o u d e l a prédic tion de s pr onoms a u se in des moteurs d e sugge stions linguis tique s. IV Limites ? Il paraît évident, qu’ en l’état ac tuel, tout n’e st pa s calc ulable. P ourtant, l’idé e selon la que lle l a ma chine pourra it tout calc ule r re ste bie n prése nte, voire omniprésente. E t celle-ci demeure u n idéal à atteindre pour les industries d u num éri que , ma lgr é les lim ite s, im pliqua nt des im plémenta tions technique s d e plu s e n plus e n capa cité d e nou s donner à voir de s mac hines qui semble nt capables d e tout . Ce faisant, l a distinction e ntre l’ idéa l utopique d e l a mac hine univers el le e t l a m achine concr èt e
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sem ble s’ame nuise r. Nous pouvons toutef ois nous questionner, e n conc lusion, sur le s c onsé quenc es d’une modélisat ion com bin atoire d e l a c onn ais sance lorsque celle- c i constitue l e soc le tec hnique de s vec te urs d e l’information e t de s technol ogie s pe rsuasi ves . Prenons l’exemple controversé suivant : e n 2013, u n ar ticle d e M ic ha l Kosin ski, David Sti llw ell, e t Thore Graepe l 35 pr opose d e considérer les like s sur Face book (qui sont donc de s va leurs boolée nnes) c omme suff isant s pour établir, gr âce à u n tra iteme nt algorithmique, de s profils psychologique s d’usa ger s d u rés ea u soc ia l. L ’étude cherche à démontrer qu’il est tec hnique m ent possible d e réduir e le s c om porte ments individuels à une c om bina ison d’indicateurs discr ets , et donc quantif ia ble s, limité s à de s valeurs unaires. L a controverse vie nt d u f ait que l’ enje u ici est bie n d e mettre e n a pplica ti on de s m odèles com binatoire s da ns l e cadr e d’e xploitation tec hnologique, dans l e but d e const itu er des profils d’usa ger s et d e prédire, statistiquement, le ur s com porte me nts. E n d’autre s terme s, l a ma tr ice idé ologique sous-jace nte e st l a modélisation de s modes d e pensée d’usa ger s par u n traitement algorithm ique, r eposant, indirectement, sur les tra va ux de s préc ur se urs com me c eux d e Ram on Llull qui fa isait de s modèl es combinat oi r es de s outils d e pers uasion. Or , c’e st
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bien sur c e terrain que v a s e déployer l e sca nda le d e Cambr idge Ana lytic a e t son im pac t sur les éle ctions américaine s d e 2016 : l’ hypothèse d’ une pr édic tion suffisamment pertinente des com por te me nts per mettra it d’identifier les pr of ils d’usa ger s susce ptibles d’être suje t d’un ciblage, autr ement dit, d’une pré diction d e com portements à venir si l’usager e st soum is à u n contenu inc itatif. L a modé lisation s e voit ici m ise à disposi ti on d’une pe rsua sion, thé oriqueme nt proche d e l a conver si on par l a démonstr ation objec tive e t mac hinique d’ une logique d e pensée propre aux travaux d e Ll ull. Terminons donc sur c es de ux points. Tout d’a bor d, malgré le s lim ite s qu e nous a vons soul evées, l a logi que com binatoire n’empêche en rien d’ im pléme nte r des systèmes d e traitement prédictif. Ensuite, e n par ta nt de s prém isses d’ un tra itement ma thé matique d e l a pe nsée ayant pour c onséquence l a possibilité d e l a pré dic tion de s intentions à venir , l’idée d’ une prédiction de s com portements semble entrer e n c ontra dic tion a vec l a nature me d u libre -arbitr e humain, conf ronta nt ains i l e monde d e l a te chnologie a vec les e nje ux philosophique d u déterm inisme. E n somme, qu’il s’a gisse des tr ava ux d e Ramon Llull, d e Gott frie d Wilhelm Le i bni z o u e nc ore d e George B oole, tous ont par ticipé à fa ire émer ger, voir e
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repousser, le s enje ux et lim ites d u tra iteme nt m ac hinique d e l a pensée e t d e l’épuiseme nt a lgo rithm ique de s com binaisons.
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NOTES 1 Notamment ses deux ouvrage s m aje urs da ns l e développement d e l’ algèbr e binair e e t d e l’inf orma tique subséque nte : Boole, George, A n Inve stigation o f the Law s o f T hou ght, o n W hich are Founde d th e Mathema ti ca l Theories of Logic and Prob abilitie s , Lond on : W alton an d Maberly, 1854. DO I : 10. 1017/CB O978 051 1693090 e t Boole, Ge orge, T he Mathem atic al Analysis o f Logic : Being a n E ss ay T ow ards a Calc ulu s o f De ductive Reasoning , London : Macmillan, Barclay, & Macmillan, 1847 . 2 Nous tr aduisons : « It f urthe rmore, as h e points out, perm its u s t o d o thi s systema tic all y thr oug hout the entire alphabe t. Thi s i s im portant, beca use on e o f th e ways i n whic h L lull c onc eive d his Ar t a s "ge ner al" was pr ecisely i n its ca pac ity t o explore all the possible com bina tions o f its components. » , Bonner, Anthony, « What was Llull u p to ? » , i n Bertran, Miquel, Rus, Teodor (eds), Transformation-Base d Reac tive Systems Devel opm e nt . ARTS 1997. Lecture Notes i n Com puter Sc ience , vo l 1231. Berlin : Heide lbe rg, S pringe r, 1997, 6. 3 Nous traduisons : « As Boole later, Llull firmly believed that human thought (logical reasoning) was amenable to
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symbolic treatm ent, unif ie d proc edure s and objec tive follow- u p and control. » , Sales, Ton, « Llull a s computer scientist o r wh y Llull was one o f u s » , i n B ertra n, M ique l, Rus, Teodor ( eds), op. cit . , 17. 4 Boole, Geor ge, A n I nve stigation of the Laws of T hought, o n Which are Foun de d the Mathem atic al T heories o f Logic and Prob abilities , op. ci t. 5 Lartigaud, Da vid-O livier « Re tour sur l e manife s te d e l’art permuta tionnel » , da ns Sac ks, K im, Guégan, Vic tor (dir.), Système s : logiques, graphie s, maté riali tés , R evue Design Arts Me dias, 08/2022, ( consulté l e 28/ 08/2022), URL: https:/ /jo urnal. dampress. org /is sues/syste mes- logique s-graphie s-ma ter ialites/re tour- su r- l e-manife ste- de-lar t-perm uta tionne l 6 Knut h, Donald E. , The Ar t o f co mpu ter p rogra mmi ng volume I , Fundamental Algorithm s , (thir d ed ition) , Massac huse tts : Addison-We sley, 1997, 1 - 2. 7 Nous traduisons : « So this i s a n algor ith m. The modern meaning for algor ith m i s quite sim ila r t o that o f r ecipe, process, method, tec hnique, pr oce dure, routine, rigm arole , exce pt that the wor d "algorithm" c onnote s some thing just a little diff ere nt. B esides merely being a f ini te se t o f r ule s tha t give s a se que nce o f opera tions for solving a specific type o f problem, an algorithm ha s five im por tant
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feature s: 1) F inite ness. […] 2) Def inite ness. […] 3) I nput . 4 ) Output. […] 5) Effectivene s s. », K nut h, D o na ld E., op.cit ., 4-6 . 8 Borge s, Jorge Luis, « L a B ibliothèque d e Ba bel » , Fictions , Traduit d e l’ espagnol par P. Verde vo ye, Iba rra e t Roger Ca illois , P aris : Gallim ard, 198 3. 9 Nous traduisons : « It i s interesting, still, tha t the collection i s finite. The entire and ultim ate tr uth a bou t everything i s pr inted i n f ull in that library, a fter al l, insofa r a s i t can b e pu t i n words at all. » , Quine, Wil lard Van Orman, Quidditie s: A n Inte rmitte ntly Philosophic al Dictionary , Cam bridge, Ma ssac huse tts : The B elkna p Press o f Har var d Uni ver sity P ress Cam br idge, 1987, 224. 1 0 Nou s pourr ion s rapproc her c et aspect d e l’e xpé rim enta tion d e l’é puiseme nt d e Per ec dans Per ec, Georges, Tentative d’ épuisement d’ un lieu parisie n , Par is : Chr istian B ourgois, 2003. 1 1 Rouff inea u, Gille s, « Eff ets d e c o de s, é pro uver l e temps » , dans Lar tigaud, David-O livier (dir.), A rt+ + , Orléans : Hyx, 2011, 155-177. 1 2 C onsulta ble en ligne, https://librar yofba bel.inf o/ [consulté le 18/09/2 0 22] et http://babelia. libra ryofba bel. info/ [c onsulté le 18/09/20 22 ]
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1 3 I l e n v a a insi pour l’œuvre d e John F . Sim on Jr. do nt nous pouvons trouver une a na lyse détaill ée d e s com binaisons dans l e texte d e Rouffinea u, Gilles, op . c it . 1 4 Chomsky, Noam, Syntactic Structures, Princeton, New Jersey : M outon and Co., 1957, 24.
1 5 C homs ky, Noa m, op. ci t., 1 5. 1 6 Nous traduisons : « These letters, however, represent constants and not variable s a s the y ha ve i n f orma l l ogi c since Aristotle’s t ime . The Ar t as a s yste m, i n f act, ha s nothing t o d o wit h formal logic. One could perha ps consider i t a kind o f ma terial logic, althou g h i t w o ul d probably b e best t o treat it a s another species entire ly. Llull himself was quite c le ar about it , diffe re nti ating i t c lear ly from both logic a nd meta physics. » , B onn er, Anthony, Th e Art and Logic o f Ramon Llull: A User’s Guide , Stud ie n Und Texte Z ur Geistesgesc hichte De s M itte lalter s, Leide n, Boston : Bril l, 2007, 18. 1 7 Bonner, Anthony, The Art and Logic of Ramon Llull: A User’s Guide, op. c it., 188- 256. 1 8 A c e sujet, nous re nvoyons a ux tra va ux d e Vilém F lusser, par ticulièreme nt l e te xte suiva nt : F lusser, Vilém, « Programme (Tes père et mère honoreras) » , Multitudes , vol. 7 4, no. 1 , 201 9, 190- 193.
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1 9 Nous traduisons : « The ultimate absurdity i s now staring u s i n the face : a universal librar y o f two volum es, one containing a single dot an d the other a dash. P ersiste nt repetition a nd alter na tion o f the tw o i s suff icient, w e well know, for spelling out any a nd e ver y truth. The mir acle o f th e f inite but univer sal libra ry i s a mere inflatio n o f t he miracle o f binar y notation: e ver ything wor th sa ying, an d everything else as we ll, can b e said w ith two c hara cte rs. I t i s a letdown bef itting the W izar d o f O z, but i t has been a boon t o com puters. » , Q uin e, Willard Va n Orman, op. cit. , 225 . 2 0 Boole, George, A n I nve stigation o f the Laws o f Thought, o n Which are Foun de d the Mathem atic al T heories o f Logic and Prob abilities , op. ci t . , 47. 2 1 Nous tr aduisons : « [ ... ] th e succe ss o f Boole s innova tion was due i n lar ge par t t o its ability t o mar ry the two type s o f com putati on tha t are e xe mplified i n L lull’ s and Leibniz s works : c om putat io n as r ul e-b as e d manipulation o f conc epts an d c om puta tion a s ar ithme tic calc ulat ion. » , Uckelman, Sara L., « Comput ing wit h Conce pts, Computing with N um bers: Ll u ll, Le ib ni z, an d Boole » , i n Ferreira, Ferna ndo, Löw e, Bene dikt, Mayor domo, El vira , Mendes G omes, Luís ( eds), Program s, Proofs, Processes. CiE 2010. Lecture Notes in
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Computer Sc ie nce, vol 6158, Be rlin, He idelber g, Springer, 201 0, 428. 2 2 Nous traduisons : « Boole’s algebras can b e seen a s synthe sizing the insights o f both L lull, who trea te d conce pts i n a n exte nsional fa shion (spea king anac hr onistica lly) bu t without expl oiting any ar ithme t ic tools, an d Leibniz, who saw the utility o f a ssoc ia ting arithm etic pr opertie s with inte nsions, bu t went too far the other direc tion i n tr ying t o ma p arithm etic proper ties dir ectly onto the propert ies o f intension » , Uckelma n, Sara L., op . ci t. , 435. 2 3 A ce sujet, nous renvoyons à l a le ctu re d u chapitr e « From One to Two » dans l’ouvrage suivant : Galloway, Alexander R., Uncomputable : Play and Politics in the Long Digital A ge , New Yor k : Ver so, 2021. 2 4 Nou s traduisons : « Probably the major driving forc e o f th e c om p uting tec hnology i s th e r ealiza tion tha t ever y piece o f inform ation can b e repr ese nte d a s numbers. Thi s i n turn im plie s tha t the c om puter, whic h until then wa s used t o pr ocess num bers, can b e used t o process all type s o f information. » , Alpaydin, Ethem, Machine Learning : The New A I , Camb rid ge , M A : The MIT Press, 2016, 2. 2 5 Nous traduisons : « Diagrams, clear ly, are not surr oga te s for linguistic stateme nts, nor are the y mer e repre se ntations
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o f f orma l knowle dge alrea dy gaine d. They are ge ner ati ve systems c om pose d o f unam biguous elem e nts that can b e used to model an d articulate proofs. » , Drucker, Johanna, Graphesis : V isual Forms o f K nowl edg e Producti on , Cambridge Massa chuse tts : Harvard U nive rsity Pr ess, 201 4, 106. 2 6 Dr ucker, Joha nna, op. c it., 95- 105. 2 7 N ous traduisons : « By contr ast t o trees, know le dge genera tors are combinator ic. » , Druc ker, Johanna, op. cit. , 107 . 2 8 Knuth, Donald E., op.c it., 308- 348. 2 9 Nou s tr aduisons : « Machine le arning, an d pr edic tion, i s possible beca use th e world has regula rities . Things i n t he world change smoothly. W e are not “b eam ed” fr om p oi n t A t o point B, but w e need t o pass thr ough a se quenc e o f interm edia te loc ations. Objects occ upy a c ontinuous bloc k o f spac e i n t he wor ld. Nearby po in ts i n ou r vis ua l fie l d belong t o the same object an d he nce m ostly have sha de s o f the same c olor. Sound to o, whe ther i n song o r s peec h, changes sm oothly. Disc ontinuities corre spond t o boundaries, and the y are rare. » , A lpa ydin, Ethem, op. cit. , 4 0 .
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3 0 Minsky, Marvin, Com putation : F ini te and I nfinite Machines , Engle woo d Cliff s N J : Pre nti ce-H all, 1967, 114-1 16. 3 1 N ous traduisons : « It i s certa inly true tha t pr ogra mmin g the job o f specif ying the pr oce dure tha t a computer i s t o carry out amounts t o dete rmining in adva nce e ver yt hin g th e com pute r will do. In this se nse, a com puter ’s program can serve a s a precise description o f the proce ss the machine will carr y out, and i n this s a me se nse i t i s meani ngf ul t o t ha t anything th at ca n b e d o ne b y a co mpu ter can b e precisely described . » , Minsky, Marvin, op . cit. , 103- 104. 3 2 Turing, Alan, « On Com puta ble Number s with a n Application t o the Entscheidungsproblem » , Proceedings o f the L ondon M athe matical Socie ty , V olume s 2- 42 , I ssue 1 , 1937, 2 30– 2 65. 3 3 M insky, Marvin, op. cit., 104-105. 3 4 Galloway, Ale xander R., op.c it. 3 5 Kosinski, Mic ha l, Stillwe ll, David, Graepe l, Thore, « Private traits an d attributes are predictable from digital recor ds o f huma n behavior » , i n Proc eedings of th e Nati onal Academy o f Sci ences , 1 10/15, 201 3.

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Ouvrir n’im porte quel journal—académ ique , quotidien, e tc.— et l’Intell ige nce Artificiell e (I A) fa it paniquer . À l’avenir , personne n’appr end ra plus à bien écrire, l’IA s’en occupera avec Chat GPT . Ou bien, c’est l a fin d e Google, grâce à Open AI. Tant il est vrai que cette nouvelle tec hnologie aura u n impact im portan t su r q uoi, presque tout, i l est aussi vrai que cette technologie sort d e l’espr it humain. Cela veut dire que c e n’est pa s une technologie super -humaine capable d e prendre charge d e toute activité humaine. Dans ce num éro d e Formules , le s contributeurs reconnaissent l’ im porta nce des a lgor ithm e s
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à l a base d e l’IA tout en tenant compte non seulement des dange rs ma is a ussi d e son utilité. Ce sont le s artiste s (écrivain·es et autres) qui œuvrent sur e t avec l’IA et les résultats sont comm e toutes les œuvre s d’art : pa rfois incroyables, parfois médiocres, par fois des éc hec s. De va nt nous cet avenir qui annonce à voix haute : à vous! E n all ons- nous être manipulé·e s o u bi en al lons- no u s manipu ler? E n lisant l e texte d e W olff, deviennent clairs les prem iers pas vers l’ écriture digita le che z l’Oulipo. L a sensibilité et l a préc ision des me mbr es d e l’Oul ip o vis- à- vis des objectif s d’une telle tentative perme tte nt au x lecteurs· tr ice s d e saisir une a pproche m odulaire d e l a construction des machines ( or dina te urs) à écrir e des te xte s littéraires. W olff met en jeu l e terme « p rog rammeur·euse littéraire » , une personne capa ble d e cr éer de s te xtes littéraires grâce a u calc ul. C e qui e n sort sera it non pa s ‘vers ou prose’ mais plutôt des textes à « contraintes fortes » o u bien des textes « amorphes » . Wolff précise les moments o ù s e définit u n e nse mble d’é ments for mels capables d e générer u n texte littéraire. D e tels m ome nts nous intéresse pour deux raisons : 1 ) s’ ouvr e un ba t concerna nt que ls élé ments forme ls sont nécessa ire s pour qu’on puisse déclarer qu’un texte est « littéraire » 2 ) si
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l’algor ithme qui sulte e st bel e t bie n l a source d e l a création d e l a littérature. En même temps, Wolff s’adresse à ce qu’il a ppelle les éche cs d e ce tte te ntative numér ique e t algorithm ique e n c e qui concer ne l a produc tion de s textes littér air es. Natalie Berkman, da ns son e ssai, é tudie l’em ploi d’un algorithme dans Un Conte à votre façon d e Raym ond Queneau, qu’elle t rou ve dupeur. Elle met e n évidence non seulement comment les choix offerts au x lecteur s·tr ice s dans l a poursuite de s narra tions varia ble s s e base sur l’agenceme nt des algor ithmes, ma is aussi comme nt l e conte communique une leçon (morale?). A voir l e choix dans l a vi e, est-ce une réalité? O u bie n, som me s-nous programmés tels qu e l e conte pré senté à l a lecture ? Berkm an avance son analyse d e ce tte notion d e choix da ns l e jeu vidéo Detr oit: Become Human o ù elle retrouve des éla bor ations algorithmique s sophis t iqu ées. Si c hez Quene au l a que stion d e liber est sous-e ntendue, elle n e l’est pas dans l e jeu vidéo o ù les côtés m orales et politiques font partie d e l a pr ogr amma tion e t donne nt naissa nce alchimique non à l a liber elle-m ême ma is à un simulacr e d e ce lle-ci. Dans l’article de Dominique Raymond, on ne peut qu’apprécier l’ art numér ique qu’elle pré sente. Non
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seule ment s’ agit- i l d’une œuvre inédite mais auss i hallucinante, f luide et d’ une spéc ularité par aissa nt inf inie. Raym ond me t l’ac cent sur l e c ôté alc hi mique d e l’algorithme tout e n four nissa nt ce t exem ple o ù, alchimiquement, les lettres s e tr ansf orme nt e n c oule ur s fondantes. O n a l’impr ession d e l a syne sthé sie baudelair ienne. Jea n-Jac que s Thom as met e n avant une belle é tude d u jeu vidéo Assassin’ s Creed . Pour commencer , prenons a u sérieux l’amalgame menaçant des mots : l’objectif d u jeu c’est l’appréciation d’une f orme d e vie (cré do : princ ipes? Religion? ) d’un assa ssin? Ajout ons à cet t e recette a lc him ique les algorithme s gra phiques ha ut d e gamm e per mettant au x joueur·euse s l e choix des c he min s ver s u n per fec tionnement d e ce tte vie cr imine lle qui a comm e bu t d e me ttre fin a ux vie s de s autres. Ajout supplémentaire : le s faits histor iques concer nant l a naissance des États-Unis, l e détournem ent d e l a réa lité des autochtones e t toute fable qui embr ouille des « vér ité s » d e l’Histoire. Cette é tud e n e cr aint pa s d e me ttre e n é vide nce les dangers culturels des algorithmes. Quant à Kim Sacks, son pr opos révèle une str ucture d e pr emière im por tance e n alchim ie, u n Ouroboros argumentatif qu i rejoint l’ illustra tion d e Nikita Itz ie v en
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couverture d e c e num éro. E n a lla nt puiser à l a source de s réfle xions s ur l e trait ement ma chinique d e l a pen sée et s a modélisat ion com bin atoire c hez l e phi losophe mystique et théologien d u XI II e siè cle, Ra mon Llull, Sacks fait l a dém onstration que l a matière esse ntie lle des tra va ux sur les m odèles décisi onn els s e regénère e t s e transforme sans cesse, le s déba ts et c ontr overses c onte mpora ins re posa nt e n bonne partie sur les mêmes prém isse s qu’a u Moye n  ge. L' œuvre numérique q ui agrémente notre c ouverture est d e Nikita Iziev a plus d e signific ation qu’ on n’e n soupçonne. V u su r son site I nsta gra m ( https://www .instagram.com/nikitaiziev/?hl=en ), l e brin d'ARN e st e n mouvement per tuel. C o mment mi eux représe nter l’é volution hum aine? L a liberté de s choix, selon cer tains artic le s d e ce volume, e st l’or pr oduit d e l’alchim ie des algorithm es. Mais l a liberté, tout c ourt, existe-t-e lle ? Ce br in d’ ARN qui tour ne et tour ne e t tour ne, co mme nt y r épond- il ? B iologique ment, nous n e somme s pas libres. Nous n e somme s que l’e ntie r d e nos cellule s, en é volution oui, ma is libre s ? Libre s d e n e pa s être humain? D e n e pas être des cr éatur es d’habitude s e t d e routines? Huis clo s, tout re nfermé s qu e nous somme s e t en mêm e tem ps à l a recherche d e l a liberté, nous ne
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créons que des sim ulacres d e libe rté, nous n e ce ssons d’ima giner des idé aux, nous somme s de s être s huma ins à l a recherc he d’une liberté d e n e pas êtr e qui nous somme s, nos pr opres prisonniers enf ermés à l’intér ie ur de s ha bitude s, guidé s éter nelle ment par u n br in d’ANR. C’e st peut-être pour quoi nous r ecré ons l’inte lligenc e, artificie lle cette f ois- ci. 1 1. V oir l’image de l’Ouroboros ici : https://sta tic.wikia. nocookie.net /vsde bating/im ages/8 / 8a/ Ouroboros_Ma ia.png/re vision/la test/sc ale - to- width- down/1000?c b= 202002050 6 57 1 7.
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NOT ICES BIOG R APHI QUE S Natalie Berkman est une spéci a liste d e l'enseignement supérieur . Chercheur primé, travaillant en tant que Responsable d’ingé nier ie da gogique (Instruc tional De sign Manage r) à l'ES SEC Busine ss School. For mée à l a fois com me spécialiste littéraire e t comm e mathématicienne, Na talie a c omplé son doctora t e n littér ature fr ançaise à l' Université d e Prince ton a vec une thèse sur le s méthodes ma thé matiques d e l'OuLiP o (Ouvroir d e Littérature Pote ntie lle), lec tionné comm e lauréat du Peter Lang Y oung Scholars Competition pour les Études Françaises (2019) s a recher che a été publié lié par Peter La ng (Oxf ord - avril 2022). Elle a publié d e nombr eux articles dans des re vue s d e prem ier pla n : Mode rn Language Note s (J HU Pre ss), Gene si s , Digital Humanities Quarterly e t Études Littéraires (Univer sité Laval) e t intervient régulière me nt da ns le s c ongrè s professionnels d e littérat ure, d' h uma nité s numér ique s et d'histoire de s scienc e s. Son tr avail a é parra iné par l e Prince ton Ce nter f or Digita l Huma nities, l e Pr inceton Institute for Interna tio nal an d Re gional S tudies, l a Moder n Language Assoc ia tion, l e gr oupe d e r echerche ANR DifdeP o e t l' École Normale S upér ieure. Peter Con sen stein est profe sse ur d e fr ançais da ns deux facultés d e l a City University o f New Y ork. Il enseigne da ns l e dé par teme nt d e langue s moder ne s au
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Bor ough o f M anha ttan C omm unity C ollege e t da ns l e Ph.D. Program i n French a u CUNY Gr adu ate Center . I l a publié d e nom breux articles a cadém ique s porta nt sur l a poésie française d e l a fin d u XXe siè cle e t sur l e gr oupe Oulipo. S a tra duc tion d e Son blanc d u u n d e Dom inique Fourcade sort a u mois d e mars 2023 aux Éditions VVV . Nik ita Iziev est u n dessinateur e t réalisate ur inter disciplinaire ba à Londr es qui travaille à l'inters ection d e l a forme, d e l a typogra p hi e e t d e l' ima g e e n m ouvem ent. Dom inique Raymon d est professe ure a ssociée a u Départeme nt d e ma thé ma tiques et d’informa tique e t chargée d e cours a u Département d e lettr es et comm unication sociale d e l’Université d u Qué bec à Trois- Rivières. Se s re cherc hes por tent sur l a contra inte littéra ire à l’Oulipo e t dans l a littérature québécoise, l a math-fiction, l e numér ique e t l a figur e fractale. Elle a publié e n 2021 Échafaudages, squelettes e t patrons d e couturièr es. Essai sur l a littératur e à contraintes a u Québec , lauréat d u prix Gabrielle-Roy . Kim Sacks, enseignant-chercheur en Design, Arts, Médias. S a recherche porte su r les système s d e coe rcit ion s des foules, sur l e design des c om porte m ents e t su r le s technologies per suasive s. Il es t actuelle ment Ma ître d e Conférences e n Design à l' Université d e Stra sbourg et
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chercheur-associé à l'Institut Acte au sein de l’École des Arts de la S orbonne, Université Paris, Pant on S or bonne. Jean-Jacques Thom as est Distinguished Professor à l’Université d’État d e New York (SUNY). Il a enseigné l a linguistique, l a l itt érature e t l a sémio tiq ue à Paris- 8 , à l’Université d u M ichiga n, à C olum bia, à Duke e t à l’U nivers ité d e Cali for nie à Santa B arbara ; i l a été professeur a ssocié à l’ Univer sité d e Paris-7 e t à l’Université du Qué bec à M ontr éal. I l a publié une diz aine d’ouvrages critiques, des traduc tions a insi qu’ une diza ine d’éditions spéciale s d e revues o u d e volum es spéc ia lisés. Ses plus récents ouvrages sont Perec en Amé rique (Bruxelles : Les I mpre ssions Nouve lles), Oulipo : Chroniques des années héroïques (New Orleans : PUNM), Continental Theory (Albany/New Y ork : SUNY Press), Joël De s Rosie rs : l’ échappé e ly rique de s damnés d e l a mer (Montréa l : Nota Bene). Il e st é dite ur e n chef d e l a revue FORMUL E S e n plus d’avoir été éditeur associé de s revues SubStance e t Poetics T oday . Mark W olff est professeur d'études françaises e t inter na tionales. Il dirige l e départeme nt d e la ngue s modernes a u Hartwick College (One ont a, New Y ork, États-Unis). Ses recherches por tent sur l' utilisa tion d'outils informatiques pour l e tra itement d u langage nature l af in d e générer des textes littéraires. V oir markwolff.name .
T ABLE DES MA TIÈRES
Ar gumentair e Jean-Jacques THOM AS Peter C ONS ENS TEI N ································ 5 D'Agrotexte à L' Arpente ur : pr ocessus alchimique de Bleu diode sur l'œuvr e de Jean-Y ves Fréchette Dominique RA YMOND ··························· 19 Algorithms, Structur es, Complexity: Oulipian Efforts to Explore Language with C omputati on Mark WOLFF ········································ 49 A Theory of Arbor escent Literatur e: Raymond Queneau’ s Un conte à votre façon ( 1967) and De troit: Bec ome Huma n (2018) Natalie BERKMAN ································ 99 Algorithmes ludiques : le simulacr e du sacré au cœur de l’Histoire
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Jean-Jacques THOM AS ··························· 143 Du traite me nt mac hinique de la pensée et de l’épuise me nt algorithmique des c ombi na is o ns Kim SACKS ········································ 217 Concl usion Peter C ONS ENS TEIN Dominique RA YMOND ·························· 257 Not ices biographiques ···························· 265